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Prudence canadienne face au système bancaire ouvert

Le phénomène du système bancaire ouvert soulève des préoccupations quant aux politiques de confidentialité, de sécurité et de la concurrence.

Woman walking in front of bank

Les Canadiens recherchent ce qui est familier quand vient le temps de gérer leurs finances. Par exemple, ils se tournent vers leur institution financière principale pour la plupart de leurs besoins, même s’ils se doutent qu’ils pourraient souvent bénéficier de meilleures options ailleurs. Pas surprenant, donc, que peu de gens se soient encore intéressés au phénomène du système bancaire ouvert, qui se répand partout dans le monde, en particulier en Europe, aux États-Unis et dans certaines régions de l’Asie.

Qu'est-ce que le système bancaire ouvert? Mieux connu sous le nom anglais d’Open Banking, c’est un modèle émergent façonné par un mélange d’innovations financières, de changements des habitudes de consommation et de forces réglementaires, et par lequel les banques sont incitées à accorder à des tiers un accès aux données de leurs clients. Cette ouverture se fait par l’entremise d’interfaces ouvertes de programmes d’applications (API), qui permettent aux programmeurs de travailler de développer de nouveaux produits financiers.

Pour les consommateurs, l'attrait consiste à obtenir de meilleurs taux d’intérêt sur les prêts par exemple, et une plus grande transparence sur les produits financiers qu’ils utilisent. Il y a aussi des avantages pour les banques, qui peuvent rester pertinentes dans un environnement numérique où elles pourraient risquer de perdre leur position d’intermédiaire au profit de nouveaux venus du domaine des technologies financières qui offrent des services plus alléchants.

Mais ces opérations bancaires ouvertes soulèvent des préoccupations quant aux politiques de confidentialité, de sécurité et de la concurrence. Les régulateurs de différentes juridictions tentent donc de déterminer les meilleures manières de concilier innovation et protection des consommateurs.

À l'heure actuelle, le Royaume-Uni et l'Union européenne font figure de pionniers. L’UE réglemente le partage des données de comptes bancaires par l’entremise de sa directive révisée sur les services de paiement, ou DSP2, en vigueur depuis janvier. DSP2 oblige les grandes banques à donner accès à leurs données en ligne aux sociétés de technologies financières agréées sous une forme sécurisée et normalisée.

Au Royaume-Uni, les régulateurs ont imposé l’ouverture des marchés bancaires dans la foulée de DSP2 et en réponse à un rapport publié par l’Autorité de la concurrence et des marchés, selon lequel la concurrence entre les grandes banques était insuffisante pour les clients. Le phénomène n’en est qu’à ses balbutiements et la notoriété publique est encore faible, les grandes banques ayant été critiquées pour leur lenteur à adopter les mesures requises.

Comme on pouvait s’y attendre, c’est sur le marché plus fragmenté des États-Unis, où on compte des milliers de banques, que les régulateurs adoptent une approche plus libérale en laissant les forces du marché déterminer les orientations du système bancaire ouvert.

Le Canada, avec son marché consolidé des services financiers, adopte une approche plutôt attentiste. « À ce stade-ci, nous n’avons pas de législation qui impose des opérations bancaires ouvertes ou qui fournit des détails à ce sujet », explique Ana Badour, associée chez McCarthy Tétrault à Toronto. Cependant, le gouvernement fédéral procède actuellement à un examen du système bancaire ouvert afin d'évaluer son impact sur les consommateurs et les risques pour la confidentialité et la sécurité des données. D'autres consultations connexes sont en cours, notamment quant à un nouveau cadre fédéral de surveillance des systèmes de paiement de détail.

L’an dernier, le Bureau de la concurrence a pour sa part exprimé son appui au système bancaire ouvert dans une étude de marché sur l’innovation dans le secteur des technologies financières au Canada.

La préoccupation, pour l’instant, est que l’absence de réglementation ouvre la porte à des activités douteuses, comme la collecte de données à grande échelle.

Quelles normes doivent être suivies et qui, dans la chaîne d'approvisionnement, doit les suivre? Qu'est-ce qui peut être considéré comme un consentement explicite et comment doit-il préciser les utilisations spécifiques permises pour des types de données en particulier? Le Règlement général sur la protection des données (RPGD) de l'UE, en vigueur depuis mai, a résolu ce problème dans une certaine mesure, du moins en donnant aux consommateurs un certain contrôle sur la manière dont leurs données sont utilisées.

Il y a ensuite la question de la responsabilité, « qui nécessite un examen attentif, en particulier étant donné le fait que les opérations bancaires ouvertes impliquent à la fois de très grandes entités et de petites entreprises en démarrage avec des ressources limitées », explique Me Badour. « Que se passe-t-il en cas de violation de données ou de transaction non autorisée? Que se passe-t-il s'il y a un problème avec le partage des données? Devrait-il y avoir une obligation de respecter les seuils minimaux en termes d’assurance ou de capital requis? »

Selon l’avocate, les modifications législatives prendront du temps, comme nous l’avons vu avec la modernisation des systèmes de paiements. Pendant ce temps, les principaux acteurs du secteur canadien des technologies financières montrent des signes d'impatience.

« Nous avons besoin de services bancaires ouverts et de quelque chose de semblable [au RGPD] » a exhorté Paul Desmarais III, président exécutif du conseil d’administration de Portag3 Ventures, lors de son discours au Forum FinTech Canada à Montréal le mois dernier. M. Desmarais s'inquiète du fait que le Canada accuse un certain retard par rapport aux autres pays en n'incitant pas les banques à partager leurs réseaux de paiement. « Jusqu'à ce que les nouveaux acteurs des fintechs puissent accéder à l'infrastructure directement plutôt que via une banque, ils ne pourront pas être aussi bons que leur partenaire qui n'a aucun incitatif réel à laisser cet acteur émergent se démarquer », a-t-il ajouté.

Mais avec ou sans réglementation, les changements observés ailleurs dans le domaine des technologies financières vont probablement s'étendre rapidement au Canada, croit Ana Badour. « Lorsqu’un nouveau développement connaît un succès commercial, il a tendance à se propager dans d'autres juridictions, même si le cadre réglementaire n'est pas encore adapté », dit-elle. « Le système bancaire ouvert permet de bâtir et d’innover à partir de données existantes. Il y a beaucoup de choses qui peuvent arriver à un rythme très rapide. »

Les consommateurs canadiens se retrouveront donc peut-être plus tôt que tard en terrain moins familier.