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Les défis de la gestion de l'insolvabilité dans le secteur des TI

L'actif d’une entreprise réside principalement dans ses idées, ce qui peut rendre le processus d'insolvabilité difficile

Light bulb in the sand

Quand l’actif d’une entreprise réside principalement dans ses idées, il peut être difficile de trouver le financement nécessaire pour poursuivre son développement pendant un processus d’insolvabilité.

Car c’est la nouvelle technologie même faisant l’attrait d’une entreprise qui se retourne contre elle lorsque la société se voit mise sous séquestre avant d’avoir accouché de son produit. En effet, comment estimer la valeur d’un actif qui n’existe pas encore, est très vulnérable à la concurrence, a une portée internationale et s’avère particulièrement gourmand en capitaux?

« Il faut avoir une grande confiance en l’avenir du produit » : voilà ce qu’affirmait Lance Williams de Cassels, Brock & Blackwell LLP à la Conférence de l’ABC sur le droit de l’insolvabilité qui s’est tenue le 14 septembre à Vancouver. « Les bailleurs de fonds ne se bousculent pas au portillon, et ils doivent sérieusement se demander combien d’argent ils sont prêts à mettre et si le jeu en vaut la chandelle. »

Les écueils particuliers de la gestion des cas d’insolvabilité dans le domaine des TI constituaient le thème de la table ronde où intervenait Me Williams, avec Kathryn Esaw (Stikeman Elliott LLP) et Jeff Keeble (Restructuration Deloitte Inc.), sous l’égide de la modératrice Tevia Jeffries (Dentons Canada LLP).

Les concurrents de l’entreprise en difficulté figureront probablement parmi les intervenants intéressés par son actif, ce qui crée un conflit d’entrée de jeu. Dans quelle mesure peut-on révéler des détails sur les technologies exclusives de l’entreprise dans ces circonstances?

« Plus on pourra en dire, plus grand sera l’intérêt qu’on pourra susciter, note Me Williams, mais dites-en un peu trop, et l’actif perd toute sa valeur. »

M. Keeble souligne qu’il y a aussi le problème de la relation avec les employés : « On s’arrache les développeurs; or, pour garder son produit en vie, il faut retenir du personnel qui continuera d’y travailler. Et éviter qu’un employé quitte le navire avec des renseignements exclusifs sous le bras. »

Heureusement, c’est un point où les particularités du milieu des TI peuvent jouer en faveur de l’entrepreneur, même si les salaires sont passablement en retard. « C’est un des rares secteurs où l’on peut trouver des gens qui ont vraiment la foi et qui sont prêts à continuer malgré tout, en misant sur un résultat à moyen terme », soutient Kathryn Esaw.

Il se peut que le développement de la technologie en cause dépende de multiples fournisseurs internationaux à la participation financière plus au moins grande. Il n’y a donc pas de temps à perdre pour prendre en main les contrats et relations avec ces tiers, idéalement en trouvant avec eux une solution d’affaires, ce sur quoi s’entendent les trois intervenants. Il est crucial d’informer rapidement les principaux créanciers de la situation et de les garder au parfum tout au long du processus d’insolvabilité vu les réalités de l’industrie, que Me Esaw qualifie de « sans frontière » et où les accords de licence peuvent durer plusieurs années.

Comme Me Williams le souligne, plus que jamais, ici, il importe de se poser les bonnes questions dès le départ. « Dès le premier jour, il faut décider ce qu’on veut faire et comment on compte gérer l’engloutissement rapide de son capital au fil du processus. Il faut dresser le bilan complet de ce qu’on a, arrêter un but, puis s’attaquer aux réclamations. »

Compliquées, les histoires d’insolvabilité dans le milieu des TI? Il y a encore pire, avertit Me Esaw : que se passe-t-il lorsqu’une société de cryptomonnaie se met à battre de l’aile? Rappelons par exemple que l’identité du propriétaire d’un bitcoin est essentiellement cachée à quiconque n’a pas la clé du réseau de la chaîne de blocs.

La controverse qui fait toujours rage dans le dossier de l’insolvabilité de Mt. Gox – une bourse japonaise du bitcoin qui a dû déclarer des pertes immenses en 2014 à la suite de ce que d’aucuns appellent le « détournement du siècle » dans ce domaine – illustre bien toute la difficulté de recourir à un modèle d’affaires que peu de gens comprennent et où il est facile d’empêcher l’accès aux actifs .

Une vaste partie des bitcoins « perdus » ont fini par être retrouvés, mais les créanciers se sont fait dire que leur relation avec Mt. Gox était de nature contractuelle, donc qu’ils n’auraient droit qu’à la valeur desdits bitcoins aux taux d’avril 2014, alors que cette valeur avait grimpé en flèche par la suite. De leur côté, les actionnaires allaient, eux, toucher d’importants dividendes. Cette décision a été renversée cette année, et Mt. Gox a pu troquer ses procédures de faillite pour une action en réhabilitation civile.

N’empêche que le problème demeure entier. Comme le fait remarquer Me Esaw : « Si un débiteur insolvable détient des bitcoins et fait preuve de mauvaise volonté, comment retrouver la clé pour les saisir? Et comment évaluer la pleine valeur de cet actif? Qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là? »

À part intenter des poursuites pour faire déclarer le débiteur coupable d’outrage, Me Williams ne voit pas beaucoup d’autres options.

« Ce qui ressort de tout ça, conclut-il, c’est que le droit de l’insolvabilité n’est pas encore en mesure de traiter ce genre de question. »