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En partenariat avec la concurrence

La pandémie pousse les concurrents commerciaux à collaborer, mais la prudence est de mise.

Supply cargo image
iStock

Les praticiens sont nombreux à se préoccuper du fait que l’assistance en matière de collaboration pendant la pandémie de COVID-19 offerte par le Bureau de la concurrence ne clarifie pas de manière adéquate ce que les sociétés peuvent faire pour maintenir la chaîne d’approvisionnement et continuer à fonctionner.  

« Cela ne va certainement pas rassurer les gens quant à ce qui peut être permis », dit Beth Riley, du cabinet Bennett Jones à Calgary. « Les gens avaient espéré que le Bureau allait fournir une aide un peu plus détaillée. » 

Les clients ont commencé à dire à leurs conseillers juridiques en mars que certains souhaitaient former des partenariats avec leurs concurrents pour fabriquer des produits et fournir des services absolument nécessaires ou pour partager les ressources de la chaîne d’approvisionnement. D’autres ont commencé à envisager les fusions et acquisitions comme moyens de garantir leur survie. Cependant, la Loi sur la concurrence interdit certaines formes de collaboration. Les entreprises craignent d’avoir quelque forme de dialogue avec leurs concurrents, ce qui est très compréhensible. 

L’article 45 interdit aux concurrents de convenir de fixer les prix, attribuer des marchés ou réduire la production sous peine notamment d’emprisonnement et d’amendes à concurrence de 25 millions de dollars pour chaque infraction. « En outre, les particuliers peuvent poursuivre les contrevenants devant les tribunaux civils en vue d’obtenir des dommages-intérêts », dit Huy Do, qui préside la Section du droit de la concurrence de l’ABC et exerce dans le cabinet Fasken à Toronto.

Le Comité de direction de la Section du droit de la concurrence est en étroite relation avec le bureau, ayant notamment rencontré virtuellement le Commissaire à la concurrence, Matthew Boswell, et son équipe de cadres supérieurs au début d’avril.

Le Bureau de la concurrence a ensuite publié une déclaration, le 8 avril, affirmant qu’il « s’abstiendra généralement d’exercer un contrôle dans la mesure où il y a un impératif clair en faveur de la collaboration d’entreprises à court terme dans le cadre de la réponse à la crise ».

La section a demandé au Bureau de fournir une assistance plus détaillée concernant les exemples de conduite qui pourrait être autorisée de nos jours tout en étant interdite par l’article 45 en période hors pandémie. Ainsi, les concurrents pourraient-ils convenir de restreindre la vente de certains produits essentiels aux consommateurs, ce qui réduirait l’accumulation et garantirait un approvisionnement continu? Qu’en est-il des ententes visant à restreindre la fourniture de certains équipements de protection personnelle aux seuls travailleurs de première ligne, à empêcher la pratique de prix outranciers, ou encore à attribuer les marchés afin de restreindre l’exportation de certains produits pendant la crise?

« Il est probable que l’incertitude sera très élevée concernant un grand nombre de conflits potentiels », dit Me Riley, qui exerce le droit des sociétés et des valeurs mobilières en plus de celui de la concurrence et des investissements étrangers. Qui plus est, l’assistance fournie par le Bureau n’identifie pas les genres de produits et services qui sont essentiels pour la population du Canada. On ne peut que présumer qu’ils ont trait aux chaînes d’approvisionnement médicales et alimentaires.

D’autres instances spécialisées en droit de la concurrence de par le monde ont fourni une assistance aux entreprises en mars. La Federal Trade Commission et le Justice Department des États-Unis, par exemple, se sont engagés à respecter un délai maximum de sept jours pour répondre à toutes les demandes d’assistance spécifique liées à la pandémie de COVID-19 quant à des propositions de collaboration.

La section a recommandé que le Bureau de la concurrence s’engage envers le même délai pour répondre aux questions dans le cadre du processus d’assistance. Lors d’une discussion de groupe virtuelle organisée par l’ABC le 28 avril, les représentants du Bureau ont déclaré qu’ils s’efforceraient de répondre à ce genre de demande dans les limites de délais plus précis. Ils ont dit qu’une équipe de fonctionnaires de la Direction générale des cartels et des pratiques commerciales trompeuses répondra à une demande dans les 24 à 48 heures pour fournir sa recommandation au Commissaire dans les 7 à 10 jours ouvrables (en temps normal, cela prend des mois). Par la suite, « le Commissaire confirmera aux parties la position du Bureau concernant la collaboration ».

Maître Do a également écrit à Navdeep Bains, ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie le 9 avril. Il a demandé au ministre, et non au Bureau, d’exercer des pouvoirs d’exemption au motif de l’intérêt public; pouvoirs prévus par la Loi sur la concurrence. La lettre indique qu’en tant qu’organisme voué à l’application de la loi, le Bureau est mal placé pour entreprendre des évaluations de l’intérêt public. Les exemptions de certaines ententes de la portée des provisions pénales et sur les fusions prévues par la loi seraient le meilleur moyen de régler ces préoccupations.

 « Nous sommes d’avis qu’il faut prendre de toute urgence des mesures pour veiller à ce que la Loi sur la concurrence ne nuise pas à la capacité des entreprises de fournir des produits et services nécessaires pour répondre aux besoins de la population canadienne. Alors que la situation d’urgence suscitée par la pandémie de COVID-19 empire et se prolonge, les risques sont bien réels que les chaînes d’approvisionnement se paralysent, que les entreprises se trouvent dans l’incapacité de produire et qu’il en résulte une grave pénurie de produits et services », a-t-il écrit.

En outre, à la lumière de la déclaration faite par le Bureau le 8 avril, il n’existe aucune garantie que les sociétés soient protégées contre des poursuites de particuliers, fait remarquer Me Do. Le seul moyen d’y parvenir serait de promulguer une modification législative. 

Selon MDo, la section cherche à faire mettre en œuvre deux changements. Le premier est une modification de la Loi sur la concurrence qui prévoirait une préséance de l’intérêt public dans des circonstances limitées, et le second serait que le Bureau fournisse une assistance concernant ses plans pour faire appliquer les dispositions de la loi.

La section a envoyé une autre lettre au Bureau le 17 avril, et les membres ont fait des commentaires dans l’espoir d’améliorer l’assistance qu’il fournit. 

Selon Me Do, la perspective que le Bureau communique avec les participants au marché pour leur demander leurs commentaires sur une proposition de collaboration entre concurrents amènera les dirigeants d’entreprise à faire montre de prudence lorsqu’ils envisagent de communiquer avec lui.

« Ce faisant, leur proposition de collaboration avec un concurrent pourrait être rendue publique et les exposer à de possibles poursuites civiles sans égard à l’avis du Bureau quant à la manière dont il applique la loi. »