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L’État et Pornhub : l’impuissance ?

Il faut revoir la loi, de sorte que les entreprises de libre partage de contenu pornographique soient responsables du contenu qu’elles hébergent.

Image représentant la pornographie

Le site web pornographique Pornhub est aujourd’hui poursuivi en demande d’action collective dans le district judiciaire de Montréal par une jeune fille qui accuse sa société mère, MindGeek, d’avoir toléré pendant des années que des images du viol dont elle a été victime se retrouvent impunément sur ses plateformes.

Ce site web reçoit plus de 3,5 milliards de visites par mois, ce qui en ferait le 10e site web le plus visité au monde. Son approche était simple, jusqu’à ce que le New York Times dévoile ses travers : comme Vimeo ou YouTube, tout le monde pouvait y verser leurs vidéos. Un modèle d’affaires extrêmement profitable, en raison des revenus publicitaires engendrés, mais dangereux. À tout le moins, jusqu’à ce que les histoires d’adolescentes disparues et retrouvées sur le site web par leurs amis ne fassent leur chemin vers les autorités et les médias.

Ce qui ramène une énième fois, et sous le couvert des pires abus, la question de responsabilité de ces plateformes en ligne, ces « communautés » comme ce site aime à se décrire.

La société mère de Pornhub est basée à Montréal. Le reportage coup-de-poing du New York Times a interpellé l’ensemble de la classe politique, au fédéral comme au provincial, où justement, un comité parlementaire s’est penché sur l’exploitation sexuelle des mineures dans la dernière année.

Déjà, ça commence bien : « Il existe peu de recherches et d’information sur le sujet de l’exploitation sexuelle des mineurs au Québec et celles disponibles comportent des limites importantes. (…) il nous est apparu impératif d’améliorer ces connaissances. (…) Les données à son sujet demeurent à ce jour lacunaires et approximatives. »

Ces énoncés étaient dirigés à l’ensemble du phénomène de l’exploitation sexuelle. Imaginez maintenant comment il est possible de qualifier le « free-for-all » de l’internet quant au versement millions de vidéos en ligne avec la supervision approximative qui semble opérer.

La recommandation no 5 du rapport est à l’effet de former un groupe d’experts relativement « à la présence de pornographie juvénile sur des sites liés à des entreprises enregistrées au Québec et les mesures mises en place pour la prévenir et la réprimer. »

Dans une chronique du mois de mars 2020 dans Le Devoir, le professeur Pierre Trudel indique que cette responsabilité, selon le cadre juridique actuel, incombe aux usagers eux-mêmes. Le spécialiste enjoint les gouvernements à en faire plus pour que ces plateformes mettent plus d’efforts à limiter la diffusion de contenu illégal et à les en tenir responsables par des devoirs explicites.

Or, l’action collective ainsi récemment déposée au nom de Jane Doe – le nom d’une victime anonymisé pour des raisons évidentes – tente de faire porter la responsabilité du contenu partagé par un tiers à MindGeek elle-même alors que le sujet du vidéo n’y consentait pas.

Plus précisément, la demande d’autorisation de l’action collective allègue que MindGeek a « échoué à vérifier le consentement des personnes apparaissant sur le site web, n’a pas interdit jusqu’à décembre 2020 les utilisateurs non vérifiés, n’a pas mis en œuvre de politiques et de procédures pour éviter la dissémination de tels contenus (traduction libre de la procédure) », entre autres allégations.

Or, pour Pierre Trudel, « lorsqu’il s’agit d’une plateforme qui opère selon le modèle d’un YouTube, plusieurs lois nationales, y compris au Canada n’imputent pas une responsabilité en premier lieu à de tels hébergeurs. 

Leur responsabilité ne peut être engagée que lorsqu´ils ont connaissance du caractère illégal d’un contenu, » indique-t-il par courriel.

Si la demande d’autorisation d’action collective est acceptée, le tribunal devra enquêter à savoir si MindGeek a pris ses responsabilités lorsqu’elle a été informée de l’illégalité de certains contenus. Selon la procédure déposée au tribunal, la demanderesse allègue que ce n’est pas le cas, et surtout, qu’elles sont plusieurs à vivre ce calvaire.

Depuis le reportage du New York Times, Pornhub a supprimé d’elle-même des millions de vidéos, équivalent à près de 80 % de son contenu. Dorénavant, le contenu du site ne pourra provenir que d’utilisateurs « vérifiés ».

En attendant, il est clair qu’un régime législatif plus adapté doit être mis en place pour tenir les entreprises de libre partage de contenu pornographique plus responsables quant aux contenus qu’elles hébergent.

Le rapport Yale, déposé à l’hiver dernier, va en ce sens, mais le défi est titanesque. Ces comportements illégaux peuvent contrevenir à une myriade de textes législatifs, autant des lois provinciales que fédérales.

Et cela revient toujours à une question fondamentale : face au libre partage numérique de contenu, l’État sera-t-il toujours en retard par rapport à l’internet ?