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Un jugement qui constate la vulnérabilité des personnes trans et non binaires

Entretien avec Me Audrey Boctor, qui a représenté les demandeurs dans une décision historique sur le droit à l’égalité et à la dignité des personnes trans et non binaires.

Me Audrey Boctor, associée au cabinet IMK

Me Audrey Boctor, associée au cabinet IMK, a représenté pro bono les demandeurs dans l’affaire Centre for Gender Advocacy et Al.c. Procureur général du Québec. Elle s'est entretenue avec Me Steeves Bujold, associé au cabinet McCarthy Tétrault, vice-président élu de l’ABC, et ardent défenseur des droits LGBTQ2S+.

Steeves Bujold: Audrey, tu as été impliquée au cours de ta carrière dans des dossiers pro bono importants. D’où te vient ton intérêt pour la défense des droits des membres de la communauté LGBTQ2S+ ?

Audrey Boctor: Pour moi ce sont des questions qui touchent au cœur même de qui nous sommes et au respect qui est dû à chaque personne en tant qu’être humain. 

SB: Peux-tu nous en dire un peu plus sur la genèse de ce recours ? Comment le recours s’est-il mis en place ? Les parties regroupées et les avocat.e.s impliqué.e.s ?

AB: Ce fut un long processus! IMK a accepté le mandat de représenter le Centre de lutte contre l’oppression des genres de l’Université Concordia et les quatre demandeurs individuels et le recours a été déposé en 2014. Ensuite, Égale Canada, Enfants transgenres Canada et la Coalition des familles LGBT+ se sont joints au recours comme intervenants pour appuyer les arguments juridiques. Il y a eu certains amendements législatifs et nous avons fait face à des contestations interlocutoires avant de nous rendre à procès en janvier et février 2019. Nous attendions le jugement depuis lors.

SB: Quel a été le plus grand défi de ce dossier ?

AB: Ce recours revendiquait les droits fondamentaux des personnes laissées pour compte dans les grandes réformes législatives réalisées au cours des dernières années. Malheureusement, plusieurs personnes étaient exclues dans ces réformes : les non-citoyen.ne.s qui n’avaient pas le droit de changer leur nom et leur désignation de sexe auprès de l’État civil; les personnes non binaires et intersexes dont l’existence était carrément niée par le Code civil ; les parents trans qui ne pouvaient pas changer leur désignation parentale sur le certificat de naissance de leur enfant après leur transition ou être désignés comme « parent » au lieu de « mère » ou « père » ; et les jeunes personnes trans qui faisaient toujours face à d’importants obstacles afin de pouvoir changer leur nom et leur désignation de sexe.

AB: L’administration de la preuve et la courbe d’apprentissage pour la cour et la société en général sur une seule de ces questions auraient été complexes ; tenter de régler toutes ces situations au sein d’un seul et même recours a été un énorme défi.

SB: Qu’est-ce qui t’a le plus touché au niveau personnel dans les faits qui ont été mis en preuve ?

AB: Impossible de choisir une seule chose ! Le jugement constate l’extrême vulnérabilité des personnes trans et non binaires et il reconnaît que le fait de ne pas avoir accès à des documents d’identité reflétant adéquatement son identité de genre aggrave cette vulnérabilité. Nous avons dû mettre en preuve des témoignages et des études démontrant les taux choquants de suicide dans cette communauté, surtout auprès des adolescent.e.s trans et non binaires qui n’ont pas d’appui familial. Ce procès a suscité beaucoup de larmes, mais aussi beaucoup d’espoir. Le courage de tous nos témoins en demande m’a profondément marqué. Ce n’est pas facile de se présenter devant la cour et de raconter son histoire et dévoiler ses sentiments les plus personnels, les plus intimes, les plus douloureux. Chaque témoin voulait éviter à d’autres personnes dans la même situation d’avoir à vivre ces expériences très difficiles. Cette solidarité était touchante et inspirante.

SB: Si on laisse de côté la possibilité d’un appel, quel sera le plus grand impact de cette décision ?

AB: Le plus grand impact sera dans le concret, pour toutes les personnes qui attendent depuis des années d’avoir les mêmes droits que tous les autres québécois : la reconnaissance de leur identité par l’État civil et des documents identitaires qui reflètent cette identité.

SB: On sait que les droits de la communauté LGBTQ2S+ ont été principalement obtenus dans le cadre de décisions judiciaires et non par la voie législative. Quelle en est la raison selon toi ?

AB: Si seulement je savais! Ce fut un énorme privilège de piloter ce dossier et, tout au long de ce processus, je me suis demandé pourquoi les gouvernements au cours des sept dernières années avaient décidé de nier les droits des non-citoyen.ne.s, des personnes non binaires, tout en reconnaissant les impacts de cette négation à travers d’autres initiatives gouvernementales, comme entre autres la création du Bureau de lutte contre l’homophobie et la transphobie. J’espère que la prochaine étape en sera une de collaboration et mise en place des réformes nécessaires afin de donner effet aux conclusions de ce jugement.

SB: En tant que membre de la communauté LGBTQ2S+, je tiens à te remercier ainsi que toute ton équipe et les autres avocat.e.s impliqué.e.s pour votre travail et votre ardeur qui ont mené à ce résultat historique. Quelques mots en terminant ?

AB: J’aimerais simplement souligner le travail de mon collègue François Goyer chez IMK et l’appui de tout notre bureau, ainsi que le travail pro bono de tous les avocats.es chez Davies, Norton Rose, Juripop et Narang & Associés qui ont représenté les intervenants. Pour moi ce fut un bel exemple d’un effort collectif qui me rend très fière de notre profession.