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Investisseurs c. L'État

<p> Les accords commerciaux tels le TPP devraient-ils permettre aux investisseurs étrangers de se prévaloir d&rsquo;un système de justice parallèle pour faire valoir leurs droits contre les États ? Et comment s&rsquo;entendre sur un mécanisme pour le remplacer ?</p>

Louise Barrington, Arbitre internationale agréée, Toronto & Hong Kong
Louise Barrington, Arbitre internationale agréée, Toronto & Hong Kong Photographie : Tina Chang

C’est un système qui a évolué pour répondre aux défis juridiques propres au commerce international. Mais tandis que les accords continuent de proliférer, la portion des traités qui gère les conflits entre États et investisseurs étrangers s’avère un enjeu politique de plus en plus présent, après des années passées dans les sphères obscures et confidentielles des relations entre avocats. Un inconfort grandissant à l’égard de failles perçues pousse maintenant des opposants à réclamer des changeme

Les protestations actuelles découlent en grande partie du Partenariat transpacifique, et d’un document de travail obtenu par Wikileaks et publié par le New York Times au début de l’année 2015. (Les négociations du TPP ont abouti à un accord de principe en octobre. Une copie finale de l’entente, rendue publique en novembre, indique que le mécanisme d’arbitrage entre investisseurs et État (AIE) est semblable à celui prévu dans d’autres accords commerciaux majeurs.)

L’ébauche d’entente a exposé l’approche du TPP à l’égard de l’AIE, un système par lequel les investisseurs étrangers peuvent intenter un recours contre un État pour des décisions du gouvernement qui affectent leur investissement, par l’entremise de panels d’arbitrages composés d’avocats, et non pas de juges. Le brouillon, daté du 20 janvier 2015, démontre bien que les négociateurs s’attendaient à ce que l’inclusion de l’AIE soit controversé : une mention prévoit que le chapitre sur l’arbitrage demeure classifié pendant les quatre premières années suivant l’entrée en vigueur de l’accord.

Ils s’attendaient à une controverse et ils l’ont eue. À Washington, des démocrates influents ont protesté contre ce qu’ils ont décrit comme des attaques envers la souveraineté nationale. « Cela poursuit la grande tradition américaine des compagnies qui rédigent des accords commerciaux en ne les divulguant à presque personne et le faisant le plus souvent au détriment des consommateurs, de la santé publique et des travailleurs », a dénoncé le sénateur de l’Ohio Sherrod Brown. Les Canadiens parlaient déjà des AIE en raison d’une autre entente : l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne. Le chef de l’Opposition officielle, Thomas Mulcair, a affirmé devant un groupe de réflexion français à la fin de 2014 que l’Europe ne devrait pas ratifier l’AECG s’il inclut de telles dispositions.

Cette opposition ne s’est pas limitée aux politiciens de la gauche. L’Institut CATO, un groupe de réflexion libertarien des États-Unis, a récemment été l’hôte d’un débat animé sur les AIE, avec des experts de premier plan tels que l’analyste des politiques commerciales Simon Lester. Ils ont fait valoir que le modèle actuel est opaque et fondamentalement injuste puisqu’il favorise les droits des investisseurs au détriment de tous les autres. « En droit international des investissements, ces droits ne sont accordés qu’à un groupe restreint – les investisseurs étrangers – et en vertu d’un cadre quasi judiciaire incertain et imprévisible », a écrit M. Lester.

En Europe, les AIE sont attaqués non seulement par les opposants habituels à la mondialisation, mais aussi par la droite. Marine Le Pen, chef du parti français d’extrême droite le Front national, a pourfendu la clause d’AIE dans le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI) en négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, le décrivant comme une tentative de miner la souveraineté des États membres. Le cousin idéologique du FN au Royaume-Uni, le UK Independance Party (UKIP), n’a lui non plus aucune sympathie pour les clauses d’AIE. Le député euro Roger Helmer a qualifié ces dispositions dans le TTIP de « tribunal d’arbitrage privé et dirigé par les compagnies qui permet aux multinationales de poursuivre les États si leurs profits sont remis en question ».

