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Le droit à un environnement sain devrait-il être enchâssé?

Au Canada, il faudrait une modification de la Constitution. Mais il s’agit peut-être de la seule voie possible.

Wind turbines on red background

Après un parcours de 50 ans, l’Assemblée générale des Nations unies a finalement adopté, en juillet dernier, une résolution historique déclarant que l’accès à un environnement propre, sain et durable est un droit humain universel.

La résolution a reçu un soutien quasi unanime et exhorte les États membres, les organisations internationales et les entreprises à redoubler d’efforts pour garantir un environnement sain à tous.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a déclaré que cette initiative aiderait les États à accélérer la mise en œuvre de leurs obligations et engagements en matière d’environnement et de droits de la personne.

L’idée a été mise sur table en 1972, lors de la Conférence des Nations unies sur l’environnement de Stockholm, au cours de laquelle les États membres ont déclaré que les personnes ont un droit fondamental à « un environnement dont la qualité lui permet de vivre dans la dignité et le bien-être », et ont demandé que des mesures soient prises pour reconnaître ce droit.

Depuis lors, 156 des 193 États membres des Nations unies ont reconnu le droit à un environnement sain.

Parmi les États membres, plus de 100 ont inscrit ce droit dans leur constitution. Pour une douzaine d’entre eux, les tribunaux ont reconnu ce droit comme faisant implicitement partie de la constitution et comme étant un élément essentiel du droit à la vie. En Grèce, en Argentine et au Costa Rica, les tribunaux ont estimé qu’il faisait partie du droit à la vie, ce qui a mené à des modifications constitutionnelles pour l’inclure. Même la Russie a reconnu ce droit dans sa constitution et ses lois.

Mais que signifie le fait que l’Assemblée générale des Nations unies l’ait également reconnu?

Cette question sera le thème d’un débat d’experts qui se tiendra plus tard dans la semaine à l’occasion du Sommet de l’ABC sur le droit de l’environnement, de l’énergie et des ressources, et qui s’appuiera en partie sur un nouvel article co-écrit par Marc McAree, associé de Willms & Shier Environmental Lawyers, et Franz Lopez, ancien stagiaire en droit de ce même cabinet.

Pour sa part, Me McAree estime que la résolution des Nations unies renforcera la reconnaissance et l’application des règles en matière d’environnement et servira de catalyseur à plusieurs égards, notamment en incitant les gouvernements à apporter d’autres modifications à leur constitution et à leurs lois.

Elle renforcera également la prise de conscience de la nécessité générale d’aborder les enjeux environnementaux, en particulier les changements climatiques, la perte de la biodiversité et la pollution, et de faire mieux.

« Je pense qu’elle nous permettra de mieux comprendre comment les atteintes à l’environnement affectent les gens et de comprendre qu’une meilleure protection de l’environnement n’est pas une option », déclare Me McAree.

« Elle renforcera également l’application des lois sur l’environnement et devrait permettre aux ONG et aux mouvements locaux de prendre des mesures pour faire évoluer la situation, tant sur le plan juridique que sur le plan social. Elle peut contribuer à donner aux gens les moyens de demander des comptes aux gouvernements. »

Même s’il fait remarquer que cela ne se fera pas du jour au lendemain, il n’y a pas de moment plus propice pour que les gouvernements entreprennent des changements et pour que les pollueurs changent leur façon de faire. Le monde est arrivé à un point où les gens commencent à comprendre qu’il est urgent d’agir. Selon lui, les gens seront de moins en moins enclins à pardonner aux gouvernements et aux entreprises de ne pas agir. « On reconnaît désormais que les changements sont non seulement nécessaires, mais peut-être même cruciaux. »

Le Canada est l’un des rares pays industrialisés à ne pas avoir encore reconnu officiellement le droit à un environnement sain, à l’instar de pays comme la Corée du Nord. Toutefois, le Parlement est en train d’examiner un projet de loi visant à modifier la Loi canadienne sur la protection de l’environnement pour la première fois depuis 20 ans. Le projet de loi S-5, qui reconnaît le droit à un environnement sain, a été adopté par le Sénat et est sur le point de franchir la dernière étape du processus législatif à la Chambre des communes.

David Boyd, Ph. D, avocat spécialiste de l’environnement en Colombie-Britannique et Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme et l’environnement, considère cette inclusion dans la LCPE comme un pas dans la bonne direction. Mais les changements environnementaux les plus « transformateurs » se sont produits dans les pays qui ont inscrit ce droit dans leur constitution, affirme-t-il.

Il cite en exemple le Costa Rica, qui est un chef de file dans ce domaine, ayant inscrit le droit à un environnement sain dans sa constitution en 1994. Le pays était en train de perdre sa couverture forestière depuis des décennies, jusqu’à atteindre moins de 25 % du territoire à un moment donné. Aujourd’hui, les forêts couvrent plus de 50 % de son territoire, dont 30 % sont protégés en tant que parcs nationaux. Le pays ayant adopté les énergies renouvelables, 99 % de son électricité provient de l’énergie solaire, éolienne, hydroélectrique et géothermique.

Le pays a également adopté des lois interdisant les activités destructrices de l’environnement telles que l’exploitation de mines à ciel ouvert et l’extraction pétrolière et gazière en mer. Les recettes de la taxe carbone, en vigueur depuis longtemps dans le pays, permettent aux populations autochtones et aux exploitations agricoles de restaurer et de reboiser leurs terres.

La France, qui a inscrit ce droit dans sa constitution en 2004, fait également figure de proue. Depuis, elle est devenue le premier pays à interdire la fracturation hydraulique et les pesticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles. Elle a également été le premier pays de l’hémisphère Nord à interdire l’exportation vers le Sud de tout pesticide non autorisé en France ou dans l’Union européenne.

Selon Heather McLeod-Kilmurray, codirectrice du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale de l’Université d’Ottawa, l’inscription d’un tel droit dans la Constitution canadienne serait un véritable casse-tête, compte tenu de la complexité de notre procédure de modification de la Constitution.

« C’est intéressant, parce que de fortes pressions sont exercées pour l’inscrire dans la Constitution, mais une fois qu’il le sera, quelle en sera l’efficacité? C’est ce que nous sommes encore en train de chercher à comprendre, l’incidence qu’auront ces différentes approches », dit-elle, précisant que le débat sur la meilleure solution est toujours en cours, peu importe que la reconnaissance se fasse par le biais d’une modification de la Constitution, d’une réforme législative ou d’une interprétation judiciaire.

Mais nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre, étant donné le peu de temps dont dispose le monde pour lutter contre les changements climatiques. La voie la plus difficile pourrait être la plus rapide.