Skip to Content

Intelligence artificielle et droit d’auteur : Un antagonisme?

« Désormais, l’artiste ne crée plus une œuvre, il crée la création ». Nicolas Schöffer, 1956

Artificial intelligence concept
iStock

En 2016, un « nouveau Rembrandt » a été créé par intelligence artificielle[1] dans le cadre du projet « The Next Rembrandt ». Grâce à la méthode d’apprentissage profond, un tableau a été conçu lequel, selon les experts, aurait pu être créé par le Maître hollandais. Ainsi, une création artistique a été générée par l’IA, alors que l’humain n’y aurait joué qu’un rôle de « figurant » (Soulez, 2016). Depuis, de nouvelles créations algorithmiques ont vu le jour, minimisant chaque fois davantage l’empreinte créative humaine. Mais si ces nouveaux procédés bouleversent le milieu des arts, ils soulèvent également des interrogations juridiques. Comment en effet le droit d’auteur peut-il « saisir » les créations en émanant ?

Régime traditionnellement anthropocentré, le droit d’auteur (canadien) ne protégera que les œuvres « originales », c’est-à-dire celles résultant de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur, comme l’affirmait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt CCH en 2004. La nouveauté, l’esprit inventif, le mérite et la qualité esthétique ne seront toutefois pas décisifs. L’analyse s’attardera plutôt au processus créatif menant à l’œuvre; plus particulièrement, on se demandera si le créateur (humain), bénéficiant d’un « espace de créativité » (Gervais, Judge et Goudreau, 2006) , a opéré des choix (par exemple, quant à l’objet d’une toile ou à l’angle d’une photographie). Cet exercice requiert nécessairement un effort intellectuel et exclut toute « entreprise purement mécanique » (voir encore l’arrêt CCH).

En matière d’intelligence artificielle, plusieurs semblent douter de la protection des créations algorithmiques par la Loi sur le droit d’auteur. Selon cette vision en effet, le processus « artificiel » évacuerait toute empreinte créative humaine. L’analyse au soutien de cette assertion semble néanmoins supposer une complète autonomie de l’algorithme, gommant au passage le rôle que peut jouer l’humain. Rien n’est pourtant moins sûr, ce scénario relevant (du moins, pour l’instant) de la science-fiction.

Les créations produites par intelligence artificielle requièrent, à ce jour, une présence humaine que ce soit au stade de la programmation, de l’entraînement ou de l’utilisation du système. L’algorithme ne crée donc pas de manière complètement autonome, sans injonction humaine. Néanmoins, l’intégration de l’IA au processus créatif emporte avec elle un « glissement du rôle de l’artiste » (Brousseau, 2008). Cédant une part de contrôle à l’algorithme, l’artiste dessine désormais les « dessous de la création », c’est-à-dire les règles dans le cadre desquelles les créations sont produites. Il ne s’agit donc plus de recourir à la technologie à titre d’outil (comme serait le cas de l’utilisation d’un logiciel Photoshop, par exemple), mais plutôt à titre de « collaborateur » (Diouf, Vincent et Worms, 2013). Cette forme de « collaboration », si elle tend à brouiller les cartes en matière de droit d’auteur, ne devrait toutefois pas annihiler toute forme de protection en vertu de la Loi sur le droit d’auteur.

Les tribunaux ont récemment reconnu la protection de données sismiques par le droit d’auteur, en dépit de leur part d’imprévisibilité et du recours à des appareils (affaire Geophysical, 2016 et 2017). Reconnaissant l’utilité de ces instruments, les tribunaux ont en effet estimé que l’apport des géographes était suffisant pour permettre aux données de se hisser au rang d’œuvres protégeables par la loi. À l’instar du photographe, ces derniers ont fait preuve de talent et de jugement, notamment en choisissant l’emplacement, l’angle et le positionnement de ces appareils. En matière d’intelligence artificielle, cette jurisprudence est susceptible de permettre la protection de certaines créations algorithmiques par la loi. Malgré tout, l’intervention saccadée de différents intervenants sur les plans de la programmation, de l’entraînement ou de l’utilisation de systèmes d’IA pourrait empêcher, dans d’autres cas, la reconnaissance d’un droit d’auteur. La problématique réside donc, non pas dans l’autonomie (relative) dont disposent les programmes d’intelligence artificielle, mais plutôt dans le niveau d’intervention des acteurs humains dans le processus (créatif).

Ainsi, bousculant certains a priori, l’intelligence artificielle amène à redéfinir le rôle de l’artiste, lequel « ne crée plus l’œuvre, [mais] la création » (Schöffer, 1956). Cette redéfinition, si elle bouleverse le milieu des arts, emporte également avec elle des interrogations juridiques. L’auteur humain étant au cœur du régime de droit d’auteur, il devient en effet nécessaire d’identifier la part qu’il occupe dans ces procédés algorithmiques. À ce titre, les systèmes d’IA, loin d’être entièrement autonomes, requièrent une intervention humaine à divers stades de la création de sorte que, comme l’affirmait déjà Vian en 1953, « un robot-poète ne nous fait pas peur ».

 

[1] L’intelligence artificielle réfère, de manière générale, à une discipline scientifique se donnant pour but à la fois (i) de réaliser des machines capables de comportements intelligents et (ii) de développer une théorie générale de l’intelligence. Dans le cadre de cet article, seul le premier volet nous intéressera ; ainsi, l’intelligence artificielle, aux fins de nos propos, vise à permettre aux machines de reproduire des fonctions cognitives de l’être humain (telles que la compréhension, le raisonnement et le dialogue), avec un certain degré d’autonomie.