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Se réconcilier avec le droit autochtone

Nous devons réfléchir davantage à la manière dont le droit autochtone a été conçu et comment il doit être mis en œuvre aujourd’hui.

Bridge of balance
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William Connolly était apprenti au sein de la Compagnie du Nord-Ouest à l'aube du 19e siècle, faisant ses premiers pas dans une carrière dans le commerce de la fourrure qui allait le laisser mourir riche 62 ans plus tard. À l'âge de 17 ans, il a rencontré et épousé une Métisse Crie, Miyo Nipiy, belle-fille d'un chef influent. Ils ont eu six enfants.

En 1832, ayant gravi les échelons de l’entreprise, il a déménagé à Montréal et a désavoué son premier mariage, avant de marier sa deuxième cousine. Après sa mort, l’un des enfants de son premier mariage a intenté un recours pour obtenir sa part de l’héritage – et a eu gain de cause.

L’histoire mouvementée de William Connolly importe à présent pour une seule raison : elle prouve qu'au Canada, longtemps après que la colonisation était bien avancée, le droit et les coutumes autochtones (les coutumes du mariage, par exemple) étaient suffisamment vivants pour être considérés par les tribunaux comme une partie valide du corpus de droit commun.

C’est un point important à retenir alors que le projet de réconciliation va de l’avant. Malgré l'héritage de la Loi sur les Indiens, qui visait à écraser les ordres juridiques autochtones pour faire place au droit de la Couronne, ces ordres juridiques ne sont jamais morts, ne sont jamais complètement disparus. Et ils commencent maintenant à refaire surface.

L’un des plus grands défis du fédéralisme régi par traités et du projet de réconciliation est d’intégrer les ordres juridiques autochtones d’une manière qui respecte à la fois leur contenu original et ce « principe de continuité » qui a rendu le premier mariage de M. Connolly valide en droit britannique.

Le 20 juin à Banff, la conférence sur le droit autochtone de l’Association du Barreau canadien tiendra un panel sur la conciliation entre le droit de la Couronne et les ordres juridiques autochtones. Alors qu'Ottawa entreprend de « décoloniser » ses lois et que les communautés autochtones redécouvrent et adoptent d'anciens ordres juridiques, les tribunaux et les législateurs devront gérer l'émergence d'une nouvelle sphère du droit tout en évitant les conflits.

« Nous constatons de plus en plus de pression pour reconnaître que le droit autochtone occupe un statut spécial, comme celui du Québec », explique Joshua Nichols, professeur adjoint de droit à l'Université de l'Alberta et participant au prochain panel.

C’est dans la sphère locale que les ordres juridiques autochtones semblent avoir trouvé la plus grande marge de manœuvre pour s’exprimer. Les cercles de détermination de la peine, par exemple, sont un aspect assez familier des tribunaux canadiens modernes. En 2015, le tribunal des Premières nations en C.-B. est allé beaucoup plus loin, en appliquant la loi et le processus salish pour régler le dossier de deux chasseurs surpris en violation de la Loi sur la faune en tuant du gibier dans le territoire Ditidaht sur l'île de Vancouver.

Les chasseurs ont présenté leurs excuses à la communauté et ont été chargés d'aider à l'entretien de la maison longue de la communauté pendant un an.

L'issue de cette affaire révèle un trait de la tradition juridique autochtone : mettre l'accent sur l'harmonie au sein de la communauté et sur la discussion, plutôt que la punition et le jugement.

À Akwesasne, un immense territoire mohawk chevauchant les frontières du Québec, de l'Ontario et de l'État de New York, le conseil de bande a créé son propre tribunal pour faire appliquer plus de 30 lois portant principalement sur des questions locales (crimes contre les biens, assainissement, conservation de la faune). L'application du droit pénal est laissée aux tribunaux provinciaux ou fédéraux.

Le tribunal d'Akwesasne a tendance à adopter une approche anti-punitive en matière de détermination de la peine. Il n'y a pas de peine de prison. Les délinquants peuvent se retrouver condamnés à diverses formes de travaux communautaires, déployant leurs talents et leurs compétences — de la menuiserie au sport amateur — pour aider leurs voisins.

De tels modèles vont certainement se répandre à travers le Canada à mesure que les communautés autochtones prennent de plus en plus le contrôle sur la vie de leurs citoyens et que le travail académique de recherche sur les ordres juridiques autochtones se poursuit dans les universités. Selon Alan Hanna, associé chez Woodward and Company à Victoria, les tribunaux autochtones sont susceptibles de limiter leur champ d'action au niveau local.

« Une petite communauté des Premières nations va avoir du mal à gérer [des meurtres ou des infractions sexuelles] lorsque la victime et le délinquant peuvent vivre à proximité l'un de l'autre, lorsque leurs familles se connaissent depuis toujours », dit-il.

Les avocats doivent s'informer davantage sur le droit et l'histoire autochtones – la formation appropriée sur les compétences culturelles recommandée par la Commission de vérité et réconciliation et adoptée par l'Association du Barreau canadien – afin de s'assurer que les lois autochtones sont rédigées, interprétées et appliquées de manière à respecter leur sens originel.

Il est même possible que le droit de la Couronne tire des enseignements de l’approche autochtone en matière de justice — de l’idée qu’une peine de prison ne peut résoudre tous les problèmes. « L’un des aspects les plus intéressants de l’histoire canadienne est ce qui ne s’est pas passé », souligne le professeur Nichols. « Compte tenu de l'expérience autochtone après le contact, la résistance armée serait la chose la plus compréhensible au monde. »

« Et pourtant, à quelques exceptions mineures, cela n’est pas arrivé. Je vois cela comme un hommage à la nature des traditions juridiques autochtones, qui tendent à privilégier les approches discursives plutôt que la force. »