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Une étape décisive sur le chemin de la réconciliation

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones enchâssée dans le droit canadien : le fruit d’un travail de plusieurs décennies pour Romeo Saganash.

Romeao Saganash
Former NDP MP Romeo Saganash CC BY-NC-ND 2.0 by davehuehn

Quand Billy Diamond, grand chef de la Nation crie du Québec, a signé en 1977 l’accord par lequel son peuple consentait au développement hydroélectrique de la baie James, il l’a fait à contrecœur, en déclarant : « J’espère que vous comprenez tous ce que nous ressentons : ç’a été une lutte difficile; notre peuple demeure très opposé à ce projet, mais nous nous rendons compte qu’il faut partager les ressources ».

M. Diamond a pu négocier un accord sur des revendications territoriales, comprenant la somme de 235 millions de dollars en compensation, parce qu’en 1973, les Cris avaient gagné une injonction ayant stoppé temporairement les travaux dans le Nord québécois.

Il avait rallié les Cris contre le projet – qui allait provoquer l’inondation de leurs territoires ancestraux de chasse, de pêche et de trappe – et retenu les services de l’avocat montréalais James O’Reilly pour s’y opposer à la Cour supérieure du Québec.

La décision historique du juge Albert Malouf a été annulée en appel, mais le fait que cela a brièvement arrêté les bulldozers a lancé un message clair à Québec et à Ottawa : l’État ne pouvait plus traiter les Cris comme des squatteurs sur les terres qu’ils occupaient depuis des millénaires. Un tribunal avait reconnu que les Cris avaient des droits sur le territoire, et qu’on ne pouvait pas y faire du développement sans leur consentement.

Romeo Saganash, né dans la petite localité crie de Waswanipi, a décidé de faire son droit après avoir assisté à une discussion entre avocats sur cet accord historique lors d’un symposium à Montréal qui en marquait le dixième anniversaire.

En 1984, Me Saganash a représenté les Cris à une rencontre des Nations Unies à Genève; un groupe de travail commençait à préparer ce qui allait devenir la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), adoptée par l’ONU en 2007.

En 2011, il a été élu député fédéral du NPD pour sa circonscription et, à deux reprises, il a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire pour faire inscrire la DNUDPA dans la législation canadienne. La deuxième tentative, le projet de loi C-262, est morte au feuilleton quand le Parlement a été prorogé en août 2020.

Quelques mois plus tard, en début décembre, le ministre de la Justice David Lametti a déposé le projet de loi C‑15, qui obligerait le gouvernement à enchâsser la DNUDPA dans la loi, ce qui demande un long processus bureaucratique puisqu’il faut étudier la législation canadienne pour s’assurer que celle-ci et la DNUDPA sont compatibles. 

 

Pour Me Saganash, qui s’est retiré de la vie politique en 2019, c’est là un pas important vers la réconciliation qui est le fruit de décennies de dur labeur.

Comme il le rappelle : « En 2004, dans l’arrêt Nation haïda, la Cour suprême a déclaré que la réconciliation avait pour objectif de retrouver l’équilibre entre la souveraineté préexistante des peuples autochtones et la souveraineté assumée de la Couronne. La Déclaration des Nations Unies n’est qu’un instrument encadrant parmi d’autres. Vous avez aussi les traités, le droit autochtone, la Constitution bien sûr, sans oublier la jurisprudence constituée au fil des arrêts de la Cour suprême; tous autant d’instruments qui encadrent le droit et se renforcent mutuellement. »

Les 46 articles de la Déclaration, laquelle est souvent décrite comme un document « ambitieux » pensé et rédigé méticuleusement sur 40 ans, ont établi des principes de droit permettant aux Autochtones de prendre leur destinée en main tout en bénéficiant des privilèges de la citoyenneté de leur nation-État sans discrimination ni assimilation forcée.

