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Redresser les torts causés aux animaux au Canada

Pour la première fois dans une élection fédérale, la question du bien-être des animaux se retrouvait sur scène.

Illustration labrador in an animal shelter

En cette année d’élections fédérales, le Parti conservateur, le Parti libéral, le NPD et le Parti vert avaient tous intégré des engagements à l’égard du bien-être animal dans leur plateforme.

« Nous sommes ravis », confie Barbara Cartwright, directrice générale d’Animaux Canada, la plus grande organisation en son genre au pays, qui représente des organismes de protection des animaux, de prévention de la cruauté envers les animaux et de sauvetage d’animaux.

« À ma connaissance, c’est la première fois qu’on reconnaît l’importance du bien-être et de la protection des animaux. Les politiciens prennent enfin conscience du fait que les Canadiens et Canadiennes se soucient des animaux. Plus de 60 % des foyers canadiens ont un animal, et 90 % des Canadiens qui possèdent un animal le perçoivent comme un membre de la famille à part entière. »

Le fait que les animaux figurent dans les annonces et les engagements d’une campagne électorale est « assez significatif », estime Camille Labchuk, directrice générale d’Animal Justice, la seule organisation nationale de défense du droit des animaux.

Cela dit, amener les partis à tenir leurs promesses une fois élus est une lutte constante, et cette question ne risque pas de faire exception selon Mme Labchuk.

« Ce n’est jamais facile de faire adopter des mesures de protection des animaux dans ce pays. »

Dans chaque cas – qu’il s’agisse du long parcours du projet de loi « Free Willy » interdisant la captivité des baleines et des dauphins, de l’élargissement tant attendu de la définition de la bestialité ou des efforts pour interdire l’essai de cosmétiques sur les animaux –, « les industries qui profitent directement et richement du mauvais traitement infligé aux animaux » s’opposent à l’adoption de mesures de protection et de bien-être des animaux.

« Elles sont pourtant nécessaires, car le Canada continue d’avoir certaines des pires lois du monde occidental sur la protection des animaux », ajoute Mme Labchuk.

Sans compter que, comme le montrent les sondages année après année, de nombreux Canadiens désirent prendre en compte les questions relatives au traitement des animaux lorsqu’ils votent. Les politiciens n’ont plus le luxe d’ignorer ces problèmes.

Les conservateurs ont promis d’interdire les usines à chiots et l’importation d’animaux élevés dans de mauvaises conditions. Ils ont également promis d’empêcher les éleveurs et les vendeurs non éthiques de tromper le public avec de fausses déclarations.

Le parti s’est aussi engagé à interdire l’essai de cosmétiques sur les animaux, à l’exemple de l’Union européenne. Pour leur part, les libéraux ont promis de réaliser des engagements similaires dès 2023 et d’éliminer progressivement les tests de toxicité sur les animaux d’ici 2035 – ce à quoi l’UE et les États-Unis se sont déjà engagés. Le parti affirme également que, s’il est réélu, il présentera un projet de loi pour protéger les animaux en captivité.

Les verts promettent quant à eux d’adopter un projet de loi exhaustif sur le bien-être animal. La loi interdirait le traitement indigne des animaux d’élevage et établirait des normes minimales de traitement des animaux, de densité d’hébergement, de distances de transport et de conditions de détention dans les abattoirs et les marchés de vente aux enchères.

Autre signe des temps, conservateurs, libéraux et néo-démocrates se sont tous engagés à prévenir de futures pandémies en s’attaquant au danger présenté par les marchés d’animaux et le commerce d’espèces sauvages.

Les conservateurs ont promis de mettre fin à l’importation et au commerce d’animaux sauvages ou exotiques et des produits qui posent un risque élevé de propagation de zoonoses et d’inciter la fermeture des marchés internationaux d’animaux sauvages mal réglementés. Parallèlement, les libéraux s’engagent à travailler avec des partenaires pour contrer le commerce illégal d’espèces sauvages et mettre fin au commerce de l’ivoire d’éléphant et de la corne de rhinocéros au Canada.

Selon l’organisme Protection mondiale des animaux, au moins 1,8 million d’animaux sauvages, en provenance de 76 pays, ont été importés au Canada entre 2014 et 2019 pour être utilisés dans la médecine traditionnelle, dans la mode de luxe ou comme animaux de compagnie exotiques. Quatre-vingt-treize pour cent de ces animaux n’avaient fait l’objet d’aucun permis ni test de dépistage des agents pathogènes. Pourtant, 75 % des maladies infectieuses qui ont émergé ces dix dernières années, dont le SRAS et la fièvre d’Ebola, provenaient d’animaux, essentiellement des animaux sauvages. Le commerce d’espèces sauvages a d’ailleurs probablement joué un rôle important dans l’épidémie de COVID-19.

