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Le travail des détenus

Personne n’est censé faire fortune en travaillant en prison. Mais plusieurs détenus s’appauvrissent en travaillant derrière les barreaux.

Barbed wire on prison grounds
iStock

Les détenus dans les établissements fédéraux et provinciaux peuvent obtenir un certain nombre d’emplois – balayer les planchers, préparer la nourriture ou même réparer de l’équipement pour la Défense nationale. La plupart sont des tâches de base, mais elles offrent une chance de faire quelque chose de productif derrière les barreaux, et de faire un peu d’argent. Du moins, c’est ce qui devrait se passer.

Au fil des ans, le Canada, tout comme les États-Unis, est devenu de plus en plus dépendant du travail accompli par les détenus. Pendant ce temps, le salaire des détenus a décliné, tandis que le système correctionnel cherche à limiter ses coûts.

Avoir de l’argent en prison est important : pour commercer, les prisonniers ont souvent besoin d’acheter de la nourriture des cantines pour complémenter leur alimentation. La qualité de la nourriture en prison s’est empirée au cours des dernières décennies, une autre conséquence de la recherche d’économies par le gouvernement fédéral.

Et il y a les dépenses de routine. En 2016, Ottawa a finalement mis en oeuvre son très attendu catalogue national d’achat des détenus. Selon un rapport du Bureau de l’enquêteur correctionnel, « la quantité et la qualité des articles offerts sont inadéquates, et les prix sont fréquemment plus élevés que dans la collectivité ». Un téléviseur, par exemple, peut coûter le double du même modèle à l’extérieur des murs. De plus, les détenus doivent acheter leurs propres savon et shampoing puisque Service correctionnel du Canada ne les fournit plus. 

Il n’est pas étonnant que les détenus se fient de plus en plus à des revenus d’emploi. Le problème est qu’Ottawa a décidé en 2013 de couper leur salaire de 30 %. Aujourd’hui, les détenus peuvent s’attendre à gagner de 5,25 à 6,90 dollars par jour. Mais les déductions peuvent elles aussi atteindre jusqu’à 30 %, que ce soit pour les frais liés à la nourriture, à l’hébergement, aux communications téléphoniques ou autres déductions pour amendes impayées.

Ajoutez l'inflation, et les prisonniers doivent faire face à une érosion continue et progressive de leur pouvoir d'achat, selon l'enquêteur correctionnel. Pour la plupart, il reste peu de sous pour économiser, rester en contact avec leur famille ou acheter des articles d'hygiène de base. En l'absence de ressources au moment de leur libération, les ex-détenus doivent de plus surmonter des obstacles considérables pour mener à une vie sans criminalité.

Dans un lieu de travail normal, de telles réductions salariales seraient probablement une incitation à la syndicalisation. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé à l’établissement Kent, en Colombie-Britannique. Le prisonnier David Jolivet a demandé l'autorisation de se rendre dans les cellules de l'établissement pour demander aux détenus de signer des cartes syndicales. L’institution a refusé, et Jolivet a alors porté sa contestation devant la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral et le Conseil canadien des relations industrielles.

Son dossier était simple : il a fait valoir que les délinquants incarcérés dans les pénitenciers fédéraux jouissent des mêmes droits et privilèges fondamentaux que les simples citoyens, y compris le droit de participer à une organisation syndicale.

La Commission a conclu que les détenus ne sont pas des employés en soi et que s'ils l'étaient, ils ne seraient pas considérés comme des employés du secteur public. La commission industrielle est arrivée à la même conclusion.

Asaf Rashid, un avocat basé à Toronto qui s'est penché sur une série d’enjeux juridiques auxquels les détenus sont confrontés, a rédigé un article en 2017 qui explique comment les tribunaux pourraient reconnaître le statut des détenus sous responsabilité fédérale en tant que travailleurs capables d'exercer leurs droits juridiques et garantis par la Charte.

Me Rashid a noté que l'institution exerce un contrôle sur leur manière de travailler, comme le ferait un employeur, et peut discipliner ou licencier les travailleurs. De plus, Service correctionnel du Canada « obtient un réel avantage économique grâce à la main-d’œuvre fournie par [ces employés] ».

Dans une affaire de 2017, les avocats ont fait valoir que les baisses de salaire pour les détenus et l’état général du travail dans les pénitenciers du Canada constituaient une peine cruelle et inusitée, et ont donné lieu à des poursuites dans le Code canadien du travail.

Plus d'une douzaine de détenus et d'anciens détenus ont introduit une demande de contrôle judiciaire, alléguant qu'ils avaient subi des pressions pour travailler pour l'établissement, alors même que ce travail les avait finalement appauvris. Ils ont aussi affirmé que les baisses salariales rendaient impossible l'achat de médicaments en vente libre et réduisaient leur capacité à subvenir aux besoins de leur famille.

Le vaste recours, qui a cherché à invoquer des traités internationaux sur les droits du travail, a échoué. La Cour fédérale a conclu que la violation constitutionnelle n'était pas clairement prouvée. Elle a ensuite rejeté l'argument selon lequel le Code canadien du travail avait établi une relation employeur-employé. Elle a estimé que la loi sur les services correctionnels établit sans ambiguïté que les paiements effectués visaient à encourager la participation à des programmes en établissement et à la réinsertion sociale, plutôt que d’offrir une compensation pour le travail.

La cour a alloué les dépens au gouvernement du Canada.

Les requérants ont depuis demandé à ce que la cause soit entendue par la Cour d'appel fédérale.

Marie-Claude Lacroix, de Simao Lacroix, était l'avocate de l'un de ces détenus. Elle évoque une affaire de la Cour fédérale qui remonte à 1990 qui leur laisse un peu d'espoir de pouvoir convaincre les juges en appel que les détenus qui travaillent pour le Service correctionnel du Canada sont, en fait, des employés. Un ancien détenu avait intenté un recours pour la propriété de l'art qu'il avait créé pendant son incarcération. La Couronne a eu gain de cause en faisant valoir que le demandeur avait été payé pour le travail, ce qui lui conférait la propriété du produit final.

Les tribunaux ont évolué sur le plan de la reconnaissance des droits des prisonniers, estime Me Lacroix. Mais les progrès ont été lents et nécessitent une plus grande attention. À l'heure actuelle, de nombreux détenus sont obligés de se représenter eux-mêmes et l'accès à un avocat est un enjeu qui persiste.