Passer au contenu

Petit guide des recours collectifs

Les tendances en matière de recours collectifs transfrontaliers changent la donne pour les conseillers juridiques d’entreprise.

Sylvie Rodrigue, managing partner with Torys LLP Montreal
Sylvie Rodrigue, managing partner with Torys LLP Montreal Photo: Alena Gedeonova

En août 2013, le règlement envisagé d’un recours collectif relatif à l’un des plus importants rappels automobiles de l’histoire a mis en relief une coopération étroite entre les avocats d’ici et des États-Unis.

Trois firmes canadiennes qui représentent les demandeurs ont travaillé avec leurs homologues américaines pour obtenir

un règlement couvrant 1,3 million de véhicules. Le recours collectif visait des allégations contre Toyota Canada et de soudaines accélérations des véhicules. Un dossier similaire avait été réglé plus tôt aux États-Unis.

« C’était vraiment transfrontalier, en ce que le groupe de plaignants a travaillé avec le groupe américain et la défense canadienne a travaillé avec l’américaine », précise Won Kim, associé directeur de Kim Orr, l’une des trois firmes canadiennes qui ont initié le recours. « Il y avait un échange d’informations fluide entre toutes les parties. »

La coopération accrue entre des collectivités d’un pays à un autre est l’une des tendances qui transforme — et complique — le paysage des recours collectifs pour les conseillers juridiques d’entreprise.

Par exemple, des recours sont intentés par des plaignants au Canada et aux États-Unis, ce qui déclenche des disputes occasionnelles pour savoir quelle firme dirigera le dossier. Dans certains cas, ces recours peuvent être autorisés au Canada, mais pas aux États-Unis.

« La marche à suivre devient infiniment plus complexe en raison de la coordination et la sophistication des plaignants des deux côtés de la frontière, et aussi en raison

de l’environnement règlementaire accru dans lequel toutes les entreprises évoluent actuellement », indique Christopher Naudie, associé chez Osler, Hoskin & Harcourt à Toronto et co-président du groupe des recours collectifs. Pour les conseillers juridiques d’entreprise, dit-il, « les exigences de coordination ont certainement augmenté ».

Approche intégrée

Ward Branch, associé fondateur de Branch McMaster à Vancouver et auteur de Recours collectifs au Canada (Class Actions in Canada), évalue que 30 à 40 % des recours collectifs ont une composante transfrontalière, en particulier dans les domaines des valeurs mobilières, de la concurrence et de la responsabilité des produits.

« La tendance que l’on voit est celle des firmes canadiennes qui intentent leurs recours collectifs plus tôt pour travailler en collaboration avec les juristes américains et faire avancer le dossier de manière stratégique pour décider sur quels boutons appuyer, à quel moment et de quel côté de la frontière », dit-il.

Ces recours internationaux peuvent prendre plusieurs formes, des dossiers parallèles avec des groupes de demandeurs distincts aux groupes qui se superposent d’un pays à l’autre, et aux recours autorisés au Canada, mais pas aux États-Unis.

Quelle que soit la forme du litige, la coordination des procédures et de la stratégie des deux côtés de la frontière est une priorité pour les conseillers juridiques d’entreprise, souligne Silvie Rodrigue, associée directrice de la firme Torys à Montréal et une avocate d’expérience dans le domaine. « Par exemple, nous nous voulons pas que des documents […] soient déposés trop rapidement et que l’avocat des plaignants au Canada les obtienne et alimente son dossier », explique-t-elle.

Puisque les recours collectifs commencent souvent aux États-Unis, les firmes canadiennes ont accès à de l’information qui peut s’avérer utile pour leur propre dossier. Mais David Kent, associé chez McMillan et coprésident national du groupe de résolution des différends et des recours collectifs, estime que les efforts d’avocats canadiens pour explorer des documents de tribunaux américains ont jusqu’ici connu un succès « mitigé ».

Une exception à la règle des procédures plus rapides aux États-Unis est le Québec, souligne Tim Pinos de Cassels Brock. Avec son associé Glenn Zakaib, il a agi comme avocat de Toyota en Ontario et coordonné les causes liées au rappel avec les autres provinces.

Du point de vue du demandeur, un dossier qui commence au Canada demandera un investissement de temps et d’argent pour générer de la preuve qui pourrait autrement l’être aux États-Unis. Pour les défendeurs, un seuil d’autorisation moins élevé au Québec et dans d’autres provinces comparativement aux États-Unis soulève la possibilité qu’un dossier procède ici, mais pas aux États-Unis.

Les États-Unis mettent les freins

Les récentes divergences entre le Canada et les États-Unis sur la manière de traiter les recours collectifs viennent brouiller les cartes encore davantage pour les conseillers juridiques d’entreprise.

« Les États-Unis deviennent plus restrictifs à tous les niveaux en matière de recours collectifs », observe Me Rodrigue, qui préside aussi le groupe de travail sur les recours collectifs à l’ABC. « La Cour suprême des États-Unis tente vraiment de mettre les freins pour les recours collectifs — sur le fardeau de la preuve, sur le type de recours qui seront autorisés et aussi sur la compétence », dit-elle.

Le Canada, au contraire, « va dans la direction opposée à tous les niveaux », ajoute-t-elle. Les États-Unis, qui ont adopté leurs règles sur les recours collectifs il y a près de 50 ans, ont une certaine maturité par rapport au Canada, où le Québec a introduit les siennes en 1978, suivi par l’Ontario en 1992, puis par les autres provinces.

« Au Canada, nous avons un système juridique similaire au système américain, et nous avons la chance de bénéficier de l’expérience des États-Unis et de créer des procédures de recours collectif qui sont mieux adaptées au Canada », croit pour sa part la professeure Janet Walker de la Faculté de droit de Osgoode Hall.

« C’est une période excitante, dans laquelle les avocats, les juges et les académiques… et sans oublier les représentants des entreprises et de l’industrie, comme les conseillers juridiques d’entreprise, peuvent jouer un vrai rôle en façonnant nos recours collectifs pour répondre à nos besoins. »