Passer au contenu

EY fait-elle véritablement concurrence aux cabinets juridiques?

Ce que la toute dernière acquisition de l’entreprise Legal Managed Services de Thomson Reuters indique au sujet de l’avenir du secteur des services juridiques.

EY office, London
iStock

L’incursion des quatre grands cabinets de comptabilité dans le domaine des services juridiques a franchi un autre pas important avec l’acquisition, par EY, alias Ernst & Young, de l’entreprise Legal Managed Services appartenant à Thomson Reuters, la grande entreprise de services d’information.

« C’est juste le commencement », a déclaré Cornelius Grossmann, chef mondial des affaires juridiques d’EY en parlant de l’acquisition lors d’un entretien. « Nous continuons à chercher de nouvelles cibles d’acquisition car nous souhaitons ardemment faire croître ce secteur de nos activités.

La toute nouvelle acquisition d’EY a été établie en 2004 sous la raison sociale Pangea3. La jeune entreprise a vogué sur la vague de l’externalisation des tâches administratives vers l’Inde où se trouvaient un grand nombre de diplômés en droit anglophones qui pouvaient accomplir des tâches connexes aux documents, telles que les investigations électroniques et les examens de conformité, moyennant des frais largement inférieurs à ceux facturés par les cabinets juridiques traditionnels situés dans des lieux comme New York ou Toronto. Pangea3 a été vendue à Thomson Reuters en 2010.

Legal Managed Services a 1 000 employés et huit bureaux et continue à externaliser une grande partie de ses tâches en Inde. L’achat, dont les modalités n’ont pas été révélées, fait suite à l’acquisition effectuée l’an dernier par EY de Riverview Law, une entreprise basée au Royaume-Uni qui fournit des services aux contentieux d’entreprises, y compris la gestion de contrats et des services liés au droit du travail et de la propriété intellectuelle.

Les quatre grands cabinets (PricewaterhouseCoopers, Deloitte, KPMG et EY) sont bien davantage que de simples cabinets comptables. Ces mastodontes d’envergure mondiale offrent un vaste éventail de services dans les domaines de la vérification, de la fiscalité, des conseils d’experts, de la gestion du risque, de l’actuariat et du droit. EY elle-même a déclaré des revenus de 34,8 milliards de dollars américains l’an dernier et emploie 270 000 personnes, y compris 2 400 juristes dans 84 pays.

Les quatre sociétés ont étendu leurs activités de conseil juridique au cours des dernières années, en fonction de la réglementation ambiante. Dans un lieu tel que Singapour, EY peut agir comme un cabinet juridique ordinaire, mais aux États-Unis, la loi Sarbanes-Oxley Act promulguée après le scandale Enron au début des années 2000 et les règlementations des États interdisent aux cabinets comptables de proposer des services de conseil juridique.

Au Canada, où les règles sont moins limitatives qu’aux États-Unis, EY Law LLC emploie plus de 100 juristes, spécialisés en droit fiscal et en droit de l’immigration, dans sept villes partout au pays, et propose en outre un nombre limité de services dans le domaine des fusions et acquisitions. EY Law est une société de personnes détenue par les juristes qui l’ont constituée, mais elle est affiliée à Ernst & Young. Les autres cabinets comptables parmi les quatre grands ont également des filiales qui sont des cabinets juridiques au Canada.

Pour EY, la dernière acquisition en date fait partie d’une approche en deux volets. Elle prévoit de continuer à proposer des services juridiques traditionnels comme EY Law au Canada et de racheter des cabinets juridiques existants dans les régions où elle y est autorisée. Cependant, elle prévoie d’étendre sa présence en tant que fournisseur de services juridiques alternatifs, ou FSJA.

Un récent rapport de Thomson Reuters Legal Institute (disponible uniquement en anglais) sur les FSJA affirme que le taux de croissance annuel composé des revenus de ces cabinets devraient se situer à 12,9 % par an, les quatre grands constituant la portion qui accuse la croissance la plus rapide dans le secteur. Un sondage mené de pair avec la publication du rapport affirme que 23 % des grands cabinets juridiques ont déclaré avoir été en concurrence avec les quatre grands au cours de l’année passée et avoir perdu des contrats à leur profit.

Cornelius Grossmann, qui est basé à Berlin, en Allemagne, a déclaré que les contrats de Legal Managed Services passés avec des entreprises clientes pour effectuer un grand nombre de tâches répétitives prennent trop de temps et ne nécessitent pas suffisamment de compétences pour justifier les salaires élevés qu’il faudrait verser au personnel juridique des bureaux de New York ou de Toronto si ces tâches lui étaient confiées.

Il a donné l’exemple de la nécessité de remplacer le taux Libor (London Interbank Offer Rate), une référence pour les taux d’intérêt à court terme, par un autre taux d’intérêt dans les milliers de contrats dont une grande société peut être signataire. Plutôt que de confier ce travail à des employés ou à du personnel juridique extérieur grassement payés, la nouvelle entreprise d’EY peut s’en acquitter en faisant des économies considérables.

« Nous essayons d’aider les clients qui ont des tâches répétitives à faire lorsqu’ils ne possèdent pas la capacité ou la technologie, ou ne veulent pas payer les taux horaires de cabinets juridiques américains ou canadiens pour réaliser les tâches ne nécessitant pas l’intervention de juristes hautement spécialisés », a dit M. Grossmann.

Richard Tromans, un consultant pour les cabinets juridiques qui est basé à Londres, a affirmé que pour économiser de l’argent, les grandes sociétés cherchent des solutions autres que le recours aux grands cabinets traditionnels et à leur modèle des heures facturables. Cela recouvre la réalisation d’une plus grande part du travail à l’interne, le recours à la technologie et à des cabinets d’externalisation tels que la toute nouvelle entreprise d’EY pour réaliser les tâches répétitives.

« Le marché évolue », a déclaré Me Tromans dans une entrevue. « La concurrence est plus rude et les choix sont plus nombreux. Il existe un plus grand nombre de façons de faire les choses. »

Jordan Furlong, un consultant basé à Ottawa a déclaré que les quatre grands cabinets n’ont pas réellement pour objectif de prendre la place des cabinets juridiques. « Ils se font concurrence entre eux et essaient d’éliminer les nouveaux venus. Ils considèrent tout simplement les services juridiques comme quelque chose dont les clients ont besoin. »

Bien qu’EY souhaite étendre ses activités juridiques conventionnelles et ses services juridiques alternatifs, Me Grossmann, qui y travaille, insiste sur le fait que les cabinets juridiques traditionnels ne devraient pas se sentir menacés. « Nous ne sommes pas en véritable concurrence avec les cabinets juridiques traditionnels. Nous ne touchons en aucun cas aux litiges, et il s’agit des activités fondamentales des cabinets juridiques traditionnels. Et nous ne sommes pas implantés du tout aux États-Unis. »

Me Furlong a déclaré qu’en fin de compte, les cabinets juridiques pourraient traiter moins de demandes de travail répétitif dans les contrats ordinaires et les dossiers de conformité et finir par se spécialiser. « Au final, les juristes feront ce pour quoi ils ont véritablement étudié : assurer la représentation et prodiguer des conseils juridiques de haut niveau. »