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La guerre commerciale est lancée. Légalement, quels sont les recours du Canada?

Le Canada pourrait porter plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, au titre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique, et s’adresser aux tribunaux états-uniens… mais les résultats promettent d’être mitigés

Cargo containers textured with American and Canadian flags before container wall
iStock/MicroStockHub

Sean Stephenson, de Dentons Canada LLP à Toronto, préside la Section du Droit international de l’Association du Barreau canadien; ses spécialisations sont les sanctions et le commerce internationaux, les contrats gouvernementaux, l’arbitrage d’investissement et le droit public international.

Le magazine ABC National s’est entretenu avec lui peu de temps après l’imposition par l’administration Trump de tarifs douaniers de 10 % sur l’énergie canadienne et de 25 % sur le reste du commerce avec le Canada et le Mexique.

Cette entrevue a été condensée pour la publication.

 

Un spécialiste aguerri du droit international comme vous pensait-il voir ce jour arriver?

 

« En toute franchise, ce n’est pas surprenant. Il fallait s’y attendre après le premier mandat de Trump à la présidence. Évidemment, il y a toujours des irritants dans les relations commerciales entre deux pays.

« Pensons au bois d’œuvre – c’est une pomme de discorde avec nos voisins depuis plus de 25 ans. Mais cela n’a jamais compromis nos échanges commerciaux dans leur tout.

« Or, ce qu’on voit maintenant, dans l’entourage que Trump s’est constitué, ce sont des gens – à la forte influence sur la politique commerciale des États-Unis – qui remettent en question les fondements mêmes du commerce international.

« Je voyais certainement venir des tarifs sur des secteurs ou industries ciblés, mais je ne m’attendais pas à une mesure généralisée comme on le voit aujourd’hui. »

Selon Me Stephenson, c’est quelque chose dont la Section du droit international de l’ABC a débattu en long et en large.

« Nous sommes vivement alarmés par les agissements de l’administration américaine et sa lente déviation, ou devrais-je dire violation, de ses obligations imposées par les normes et traités internationaux. »

 

Quelles sont les options du Canada, juridiquement parlant, maintenant que l’administration Trump a imposé ses tarifs douaniers?

 

Le Canada pourrait déposer une plainte à l’Organisation mondiale du commerce, en application de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), et s’adresser aux tribunaux aux États-Unis.

Lors de l’administration Trump précédente, le Canada s’était tourné vers l’OMC concernant les tarifs imposés sur l’acier et l’aluminium, et l’OMC avait rendu une décision.

« Le différend, relate l’avocat, portait plus précisément sur l’affirmation des États-Unis qu’il s’agissait d’une mesure de sécurité nationale. Le même argument est avancé cette fois encore, avec l’invocation de la loi sur les pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale (IEEPA, pour International Emergency Economic Powers Act), pour tenter de justifier la défilade du pays face à ses obligations commerciales.

« Le groupe d’experts [de l’OMC] dans le dossier des produits d’acier et d’aluminium s’est penché sur les exceptions prévues par l’Organisation en ce qui concerne la sécurité nationale – soit les mesures prises en temps de guerre ou de “grave tension internationale” –, et a jugé le tout inapplicable. Il a essentiellement rejeté les allégations, et dit à l’administration américaine qu’elle contrevenait à ses obligations. »

Les États-Unis, déclarant que la décision de décembre 2022 était viciée, ont porté appel. Cependant, l’organe d’appel de l’OMC n’a plus un nombre de juges suffisant pour réunir un quorum depuis que la première administration Trump a bloqué la nomination de nouveaux juges en 2019. L’administration Biden n’est pas revenue sur cette décision, comme elle aspirait elle aussi à modifier le processus de résolution des différends de l’OMC.

Me Stephenson décrit la situation comme un « cri dans le vide ».

« En l’état, on fait appel et… il ne se passe rien, parce qu’il n’y a plus assez de juges pour atteindre le quorum nécessaire à la constitution d’un groupe spécial. »

Malgré tout, il estime qu’il y a un intérêt à s’adresser à l’OMC.

« Il y aura quand même, pour la postérité, la prise d’une décision par un panel de juges qui tient tête aux allégations de sécurité nationale des États-Unis et à leurs effets pour le commerce.

« Mais c’est sûr que l’affaire ne sera pas tranchée de manière exécutoire et sans appel par l’OMC », déplore-t-il.

Et de continuer : « Les États-Unis martèlent depuis longtemps que ces exceptions s’autojustifient. Autrement dit : sitôt qu’on l’invoque, la mesure ne peut être remise en question. Eh bien, l’OMC dans ses jugements leur répond : “pas si vite”. »

La résistance pourrait toutefois être plus difficile sous le régime de l’ACEUM. Me Stephenson rappelle que l’administration Trump a renégocié l’accord moyennant la modification du libellé concernant l’exception de la sécurité.

Les nouveaux termes collent bien davantage à la position états-unienne, selon laquelle les mesures sécuritaires sont au bon jugement de la nation qui les prend, et qu’une fois prises, personne ne peut vraiment les contester.

Et en cas de recours aux tribunaux des États-Unis, l’exercice serait explicitement assujetti aux lois états-uniennes et aux limites de droits de douane imposées par la loi d’urgence (l’IEEPA).

« C’est une première, que ces types de tarifs douaniers soient imposés en vertu de cet instrument légal. D’éminents spécialistes du droit sont d’avis qu’il y a matière à contre-attaque. D’autres, cependant, arguent que la loi peut justifier la mesure. »

 

Quand viendra le temps de renégocier l’ACEUM, le Canada sera-t-il en position de réclamer une meilleure protection juridique?

 

« Nous avons déjà des protections juridiques dans cet accord, dit Me Stephenson. Nous avons des droits de douane consolidés – initialement en vertu de l’ALENA, et maintenant en vertu de l’ACEUM. »

N’empêche, il ne sera pas facile de réclamer la modification de l’exception de la sécurité.

« Je crois qu’on sera en bien mauvaise posture rendu là, considérant que le texte de l’accord – qu’on a accepté – dit ce qu’il dit. D’autant plus que c’est un sujet sur lequel les États-Unis n’en démordent pas; le pays est campé sur sa position que ces mesures s’autojustifient. On serait mal placés pour essayer de faire marche arrière sur ce que nous avons essentiellement concédé dans la négociation de l’ACEUM. »

« Ce que nous devons faire, comme le dit tant de monde, c’est repenser notre politique commerciale tout entière. Espérons qu’il ressorte de tout cela un mouvement salutaire, chez la population comme au gouvernement du Canada, vers la diversification de nos partenaires. »

Nous avons des accords d’échange solides avec l’Europe, avec l’Asie-Pacifique, et avec de multiples pays en Afrique et en Amérique du Sud.

« Maintenant, il faut intensifier nos missions économiques pour exploiter à fond le potentiel des marchés que nous avons conclus », maintient le juriste.

 

Qu’adviendra-t-il si le premier ministre ontarien Doug Ford bloque les exportations d’énergie?

 

« Je crois qu’il y aura certainement une riposte contractuelle – des réclamations contre le Canada, potentiellement devant les tribunaux canadiens –, si Doug Ford coupe les vivres abruptement comme ça. L’Ontario devra bien réfléchir à la défense qu’il compterait opposer dans ce cas particulier. »