« La notion de droit international a toujours animé l’extrême droite de manière négative », dit Andrea Bjorklund, titulaire de la Chaire L. Yves Fortier en arbitrage et droit commercial international à l’Université McGill. « Mais oui, ce sont de drôles d’alliés. »

Opinions divergentes

Il n’est pas difficile de voir pourquoi l’AIE soulève ainsi les passions de part et d’autre du spectre politique. Le système, comme le magazine The Economist l’a décrit en 2014, semble être pour plusieurs un moyen de « convaincre le public que des accords de commerce international sont un moyen pour les multinationales de s’enrichir au détriment des gens ordinaires ».

« Il semble y avoir un point de vue conservateur pro libre-échange qui se développe et qui perçoit les dispositions relatives à l’AIE comme étant de trop », note Gus Van Harten, un professeur associé à la Faculté de droit de Osgoode Hall et l’un des opposants les plus en vue de l’AIE.

« Les mécanismes d’AIE sont une forme d’ingérence sur les marchés.Ils délogent les autres mécanismes de règlement des différends prévus dans les contrats. C’est un processus extrêmement coûteux, donc qui avantage les compagnies étrangères les plus fortunées. »

Des clauses d’AIE sont intégrées à plus de 3000 traités dans le monde; le TPP étendrait grandement leur portée à 12 pays, 800 millions de personnes et 40 % du PIB mondial. En vertu de ces dispositions, les investisseurs étrangers ont le droit de poursuivre le gouvernement d’un pays pour des gestes arbitraires qui annulent ou limitent leurs droits de propriété. Les décisions qui émanent du processus ne peuvent servir à annuler une politique étatique – mais elles peuvent ordonner aux États de payer de vastes sommes d’argent en guise de compensation. Dans une seule réclamation d’AIE présentée contre l’Équateur après que le gouvernement eut annulé un contrat d’exploration pétrolière avec la compagnie américaine Occidental Petroleum, l’État s’est vu ordonner par un tribunal d’AIE de payer 1,77 milliard de dollars en compensation – en gros ce que le pays paie en services de santé chaque année. En 2013, la multinationale pharmaceutique Eli Lilly a poursuivi le Canada en vertu des règles d’AIE de l’ALENA pour 500 millions $, accusant les tribunaux canadiens d’avoir illégalement annulé deux de ses brevets (le Canada conteste cette réclamation).

« Je dis toujours à mes étudiants de ne pas penser à l’AIE en tant que système, parce que ce n’en pas un », dit Debra Steger, une professeure de droit à l’Université d’Ottawa qui a rédigé un article très consulté en 2012 sur la création de mécanismes d’appels pour l’AIE.

Rien dans le droit international des investissements n’était prévu, dit-elle. « C’est un domaine qui a pris de l’expansion un peu par accident, avec l’explosion des nouveaux traités d’investissements dans les années 1990. C’était basé sur un modèle d’arbitrage commercial, mais ce n’était pas conçu spécifiquement [pour ces fins]. »

Une réclamation d’AIE est entendue par un panel de trois arbitres, généralement, l’un étant nommé par les investisseurs, l’autre par l’État et le troisième de consentement mutuel. Ces arbitres sont des avocats, et non pas des juges. Ils n’ont pas à suivre les précédents et leurs décisions ne sont pas soumises à un mécanisme d’appel, bien qu’il y ait une possibilité limitée d’annuler une décision en vertu de la Convention sur le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ou d’une convention de l’ONU.

Les arbitres ne font pas partie de la fonction publique et ils facturent à l’heure ou à la journée. Les firmes qui font ce genre de travail peuvent récolter 3,5 millions $ avec un seul dossier, et même plus – un facteur qui selon les opposants est un incitatif pour que les procédures s’éternisent. Enfin, parce que les arbitres ne sont pas des juges, ils n’ont pas à observer les mêmes strictes exigences à l’égard des conflits d’intérêts; ils peuvent donc travailler des deux côtés de la clôture, agissant comme arbitre dans un dossier, représentant un investisseur étranger dans un autre – une situation qui selon certains ouvre la porte aux abus.

« Si vous agissez comme arbitre et comme avocat en même temps, vous avez le potentiel de rendre une décision qui favorise l’un de vos clients », estime Gus Van Harten de Osgoode Hall. « C’est pourquoi nous ne laissons pas les juges travailler comme avocats : il y a clairement un conflit. Les parties peuvent contester la nomination d’un arbitre en particulier, mais en ce moment, c’est la seule protection. »

Le modèle d’AIE est basé sur celui de l’arbitrage commercial, qui accorde une grande valeur à la confidentialité. La plupart des décisions d’AIE sont maintenant rendues publiques, mais le gros de la documentation ne l’est pas (à l’exception des dossiers de l’ALENA, qui – mais ces dossiers ne représentent que 15 % des AIE dans le monde). Ce seuil de confidentialité peut s’avérer problématique pour les États forcés de payer des dédommagements, puisqu’ils ne peuvent fournir d’explication précise
aux contribuables.

