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Dans l’intérêt supérieur de l’animal

Les modifications apportées au Family Law Act de la Colombie-Britannique, qui considèrent les animaux de compagnie au cœur de litiges comme plus que de simples biens, « changent la donne », affirment les avocats.

Terrier and broken family

Les modifications de la Colombie-Britannique, les premières du genre au Canada, visent à guider les tribunaux dans la détermination de la propriété des animaux de compagnie à la suite d’une séparation ou d’un divorce.

Jusqu’à leur entrée en vigueur le 15 janvier 2024, les facteurs permettant d’identifier le propriétaire d’un animal de compagnie étaient similaires à ceux utilisés pour le partage d’autres types de biens, comme la manière dont l’animal de compagnie a été acquis et qui a payé.

Ces facteurs comprennent la capacité et la volonté de chaque personne de prendre soin de l’animal, la relation qu’un enfant entretient avec l’animal et l’existence d’antécédents, de risques ou de menaces de violence familiale ou de cruauté envers un animal.

« Nous sommes passés d’une formule du meilleur titre de propriété à une approche axée sur l’intérêt supérieur de toutes les personnes concernées », explique Victoria Shroff, qui pratique le droit des animaux en Colombie-Britannique depuis plus de 20 ans.

C’est une reconnaissance du fait que les familles sont de tailles, de formes et d’espèces différentes, qu’elles soient à deux ou à quatre pattes.

« Pour moi, c’est un changement déterminant », déclare Me Shroff, première conseillère du roi en droit des animaux au Canada.

« Je ne peux pas penser à une seule autre loi canadienne selon laquelle les animaux sont traités et considérés comme des membres de la famille. »

Avant d’occuper le poste de directrice par intérim du droit de la famille et des services judiciaires au ministère de la Justice et de la Sécurité publique de l’Île-du-Prince-Édouard, Jenny Mason a représenté des enfants lors de la séparation ou du divorce de leurs parents.

Elle cite des recherches qui montrent à quel point la séparation et le divorce peuvent être déstabilisants, stressants et solitaires pour les enfants, au cours desquels les animaux de compagnie peuvent fournir un soutien et un réconfort essentiels.

Lorsqu’elle interrogeait les enfants sur leur famille, ils mentionnaient souvent leurs animaux de compagnie avant les humains, et ils lui disaient régulièrement à quel point ils leur manquaient lorsqu’ils étaient séparés.

« Le bénéfice émotionnel des animaux de compagnie pour les enfants est une autre raison pour laquelle il est important que la décision concernant l’endroit où vivra un animal après la séparation soit prise au sérieux », explique Me Mason.

« Les modifications de la Colombie-Britannique reconnaissent ceci en exigeant que les tribunaux prennent en compte la relation entre l’enfant et l’animal. »

La garde des animaux de compagnie retient l’attention des législations depuis un certain temps, car les résultats des affaires de droit de la famille ont été extrêmement incohérents.

« Certains juges ont traité les animaux comme un simple bien et se sont montrés assez dédaigneux à l’égard des plaideurs qui se présentent au tribunal pour demander de l’aide pour diviser les animaux d’un mariage ou d’une relation », explique Camille Labchuk, avocate spécialisée dans les droits des animaux et directrice générale d’Animal Justice.

D’autres juges reconnaissent que traiter les animaux comme un simple bien n’est pas vraiment adéquat, car les gens ne considèrent pas leurs animaux de compagnie de cette façon. Cependant, Me Labchuk affirme qu’il existe peu de bases législatives à ce sujet.

« Je pense que beaucoup de juristes et de juges ont été gênés par la mise en œuvre de la loi jusqu’à présent et par l’absence de réelle marge de manœuvre pour adopter une approche plus sensible ou relationnelle à l’égard des animaux et de la séparation. »

Elle dit que la Colombie-Britannique a le mérite d’avoir prêté attention à cette question et d’avoir été la première à proposer quelque chose.

« Il est important de reconnaître que les animaux ne sont pas seulement des tables et des chaises. Ce ne sont pas des objets appartenant à la famille, mais bien des membres de la famille », explique Me Labchuk.