Selon Mme Labchuk, la mesure la plus importante que le Canada pourrait prendre pour prévenir une éventuelle nouvelle pandémie serait de mettre fin au commerce d’espèces sauvages et d’encourager les autres pays à faire de même.

« Le commerce légal nous met aussi en danger, car toute interaction avec des animaux sauvages est intrinsèquement risquée. Moins nous en avons, moins il y a de chances qu’un nouveau virus franchisse la barrière des espèces. »

Le problème ne concerne pas que l’importation, mais aussi l’exportation. Les libéraux ont promis de mettre fin à l’exportation de chevaux vivants destinés à l’abattage. Ces chevaux sont en effet mis sur les avions dans des caisses avec d’autres chevaux sans séparation et sans espace de tête approprié.

« Ils sont essentiellement courbés pendant plus de 12 heures », explique Rebeka Breder, avocate de Vancouver. Me Breder a représenté la Coalition canadienne pour la défense des chevaux dans une contestation judiciaire visant à forcer l’Agence canadienne d’inspection des aliments à respecter ses propres règles en matière de transport. Selon la coalition, l’agence enfreint ces règles depuis des années. L’affaire risque d’être portée en appel.

Une pétition déposée au Parlement appelant à mettre fin à cette pratique a recueilli 77 684 signatures en quatre mois.

« Il n’y a aucune raison pour que les libéraux ne passent pas à l’action, affirme Me Breder. Ce n’est pas un enjeu partisan. Il s’agit d’une toute petite industrie qui génère beaucoup d’argent pour très peu de gens. D’un point de vue politique, ça ne prête pas tellement à controverse. »

Le lien entre la violence contre les animaux et la violence contre les personnes s’est également frayé un chemin dans les plateformes. Des études ont établi une corrélation significative – connu sous le nom « the violence link » en anglais - entre la cruauté envers les animaux, la violence conjugale et le mauvais traitement des enfants. Si un animal est maltraité, il est probable que femme et enfants soient dans la même situation. Une étude de l’Université de Windsor a révélé que, parmi les femmes interrogées dans des refuges pour victimes de violence conjugale, 89 % affirmaient que leur animal de compagnie avait subi le même genre de violence.

Les conservateurs promettent de dépenser 10 millions de dollars par an pour former les juges et les procureurs à une meilleure compréhension de ce lien entre les différentes formes de violence dans le système de justice pénale, d’améliorer l’échange d’information entre les agences sur le bien-être des animaux et la protection de la jeunesse, et d’ajouter la cruauté envers les animaux comme facteur aggravant dans les poursuites pour violence conjugale.

Mme Cartwright travaille depuis des années à faire connaître le lien entre les différentes formes de violence, notamment à l’occasion du congrès annuel d’Animaux Canada sur le sujet. Selon elle, la formation des policiers, des juristes, des juges et du personnel des services aux victimes est indispensable si nous voulons que ce genre d’indice soit repéré.

« Il y a indéniablement une méconnaissance de l’existence de ce lien et de ce qu’il signifie, déplore-t-elle. Il y a presque un refus du système judiciaire de reconnaître que c’est un problème. Les crimes contre les animaux doivent être pris très au sérieux. Ils n’existent pas dans le vide. »

Mme Cartwright n’a pas ici en tête le cas des tueurs en série, comme Luka Magnotta. « Ce sont des choses plus subtiles, qui échappent au système judiciaire, comme la façon dont le mauvais traitement des animaux est utilisé pour contraindre et contrôler les victimes de violence conjugale et les empêcher de partir. »

Conservateurs et libéraux ont promis de soutenir les propriétaires d’animaux fuyant la violence, afin qu’ils n’aient pas à abandonner leurs animaux.

« Nous avons essayé beaucoup de choses concernant la violence fondée sur le sexe, mais nous n’avons pas essayé de nous doter d’un filet de sécurité sociale qui reconnaît la relation entre une victime et son animal, affirme Mme Cartwright. Ce n’est pas le but suprême, mais si nous pouvions faire en sorte que le prochain gouvernement voie et comprenne ce problème, nous pourrions réduire à la fois la violence fondée sur le sexe et le mauvais traitement des animaux. »