C’est sur la question de la divulgation que le modèle de l’AIE a vu ses réformes les plus significatives au cours des deux dernières décennies. En 2001, les États membres de l’ALENA ont diffusé une déclaration d’interprétation voulant que rien dans l’entente n’empêche les parties de rendre des arbitrages publics; même les opposants des AIE reconnaissent que le Canada, les États-Unis et le Mexique ont été assez bons en matière de divulgation. En 2001 dans le dossier Methanex, qui a vu le fabriquant canadien d’additif pour l’essence être banni de la Californie et réclamer une compensation en vertu du chapitre 11 de l’ALENA, le panel d’arbitrage a consenti pour la première fois à laisser une partie externe, l’Institut international du développement durable (IIDD), déposer un mémoire d’amicus, élargissant un tant soit peu le cercle restreint des participants aux AIE.

Les règles depuis 2014 sur la transparente de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI) prévoient la publication des documents des tribunaux, transcriptions et décisions. Elles permettent aussi les déclarations de tierces parties et requièrent que la plupart des audiences soient publiques. Mais elles ne s’appliquent pas aux nouvelles procédures d’arbitrage entreprises en vertu des traités existants (l’ébauche d’entente du TPP inclut des règles sur la transparence qui prévoient que la documentation sera rendue publique sur internet et que les audiences seront ouvertes au public). À la fin de 2014, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention de l’île Maurice sur la transparence, qui permet aux pays qui l’adoptent d’appliquer les règles sur la transparence de la CNUDCI aux traités existants; le Canada est l’un des États qui a adopté cette Convention.

Qui est maintenant désavantagé ?

L’AIE a été conçu comme une avenue juridique parallèle pour protéger les investissements étrangers dans les pays au système judiciaire fragile, ou lorsque les frontières entre le judiciaire et l’exécutif est flou. Ce système est donc attrayant pour des pays comme le Canada qui sont hautement dépendants de leur industrie des matières premières. Un manufacturier peut toujours démonter sa machinerie et déménager hors d’un pays qui refuse de respecter ses droits de propriété. Une compagnie d’exploitation des ressources naturelles – minière ou forestière – doit aller là où les ressources se trouvent.

« Dans certains pays, les tribunaux ne sont pas nécessairement équipées pour protéger les droits d’un investisseur étranger », note Andrea Bjorklund. « Et il y a une préoccupation généralisée quant à la possibilité que des étrangers soient désavantagés dans une cour à cause du parti pris. Cet argument est beaucoup moins important dans un pays doté d’un système judiciaire efficace. Mais même parmi les 28 pays membres de l’UE, vous avez des pays avec des systèmes de justice très faibles. »

Et c’est là que les partisans des AIE se distinguent de plusieurs conservateurs pros échanges commerciaux. Les AIE se sont développés dans un contexte très restreint, qui consistait principalement en des investisseurs nord-américains ou ouest-européens qui opéraient dans des pays largement non occidentaux, et où les systèmes de justice n’étaient pas considérés comme étant assez expérimentés, honnêtes ou indépendants pour protéger les fonds étrangers. Mais la tendance en matière de commerce international au cours des deux dernières décennies a été de conclure des accords très vastes impliquant plusieurs États et qui soumettent toutes ces parties aux mêmes règles d’AIE. Ainsi, tandis que les investisseurs de pays plus modestes n’ont pas nécessairement les ressources pour s’en prendre aux États-Unis, par exemple, une multinationale japonaise pourrait certainement le faire. «  [Le représentant américain du commerce] dira que les États-Unis n’ont jamais perdu une cause, mais vous allez assister à beaucoup plus de contestations à l’avenir », a fait valoir le sénateur Brown au Times. « Il y a un chaudron rempli d’or à la fin de cet arc-en-ciel pour ces compagnies. »

« La perspective fait peur aux gouvernements et vous en voyez maintenant les contrecoups politiques », note Louise Barrington, une arbitre internationale agréée qui partage son temps entre Toronto et Hong Kong. 