Les critiques de la DNUDPA s’inquiètent souvent de l’exigence du « consentement préalable – donné librement et en connaissance de cause – des peuples autochtones […] avant l’approbation de tout projet ayant des incidences sur leurs terres ou territoires et autres ressources », craignant que cela donne un droit de veto sur tout projet de développement économique tel qu’un pipeline. Me Saganash qui a négocié la « Paix des Braves » en 2002, une version modernisée de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, n’est pas de cet avis : « Depuis 1975, explique-t-il, les Cris ont signé plus d’une centaine d’accords avec le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial, des sociétés forestières, des compagnies minières, etc. Ils ont donc une centaine de fois donné leur consentement avec des conditions. Le principe juridique du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause n’est pas un droit de veto. Ce n’est pas la même chose : le droit de veto est un droit absolu. »

Un autre sujet d’inquiétude fréquent : la DNUDPA ferait obstacle aux projets de développement quand des chefs héréditaires s’y opposent, comme on l’a vu à l’hiver 2020, quand les chefs des Wet’suwet’en ont fait barrage au projet de pipeline de Coastal GasLink en Colombie-Britannique, et ce, malgré le soutien au projet du conseil élu.

La DNUDPA reconnaît aux Autochtones le droit de choisir leur forme de gouvernement, ce qui signifie qu’on ne saurait ignorer les systèmes traditionnels comme la fonction de chef héréditaire. Me Saganash fait observer que les Cris ont eux-mêmes décidé de former le Grand conseil des Cris du Québec (aujourd’hui le gouvernement de la Nation crie) pour les représenter sur la scène politique. « Nous n’avons pas choisi la forme traditionnelle. C’est l’affaire de chaque nation. Je ne peux pas vraiment commenter sur les relations des Wet’suwet’en ou des Mi’kmaq avec les gouvernements; c’est eux que ça regarde. »

Alisa Lombard, une spécialiste du droit des autochtones qui travaille chez Semaganis Worme Lombard à Saskatoon, estime que le gouvernement risque de se buter à des obstacles auprès des autorités autochtones concurrentes, mais c’est là le résultat des structures créées par les gouvernements successifs pendant les nombreuses décennies où ils ont tenté de détruire les cultures autochtones.

« Les incohérences ainsi que les organes de gouvernance et les intérêts qui se concurrencent par l’action de ces différents organes : tout ça, c’est le fait de la Couronne, poursuit-elle. Alors oui, c’est devenu le problème de la Couronne – un problème que je ne crois pas qu’elle prévoyait puisqu’il n’aurait pas existé si sa politique avait réussi et que les Autochtones avaient été soit assimilés soit annihilés, ce qui était l’intention évidente. Plus personne alors ne parlerait des droits autochtones. »

Me Lombard est d’avis que les idées contenues dans la DNUDPA, soit la reconnaissance officielle des formes de gouvernement autochtones, représentent une clé au carcan des structures imposées par la Loi sur les Indiens.

« La Loi sur les Indiens n’est pas une constitution, dit-elle. C’est un instrument naturel pour la Couronne, mais en fait, ça ne l’est pas du tout. Cette loi n’a aucun sens pour les Autochtones. À mon avis, c’est principalement parce que ceux-ci ne sont pas des “Indiens” : ce sont des Mi’kmaq, des Wet’suwet’en, des Kanienkehaka… Si on se fie aux Robert’s Rules of Order comme seul et unique modèle d’autogouvernement, en réalité on fait fausse route. »

La DNUDPA offre une meilleure solution en matière de souveraineté des collectivités autochtones, poursuit-elle.

« Au bout du compte, tous les pouvoirs sont délégués par la Couronne, et c’est ça le vrai problème. On ne bâtit pas une maison solide sur des assises chancelantes. » Les Autochtones ne sont pas tous pour le projet de loi C‑15. Des activistes comme Russ Diabo, qui a fait campagne contre Perry Bellegarde pour l’office de chef national de l’Assemblée des Premières Nations en 2018, juge que le gouvernement subordonne la DNUDPA au droit canadien.

Peter Kulchyski, professeur d’études autochtones à l’Université du Manitoba, comprend les critiques comme celles de Diabo, mais il est d’avis que ce projet de loi constituera un précieux outil juridique pour les Autochtones.

« Il existe déjà bon nombre de ressources juridiques pour eux, et ils vont très certainement puiser dans la DNUDPA, mais la véritable force des sociétés autochtones, ce sont leurs liens avec la terre et leur culture traditionnelle, commente-t-il. »

« Vous pouvez avoir les meilleurs avocats au monde, mais c’est votre force sur le terrain qui détermine ce que vous pouvez obtenir. C’est mon avis, d’après mes années de travaux sur les politiques autochtones. »