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Déclaration de principes de l’Ontario : excessive ou tardive?

Un débat animé a suivi la décision du Barreau de l’Ontario d’exiger des juristes, y compris ses membres retraités et ceux qui n’exercent pas, qu’ils entérinent une déclaration de principes.

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Les juristes doivent reconnaître avoir une « obligation de promouvoir l’égalité, la diversité et l’inclusion en général ainsi que dans leur comportement envers leurs collègues, les employés, les clients et le public ». Nos chroniqueurs commentent.

 

Gavin : Le Barreau vise délibérément à « accélérer un virage culturel » et à signifier à ses membres leurs obligations pour l’avènement d’un « changement culturel et d’attitude ». Cependant, les principes ne relèvent-ils pas d’un choix personnel? Les juristes n’ont-ils pas le droit de penser et de s’exprimer librement?

Brooke : Tout à fait! Toutefois, selon moi, les objections sont outrancières et reflètent une conception erronée du problème et de la solution proposée. Dans un article d’opinion paru dans le National Post, Bruce Pardy, professeur à Queen's, a écrit qu’ayant appris la nouvelle, il a regardé son passeport pour vérifier qu’il n’était pas en Corée du Nord. Selon la « loi de Godwin », invoquer l’Allemagne nazie voue un argument à l’échec. Cela devrait également s’appliquer aux comparaisons avec la Corée du Nord et avec « 1984 » d’Orwell. Je nourris aussi des inquiétudes, mais en tant que juristes nous devons appliquer nos leçons : envisager les objectifs de la politique et examiner les faits avant de passer à l’action.

G: J’admets être proactif. Cependant, à quoi parvient le Barreau avec cette approche qui me semble vouée à l’échec? Le mécanisme choisi a suscité un débat qui détourne l’attention de la promotion de l’égalité au sein de la profession. Nous sommes déjà tenus, par le Code de déontologie, de reconnaître la diversité de la population ontarienne et de respecter les droits de la personne. L’embauche ou la promotion discriminatoire est, comme il se doit, passible de mesures disciplinaires.

B: Vrai. Toutefois, ce problème omniprésent ne peut être réglé par l’imposition de mesures disciplinaires au cas par cas. Une étude indépendante commandée par le Barreau a révélé l’existence d’un racisme systémique au sein de la profession. Les cabinets ne prennent pas de décisions en matière de personnel ouvertement fondées sur la race, mais les fondent sur des préjugés inconscients et opposent des obstacles systémiques à l’avancement.

G: D’accord. Cependant, exiger une « Déclaration de principes » semble orwellien à de nombreux juristes en ce que cela « encadre » la pensée et l’expression. Le Barreau peut exiger un comportement, mais peut-il imposer des convictions?

B: Non. Toutefois, le titre « Déclaration de principes » est une erreur d’appellation. Il ne s’agit ni de limiter la liberté de pensée et d’expression ni d’imposer des convictions. Il nous suffit de confirmer notre obligation préexistante de reconnaître la diversité ontarienne. Alors que j’ai entendu certains juristes s’opposer à la reconnaissance d’une obligation de « promouvoir » (distincte de la « reconnaissance » actuelle) la diversité, ils me semblent couper les cheveux en quatre puisqu’en fin de compte, cela vise notre comportement et non nos convictions. Le Barreau aurait dû être plus clair. Il s’agit de réglementer le comportement, pas les convictions.

G: Cette « Déclaration de principes » semble, au fond, un « Énoncé de platitudes ».

B: Oh, ce titre est parfait!

G: Le Barreau est le pire ennemi de sa propre cause, d’ailleurs très méritoire, en obligeant à l’adoption d’une « Déclaration de principes ». Personne ne va modifier ses convictions. Le Barreau veut provoquer une évolution culturelle. Ce n’est pas en obligeant les gens à dire qu’ils vous approuvent que vous les persuaderez. Ils feront la sourde oreille.

B: Bien vu. Si le but était d’amener les juristes à examiner les valeurs en cause, la solution n’était pas de leur donner une ligne de conduite-type à signer puis jeter aux oubliettes. Nous devons discuter franchement de nos obligations professionnelles quant à la teneur de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion, et des mesures à prendre activement pour garantir que notre profession représente le public qu’elle dessert.

Fait ironique, je pense que l’opposition à la Déclaration de principes orwellienne nous a rapprochés de cet objectif en suscitant ce débat.

G: Ah, je comprends tout: le Barreau a atteint son objectif en étant non seulement orwellien, mais aussi machiavélique!