« Lorsque leur pays se fait ordonner de payer une compensation, les gens commencent à y porter attention. Lorsque c’était seulement les Américains, les Canadiens et les Européens qui se rendaient, disons, au Népal pour investir, peu de gens dans ces pays y portaient attention – jusqu’à ce que les rôles soient inversés.

En d’autres mots, les « contrecoups politiques » contre les AIE portent réellement sur la souveraineté nationale : c’est à dire sur la question de savoir si des décisions d’arbitrage ont le pouvoir de renverser ou diminuer l’importance des décisions prises par un gouvernement souverain. Les tribunaux d’AIE n’ont pas le pouvoir d’ordonner à un État d’annuler ou de modifier une loi ou un règlement. Mais les vastes sommes d’argent en jeu pourraient le convaincre de reculer, surtout si les parties s’entendent avant qu’une décision soit rendue.

« Mais souvenez-vous : les investisseurs perdent plus de la moitié des dossiers qu’ils soumettent à l’arbitrage », souligne Andrea Bjorklund.

Comme preuve que les dossiers d’AIE ont le potentiel de changer des politiques gouvernementales, les opposants citent souvent la décision de l’Allemagne en 2011 de régler une réclamation de 1,4 milliard d’euros déposée par la compagnie énergétique Vattenfall à l’égard d’une décision du gouvernement d’imposer des restrictions strictes à l’égard de l’utilisation de l’eau dans une usine à bâtir et qui serait alimentée au charbon. L’Allemagne a éventuellement retiré ces restrictions. Encore mieux connu est le dossier toujours actif du fabricant de cigarettes Philip Morris, qui a intenté un recours contre la décision du Royaume-Uni d’imposer un emballage neutre en tant que mesure de protection de la santé et qui a déjà contesté des règles australiennes semblables en vertu d’un traité d’investissement entre l’Australie et Hong Kong.

Le dossier Philip Morris est aussi cité en exemple pour une autre faiblesse des AIE : le magasinage de traité, c’est-à-dire lorsqu’un investisseur réorganise sa structure corporative afin d’exploiter une clause d’AIE dans un traité bilatéral. Dans ce cas-ci, l’Australie a accusé Philip Morris d’avoir déménagé son siège régional à Hong Kong pour tirer avantage de ce traité.

En même temps, les défendeurs du projet TPP font remarquer qu’il comprend des dispositions reconnaissant aux gouvernements le droit d’adopter des lois dans l’intérêt public, notamment en matière de l’environnement et de la santé publique.

Pas de précédent

Mais plusieurs opposants estiment que le vrai problème des AIE n’est pas son potentiel pour les conflits d’intérêts, ou le risque que les États prennent des décisions politiques guidées par la menace d’une réclamation. C’est plutôt que le système des AIE n’est pas conçu de manière à corriger ses propres faiblesses.

Dans une cour de justice ordinaire, on s’attend à ce que les jugessuivent les précédents et qu’on puisse en appeler de leurs jugements – deux facteurs qui doivent assurer que la loi est appliquée de manière constante et sans parti pris. L’AIE ne fonctionne pas de la même manière. Sa procédure de révision est basée sur la procédure, et non le droit, donc elle n’est pas destinée à corriger des incohérences ou erreurs de fond.

Certains jugent que l’absence de constance des AIE mine leur raison d’être. « La raison d’être des traités est d’assurer un certain niveau de certitude et de prévisibilité dans la manière dont les États agissent l’un envers l’autre », note Debra Steger de l’Université d’Ottawa.

Or, « le droit international des investissements est complètement fragmenté, et c’est pourquoi vous voyez des décisions très différentes sur des dossiers avec des faits très similaires. Je connais trois tribunaux différents qui ont rendu une décision contre le Mexique pour trois différentes compagnies – les dossiers étaient très similaires, mais les décisions étaient différentes. Et c’est seulement en vertu d’un seul traité. »

« Donc oui, ça revient un peu à un jeu de hasard. Le manque de certitude, de constance dans les résultats n’est pas une bonne chose pour les gouvernements ou pour la planification commerciale. »

Un meilleur régime d’AIE ?

Toutes ces critiques mènent à une chose : le modèle d’AIE est maintenant profondément controversé dans les capitales occidentales. Les négociations en cours entre les États-Unis et l’Union européenne s’étaient butées à des obstacles sur plusieurs fronts à la fin du mois de septembre, mais c’est l’hostilité largement répandue en Europe à l’égard de l’AIE qui menaçait la survie elle-même de l’entente. En juillet, le Parlement européen a voté pour appuyer le PTCI à la condition que les AIE soient remplacées par un mécanisme qui s’apparente davantage au système judiciaire conventionnel.