« Ils s’apparentent beaucoup plus à des enfants qu’à des biens. »

Cela est particulièrement vrai à une époque où de nombreuses personnes n’ont pas d’enfants et considèrent leurs animaux de compagnie comme leurs bébés poilus. Me Shroff dit que les modifications permettent à la loi de tenter de rattraper son retard par rapport à la situation actuelle.

« Tout le monde ne veut pas avoir un enfant humain. Si quelqu’un parle de Colin, je lui demanderai carrément à qui il fait référence, car je ne sais pas s’il s’agit de son terrier ou de son fils de 10 ans.

Mis à part la Colombie-Britannique, les ressorts canadiens restent à la traîne. L’Alaska a été le premier à adopter des mesures législatives sur la garde des animaux de compagnie aux États-Unis en 2017. Le Maine, New York, le Delaware, l’Illinois, le New Hampshire et la Californie ont depuis emboîté le pas.

En 2022, l’Espagne est devenue le dernier pays européen à exiger que les tribunaux prennent en compte le bien-être d’un animal de compagnie en cas de séparation. Les modifications du Code civil font suite à des changements similaires au Portugal et en France, obligeant les juges à traiter les animaux de compagnie comme des êtres sensibles.

En 2015, l’Assemblée nationale du Québec a adopté une loi définissant les animaux comme des êtres sensibles. Selon Me Labchuk, jusqu’à présent, aucun tribunal n’a fait de déclaration notable sur la signification de cette loi.

Même sans reconnaître explicitement la nature sensible, la législation existante sur la protection des animaux prouve que la société et notre système juridique ne traitent déjà pas les animaux comme de simples biens, ajoute-t-elle. Cependant, « le contexte du droit de la famille avait encore du chemin à parcourir pour rattraper son retard ».

Me Mason pense que les modifications de la Colombie-Britannique amèneront d’autres provinces à faire de même.

« La Colombie-Britannique est connue pour avoir une législation en matière de droit de la famille assez progressiste. Je pense donc qu’en général, lorsqu’ils apportent des changements, les législateurs et les juristes d’ailleurs en prennent note ».

Même si certains ressorts n’agissent pas sur ce point, ce que la province a fait peut quand même profiter aux praticiens et praticiennes de tout le pays en rendant la question des animaux de compagnie moins aléatoire dans les affaires de droit de la famille.

Bien que les choses changent lentement, Me Mason dit qu’elle a parfois l’impression d’être considérée comme mesquine ou sentimentale lorsqu’elle aborde les animaux de compagnie alors que le temps parental et la responsabilité décisionnelle concernant les enfants sont en jeu.

« Je ne pense pas être la seule avocate spécialisée en droit de la famille à se sentir comme cela. C’est juste un peu tabou d’aborder le sujet des animaux. »

Elle a eu des cas où son client voulait parler de passer du temps avec un chien vivant avec l’autre partie, mais leur avocat a refusé d’en discuter. Me Mason dit que cela impliquait que le chien n’était pas assez important pour qu’on y consacre du temps.

Désormais, la législation de la Colombie-Britannique donne aux avocats et aux avocates une assise pour parler des animaux de compagnie lors des rencontres, des négociations et devant le tribunal.

« Cela peut renforcer l’importance de la question et briser le tabou “on ne parle pas du chien” », dit-elle.

Souvent, les provinces ne veulent pas être les premières à agir, mais Me Labchuk dit qu’avec un précédent en place et la capacité de voir son application en droit et en pratique, elle s’attend également à ce que davantage de ressorts veuillent prodiguer des conseils aux personnes qui se séparent et aux juges qui statuent sur les affaires.

Elle espère aussi voir des progrès dans le domaine des testaments et des successions, permettant notamment la création de fiducies pour le soin des animaux de compagnie après le décès d’une personne.

« C’est quelque chose que nous ne voyons dans aucune province canadienne, mais nous le voyons dans un certain nombre de juridictions américaines », explique Me Labchuk.

« C’est une chose très facile à intégrer. »