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Ce que ça prend pour être juge

Quatre membres de la magistrature précisent comment savoir si vous êtes faits pour une carrière judiciaire.

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Plusieurs avocats voient une nomination judiciaire comme l’apogée d’une carrière juridique. Mais il n’existe aucun guide pratique pour les aspirants aux postes. Il n’y a pas de cours préparatoires. Et l’éducation judiciaire ne commence pleinement qu’une fois l’appel reçu.
 
Alors, comment savoir ce que ça prend pour y parvenir — avec succès? Quatre juges en ont discuté avec le National. François Rolland est juge en chef de la Cour supérieure du Québec, Dennis Maher est juge de la Cour du Banc de la Reine en Saskatchewan, Michelle Fuerst et à la Cour supérieure de Justice de l’Ontario, tandis que John Douglas est juge en chef de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard.
 
Est-ce vraiment ce que vous voulez?

Dans la mesure où la plupart des candidats ont au moins 20 ans de pratique, l’expé­rience de la profession et celle de la vie sont essentielles, estime la juge Fuerst. « Je pense aussi qu’il est important que vous soyez à un stade de carrière où vous n’aurez pas de regrets — “Si j’étais restée membre du Barreau encore cinq ans, j’aurais pu faire du travail vraiment intéressant”… Parce qu’à part quelques rares exceptions, une fois que vous êtes nommés, vous ne reviendrez pas en arrière. » 
 
Avez-vous de l’empathie?

Au-delà de l’excellence professionnelle et de l’éthique de travail irréprochable, le poste de juge nécessite de l’empathie. « Il y a plusieurs strates de la société avec lesquelles nous travaillons, explique le juge Maher. L’expérience que vous gagnez pour voir cette diversité fait de vous une meilleure personne. » Le travail pro bono est une manière d’y parvenir, dit-il.
 
Un style trop adversaire pourrait vous nuire

Pour se faire une idée sur un candidat, les comités de sélection parlent souvent à ses confrères ou aux juges devant lesquels il a plaidé. « Il est payant de demeu­rer civil, note le juge Douglas. Si vous vous entendez bien avec vos avocats et avez la réputation d’être juste, vous êtes plus susceptibles de recevoir un traitement plus juste en retour. »
 
Impliquez-vous dans la profession et la communauté

Avant d’être nommés, les quatre juges consultés étaient tous ce que François Rolland appelle des « junkies de l’ABC ». « Si vous avez été impliqué dans l’ABC ou des ordres de juristes et si vous avez un historique de chercher à vous perfectionner, ça va pa­raître que vous vous mettez à jour », note le juge Douglas.
 
Le travail et la pression

« C’est toujours la première réaction des nouveaux juges après six mois ou un an: “Je ne savais pas que ce serait autant de travail, autant de stress” », souligne le juge en chef Rolland. Le travail de juge est éminemment public. « Quand vous rendez un jugement, vous allez nécessairement décevoir au moins une partie. Vous pouvez faire un très bon travail, mais ce n’est pas un emploi dans lequel vous allez être populaire », poursuit-il.
 
Composer avec la possibilité d’un appel

Les quatre juges sont du même avis: faites de votre mieux et ne vous en faites pas trop avec la possibilité d’un appel. « Quand vous rédigez votre décision, ce n’est pas dans l’esprit de: “Comment puis-je éviter un appel?” C’est de s’assurer que vos motifs et votre logique sont clairement et adéquatement établis, de manière à ce qu’une cour d’appel puisse les réviser », estime John Douglas.
 
Gérer le temps, le stress et les dossiers

Les décisions sont souvent plus longues et les juges ont un rôle plus actif dans la gestion de l’instance qu’auparavant. En pratique privée, les avocats ont l’option d’engager plus d’employés pour faire le travail. Mais les juges doivent composer avec les ressources de la cour. Une bonne discipline personnelle est donc essentielle, estime le juge Maher. « Le temps: c’est la manière dont vous le gérez », dit-il.
 
« Apprentissage constant »

« C’est un processus d’apprentissage constant », note le juge en chef Rolland. Plusieurs cours sont offerts pour permettre aux magistrats de rester à jour. La Fédé­ration des ordres professionnels de juristes du Canada offre des programmes de droit cri­minel et de droit de la famille. L’Institut national de la magistrature a également un certain nombre de formations. Les avocats sont souvent très spécia­lisés, tandis que le poste de juge nécessite une vision plus large, précise Stéphane Émard-Chabot de l’INM.
 
Comment savoir si vous avez vraiment la tête de l’emploi?

« Vous ne le saurez probablement pas avant d’y arri­ver », tranche le juge Douglas.
 
« Quand j’ai été nommé, raconte-t-il, ma plus jeune fille avait six ou sept ans. » Tandis que sa mère lui expliquait le nouvel emploi de son père, « ma fille a dit: “Mais maman! Comment papa peut-il envoyer des gens en prison? Il n’est même pas capable de m’envoyer dans ma chambre!” »