Il y a un déficit de confiance fondamental de la part du public concernant l’équité et l’impartialité du modèle traditionnel d’AIE », a dit aux journalistes en septembre la Commissaire européenne pour le commerce extérieur. Cecilia Malmström faisait l’annonce de l’approche privilégiée par la Commission européenne : une cour permanente d’investissement pour trancher les dossiers de réclamations entre investisseurs et États.

Cette cour emploierait 15 juges indépendants qui seraient nommés par l’UE, les États-Unis et un pays tiers. Elle tiendrait des audiences publiques et aurait un niveau d’appel de six juges. La CPI interdirait le magasinage de traités (on ignore comment), limiterait et définirait les types de conduites discriminatoires qui pourraient donner lieu à une réclamation par un investisseur étranger, et affirmerait de manière explicite le droit des États de légiférer pour le bien du public.

En somme, le modèle de CPI est une tentative de compromis, et comme toute tentative du genre, elle ne fait pas que des heureux. Ceux qui agissent dans le secteur de l’arbitrage remettent en question le besoin de créer un nouvel organisme bureaucratique au plan international, avec tous les risques de bureaucratisation et d’impasses que cela comporte.

« Je crois que ça pourrait finir par ressembler aux Nations unies : une institution qui semble merveilleuse en théorie, mais qui s’empêtre dans la rectitude politique », croit Martin Vasalek, chef de l’Arbitrage international au sein de la firme Norton Rose à Montréal. « Il y a un risque que des juges se sentent obligés de représenter les intérêts des pays qui les nomment. »

« Et qu’arrive-t-il si vous avez une mauvaise décision de la cour internationale d’appel sur l’investissement ? Vous devez vivre avec. Les AIE sont flexibles, ils sont une feuille blanche parce qu’ils ne sont pas strictement limités par les précédents. »

Louise Barrington y voit un problème potentiel de crédibilité : « Plusieurs États avec des économies en développement sentent que le système d’arbitrage penche déjà en faveur des pays de l’ouest. Imaginez comment ils réagiraient si un groupe de vieux bonshommes prenaient toutes ces décisions à partir d’une capitale occidentale. »

Pour Andrea Bjorklund le problème est d’ordre pratique, notemment en ce qui concerne le PTCI et les traités futurs. « Est-ce que tous les traités seraient soumis à un seul palier d’appel, ou y aurait-il un palier d’appel pour chaque traité? Une telle entité ne contreviendrait-elle pas au droit souverain des États de participer à un traité ? L’idée d’un traité d’investissement unique à l’échelle mondiale me paraît comme étant de la pure fabulation à l’heure actuelle. » 

« Si vous voulez éliminer les risques de conflits d’intérêts, vous devrez payer aux arbitres un salaire suffisamment élevé pour écarter la tentation de prendre d’autres mandats. Qui paierait pour cela ? »

Gus Van Harten souligne que si une CPI réglerait certains problèmes de l’AIE, elle ne réglerait pas le problème principal : le fait que les investisseurs étrangers ont accès à un système de justice distinct, dédié exclusivement à leurs réclamations contre les États.

« Imaginez une charte des droits qui ne protégerait que les multinationales et les étrangers fortunés, par l’entremise d’ordonnances de compensations qui ne sont soumises à aucune limite », dit-il.

Si les gouvernements sont sérieux dans leur volonté de réformer l’arbitrage entre investisseurs et États une forme ou une autre d’entité internationale est sans doute le meilleur moyen de le faire. Le plus difficile sera de réconcilier cette approche avec plus de 3000 ententes existantes de commerce international.

« Mais si nous ne commençons pas à penser à ces choses-là maintenant, comment allons-nous sortir de ce processus ad hoc qui ne semble satisfaire personne », demande la professeure Steger. « Je ne parle pas des arbitres eux-mêmes : ils font des pressions intensives pour garder le système tel qu’on le connaît. »

« Les AIE peuvent être réformées. La raison pour laquelle les mécanismes d’AIE ont été établis au départ, était pour éviter que des investisseurs étrangers n’intentent des recours devant les tribunaux nationaux […]. Nous n’avons pas besoin de jeter le bébé avec l’eau du bain. »