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Croissance lente

Près d’un an après la légalisation du cannabis, le marché légal est loin de supplanter le marché clandestine.

Legalization in Canada
iStock

La légalisation du cannabis au Canada n’a à ce jour pas réussi à mater la distribution de marijuana illégale dans l’ensemble du pays, affirment des experts, les principaux facteurs cernés étant les stocks insuffisants et le coût élevé du produit.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le cannabis – qui régit la vente, la possession, la production et la distribution de la marijuana au Canada – le 17 octobre 2018, les adultes canadiens ont le droit d’acheter des produits du cannabis auprès de détaillants provinciaux.

« La finalité de la loi était de fournir aux Canadiens une source d’approvisionnement fiable et légale en cannabis », dit Adam Pankratz, chargé de cours à l’école de commerce Sauder de l’Université de la Colombie-Britannique et expert en décisions commerciales liées à la légalisation de la marijuana.

Toutefois, selon M. Pankratz, la Loi sur le cannabis est très restrictive. « Ces restrictions se justifient d’un point de vue politique, mais cela nuit à la capacité des entreprises de vendre le produit, ce qui provoque les problèmes de mise en œuvre dont nous sommes actuellement témoins. »

Les principaux problèmes de distribution de cannabis légal concernent la chaîne d’approvisionnement et les arriérés dans les commandes des clients. « Je crois que la mise en œuvre a été mal coordonnée et s’est faite de façon beaucoup plus maladroite que ce à quoi nous nous attendions », déclare-t-il.

Paul Lewin, un avocat de Toronto qui se spécialise en litiges et en consultation liée au cannabis, convient qu’il existe des problèmes d’approvisionnement. Il souligne que le traitement des demandes des entreprises qui tentent une percée dans l’industrie du cannabis se fait lentement.

« Le marché noir n’a pas vraiment disparu. En fait, il ne disparaîtra probablement pas. »

M. Pankratz abonde dans le même sens. « Le produit légal se vend 30, 40 et parfois même 50 pour cent de plus que la drogue illicite. Cela ne répond aux intérêts de personne, pas à ceux du gouvernement, qui tente d’éliminer les drogues de la rue, ni à ceux des entreprises », précise-t-il.

Me Lewin s’attend à ce que les tribunaux canadiens abordent différemment les infractions liées au cannabis. Certaines modifications ont déjà été effectuées, d’autres sont imminentes.

« À l’heure actuelle, des procureurs traitent ces questions comme si nous étions toujours à l’âge de pierre, comme si les gens devaient faire de la prison pour de telles infractions », affirme Me Lewin. « Je crois que des correctifs seront apportés à mesure que des accusations seront déposées dans le système sous le régime de la Loi sur le cannabis. J’attends avec impatience la première occasion de débattre de l’une de ces questions, car toute la prémisse de la prohibition repose sur le fait que le cannabis est un type de poison auquel nous ne pouvons pas laisser les gens accéder. Tout cela fait maintenant partie du passé. Ce n’est maintenant qu’une affaire de réglementation. »

Depuis le 1er août 2019, les Canadiens reconnus coupables de possession simple de cannabis peuvent présenter une demande de pardon accéléré gratuite à la Commission des libérations conditionnelles du Canada afin que leur casier judiciaire soit suspendu. Cette modification à la Loi sur le casier judiciaire élimine les droits de demande de 631 dollars et la période d’attente de demande de pardon, qui peut aller jusqu’à dix ans.

Plus tard cet automne, soit à partir du 17 octobre 2019, le cannabis comestible et les extraits de cannabis seront légaux. La réglementation entourant les soi-disant produits « comestibles » est stricte. Elle impose des limites sur la quantité de THC par paquet ainsi que sur l’ajout de caféine, de sucre, d’édulcorants et de colorants. Le produit ne doit pas être attrayant pour les jeunes et ne doit présenter aucune allégation d’avantages pour la santé et aucune allégation sur le plan cosmétique.

Les produits comestibles ne seront pas très populaires, selon Me Lewin. « Le règlement sur la puissance de l’huile de cannabis, laquelle est plutôt faible, est très restrictif. Si vous consommiez cette huile de cannabis, vous ne sauriez probablement pas que vous en avez ingéré. »

Il s’attend à ce que le marché noir éclipse les détaillants légaux pour les produits comestibles et les extraits de cannabis.

« Lorsque les produits comestibles feront leur apparition, des entreprises qui ne sont pas seulement des producteurs agricoles feront leur entrée sur le marché », anticipe M. Pankratz. « Je fais allusion aux entreprises qui peuvent réellement commercialiser un produit tout en développant une expertise dans l’industrie des produits emballés et dans l’industrie alimentaire. Il s’agira d’un moment charnière. »

Un autre grand changement que M. Pankratz anticipe est la consolidation de l’industrie du cannabis.

« Nous sommes actuellement un peu comme à l’époque de la ruée vers l’or dans cette industrie. De petites entreprises échoueront dans leur tentative d’accéder au marché ou se feront dévorer par de plus grandes sociétés qui ont des réserves de liquidités plus considérables », déclare-t-il. « Je crois que les investisseurs commenceront à évaluer les sociétés de façon différente. Nous voyons déjà ce phénomène. Le prix des actions de marijuana est à la baisse depuis ces derniers mois. Il s’agit d’une réaction des investisseurs, qui commencent à délaisser la “mentalité de la ruée vers l’or” pour réellement évaluer les sociétés en s’appuyant sur des paramètres plus traditionnels. C’est ce qui a mené à la baisse des prix des actions. »

Les cours des actions vont probablement rebondir avec le temps, selon M. Pankratz. « Cependant, la consolidation aura alors lieu, tout comme l’évaluation, à l’aide de paramètres traditionnels. Puis, un moins grand nombre de sociétés auront une valeur plus élevée. »

Bien que Me Lewin affirme qu’il y aura probablement un « Walmart de la marijuana » à un moment ou à un autre, il s’attend à ce qu’il soit ardu pour les sociétés de former des monopoles dans l’industrie du cannabis.

« Je ne crois pas qu’il y aura un immense monopole, comme Coke et Pepsi, puisqu’il s’agit d’une plante dont la culture et la production ont été largement décentralisées du fait de la prohibition », déclare Me Lewin, ajoutant qu’il s’attend à ce qu’il y ait de plus en plus de manières d’accéder à l’industrie sans être milliardaire. « Après tout, le cannabis n’est qu’une plante. Ce n’est pas quelque chose que vous devez produire dans un laboratoire. »

Contrairement à la prédiction de M. Pankratz relativement à la consolidation de l’industrie du cannabis, M. Lewin s’attend à ce que la production de cannabis continue de se diversifier.

« Des microproducteurs et des microtraiteurs apparaîtront constamment. Il y aura de plus en plus de petits joueurs », dit M. Lewin.

M. Pankratz conclut en déclarant que plus de changements s’opéreront dans l’industrie. « L’industrie du cannabis est encore toute jeune. Il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons. Je suis convaincu qu’il se produira des choses qui nous surprendront tous au cours des six prochains mois. »