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Pour une opinion publique plus informée

Au moment de l’écriture de cet article, la controverse fait rage dans quatre universités canadiennes qui ont invité l’avocate de la défense Marie Henein à donner une conférence.

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Dans un article d’opinion, une étudiante a condamné la décision d’inviter Me Henein, pour avoir défendu Jian Ghomeshi dans son procès pour agression sexuelle hautement médiatisé. Lui faisant écho, la directrice d’un centre pour femmes de Nouvelle-Écosse a ajouté qu’en invitant Me Henein, ces universités pouvaient « potentiellement traumatiser à nouveau les étudiants qui ont été victimes de violence sexuelle »

Les avocats n’ignorent que défendre des causes impopulaires, surtout lorsqu’elles sont médiatisées, comporte sont lot de défis. Ce qui est troublant en l’occurrence, c’est que les critiques de Me Henein lui attribuent la stigmatisation des victimes, et qu’ils voient sa conférence comme une chose à freiner, et non comme une occasion de discussion productive.

Il convient de se pencher sur les divergences entre l’opinion que le public a d’une affaire et ce qui se passe vraiment en cour.

L’étudiante a accusé Me Henein d’utiliser des « tactiques manipulatrices qui culpabilisent les victimes », affirmant que l’avocate se montrerait probablement quelque peu sceptique quant au choix de prendre son du temps pour décider de déclarer une agression et qu’elle « creuserait probablement [votre] historique sexuel avant de prendre la décision irréfléchie de [vous] croire ».

Ces allégations sur les croyances personnelles de Me Henein découlent de fausses informations.

Cette dernière n’a questionné les plaignantes ni sur leurs préférences ou antécédents sexuels, ni sur leur consommation de drogue ou d’alcool, ni sur leur tenue lors des événements en question. Elle n’a pas non plus laissé entendre que le fait de ne pas s’être « débattues » ou de ne pas avoir immédiatement avisé la police trahissait leur consentement. Bref, elle n’a pas recouru aux stéréotypes vieux jeu qui rejettent le blâme sur les victimes (on ne puisse pas en dire autant de tous les avocats, ni de tous les juges). Non seulement son contre interrogatoire respectait la lettre et l’esprit des lois canadiennes sur la protection des victimes de viol, mais sous plusieurs aspects, il était un véritable modèle d’efficacité et de professionnalisme.

L’étudiante fonde probablement ses allégations sur des commentaires inexacts glanés dans les médias ou la twittosphère concernant l’affaire Ghomeshi, et non sur sa présence à l’audience ou sa lecture de la transcription du procès. Fait intéressant : les avocats ont rarement l’occasion d’orienter le débat public sur leurs dossiers, mais ce cas fait exception : devenue une figure publique, Me Henein est apparue à l’émission The National à la CBC peu après l’annonce du verdict pour réfuter certaines fausses idées qui ont circulé au sujet du système de justice pénale lors des discussions sur l’affaire. Dans son entrevue, elle a dit être féministe, mais a fait valoir l’importance de la présomption d’innocence ainsi que le besoin de tester la preuve présentée contre un accusé. Peu d’avocats contrediraient ces principes.

L’affaire Ghomeshi a fait beaucoup jaser sur le système de justice, les stéréotypes et préjugés inconscients qui mènent à des jugements regrettables, et les présomptions autour desquelles s’articule la justice pénale. Certains ont parlé de possibles réformes, ce qui coïncide justement avec la nouvelle initiative de l’Ontario visant à fournir une aide juridique bénévole aux plaignants dans des dossiers d’agressions sexuelles afin qu’ils puissent mieux comprendre les complexités d’un système qui, selon beaucoup d’entre eux, ne leur fait pas justice. Bien que de tels dossiers puissent diviser l’opinion publique, c’est l’occasion d’établir le dialogue avec le public sur les réalités du système de justice et d’échanger sur la façon dont il devrait fonctionner.

Certes, le public et les juristes ne voient pas ce système du même œil. Quoi qu'il en soit, empêcher Me Henein de s’adresser aux étudiants universitaires ne donne rien; quand on saisit mal la façon dont s’administre la justice, le dialogue entre juristes et non-juristes doit être encouragé, pas étouffé.