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Est-il possible de contester la hausse des droits?

La bataille serait rude, et pas seulement parce qu’elle s’appuierait sur des arguments juridiques inédits.

McGill and Concordia crests

Les spécialistes en droit constitutionnel et en relations intergouvernementales traversent une période exaltante au Canada, ce qui est généralement synonyme d’anxiété pour presque toutes les autres.

Compte tenu du récent phénomène de premières et premiers ministres qui menacent de défier les lois fédérales qui ne leur conviennent pas et d’anticiper les contestations fondées sur la Charte en invoquant la disposition de dérogation, il pourrait être facile de ne pas tenir compte de la réforme du financement des universités au Québec annoncée par le gouvernement du premier ministre François Legault juste avant les vacances des Fêtes.

Le gouvernement a annoncé aux trois universités anglophones de la province que les frais de scolarité pour les étudiantes et étudiants de l’extérieur de la province augmenteront d’un tiers à l’automne et qu’elles devront payer des sanctions pécuniaires si elles ne s’assurent pas que 80 % de leurs étudiantes et étudiants de l’extérieur de la province atteignent un niveau intermédiaire de français d’ici l’automne 2025.

Le gouvernement Legault assure que cette politique est nécessaire pour protéger la langue française au Québec. Les universités affirment plutôt que celle-ci nuira aux inscriptions et les mettra dans une situation financière précaire. Deep Saini, recteur et vice-chancelier de l’Université McGill, a qualifié cette politique de « catastrophique » et d’« attaque ciblée » contre les universités anglophones. Il n’exclut pas la possibilité d’intenter une poursuite.

Les personnes se portant à la défense de la communauté anglophone du Québec considèrent que la politique universitaire de M. Legault s’inscrit dans une tendance populiste provinciale qui porte atteinte aux garanties constitutionnelles des droits des groupes minoritaires au Canada. Elles estiment également que cette politique est susceptible d’être contestée devant les tribunaux. Il n’y a toutefois pas de consensus clair sur la forme de cette contestation.
 
« Il est essentiel pour le Canada et pour l’existence du Canada, de protéger les droits des minorités linguistiques à utiliser leurs langues et à pratiquer leurs cultures où qu’elles se trouvent dans le pays, déclare Ronald Caza, spécialiste du droit constitutionnel et des droits de la personne au cabinet Caza Saikaley à Ottawa. Pour ce faire, ils ont besoin d’institutions comme l’Université McGill. Les gouvernements ne peuvent pas imposer des politiques qui mettent en péril ces institutions essentielles. »

La Charte canadienne des droits et libertés est l’option évidente pour procéder à une contestation judiciaire. Une réclamation en vertu de l’article 15 affirmerait que la politique universitaire viole le droit des anglophones à être protégés contre les persécutions fondées sur « l’origine nationale ou ethnique ».

« Les étudiantes canadiennes et les étudiants canadiens provenant de l’extérieur du Québec seront durement touchés, insiste Michael Bergman, avocat basé à Montréal qui a représenté des groupes linguistiques minoritaires en Ontario et au Québec.

Il est plus difficile d’apprendre une nouvelle langue dans la vingtaine, et si ces étudiantes et étudiants ont besoin de ces notes pour leurs études supérieures, cela peut poser un sérieux problème. Ces étudiantes et étudiants ne sont pas traités comme les autres. »

Une deuxième option, selon Me Bergman, consisterait à s’attaquer à la politique à l’aide de l’article 6 de la Charte, qui protège la liberté de circulation. L’argument, selon lui, serait que le Québec impose une pénalité financière pour décourager les étudiantes et étudiants de l’extérieur de la province.

« [La politique] impose une prime spéciale, appelons-la simplement une taxe, aux Canadiennes et Canadiens de l’extérieur de la province qui fréquentent les universités anglophones du Québec, poursuit MBergman. L’objectif de cette taxe est de les dissuader [d’étudier au Québec]. »

Julius Grey de Grey Casgrain, avocat montréalais et expert en droit constitutionnel, reconnaît que toute contestation fondée sur la Charte inciterait le gouvernement Legault à invoquer la disposition de dérogation. Selon lui, une telle action serait elle-même vulnérable à un changement d’opinion publique.

« Il s’agit d’une politique identitaire, déclare Me Grey. Il n’y a pas de solution miracle. Mais le pouvoir judiciaire existe au sein de la société, c’est pourquoi, dans le contexte politique, les changements dans l’opinion publique comptent. »

Me Caza affirme qu’il existe d’autres options. L’une d’entre elles, qu’il reconnaît être « inédite », consisterait à contester la politique en vertu de l’article 23 de la Charte, qui protège le droit des Canadiennes et Canadiens à recevoir une éducation dans la langue officielle de leur choix.

« L’argument de l’article 23 serait inédit, car les provinces ne gèrent pas l’enseignement postsecondaire, ajoute-t-il. La question n’a pas encore été tranchée, mais on pourrait soutenir que le rôle essentiel joué aujourd’hui par les établissements d’enseignement postsecondaire pour les minorités linguistiques est le même que celui joué par les établissements d’enseignement primaire et secondaire. »

Une autre option, selon lui, serait d’utiliser le renvoi relatif à la sécession du Québec de la Cour suprême, rédigée à la demande du gouvernement fédéral en 1998 à la suite du référendum sur la séparation de la province évitée de justesse en 1995.

Dans ce renvoi, la Cour suprême confirme l’existence de principes constitutionnels « fondamentaux » non écrits qui datent d’avant la Charte, notamment la protection des minorités.

« … Il ne faut pas oublier pour autant que la protection des droits des minorités a connu une longue histoire avant l’adoption de la Charte, écrit la Cour suprême dans le renvoi à l’époque. De fait, la protection des droits des minorités a clairement été un facteur essentiel dans l’élaboration de notre structure constitutionnelle même à l’époque de la Confédération. »

« La disposition de dérogation ne peut pas être appliquée à l’article 23 de la Charte et aux principes constitutionnels », souligne Me Caza.

Cependant, Benoît Pelletier, ancien ministre des Affaires intergouvernementales du gouvernement du premier ministre Jean Charest et aujourd’hui professeur de droit à l’Université d’Ottawa, estime qu’il est très peu probable que la Cour suprême statue en faveur de principes constitutionnels fondamentaux autres que la Charte.

« Ces principes sous-jacents non écrits existent en partie pour aider les tribunaux à créer des doctrines structurelles nécessaires à la cohérence de l’architecture constitutionnelle, explique-t-il. En ce sens, ils existent pour combler les lacunes du document écrit.

Je ne vois toutefois aucune lacune à combler. Le droit à l’éducation en anglais s’applique à l’enseignement primaire et secondaire. Il ne s’applique pas à l’enseignement postsecondaire. Cet argument consiste à demander un nouveau droit constitutionnel, et je pense qu’il serait très difficile de le faire valoir avec succès. Ces principes sous-jacents ont des limites.

Toutes les provinces ont le droit d’établir leurs propres frais de scolarité. Personne n’a nié le droit des provinces à le faire. »

À ce stade, il ne semble pas y avoir de stratégie juridique évidente en particulier pour contester la politique universitaire du gouvernement Legault. Cela ne signifie toutefois pas que ses opposants doivent se retirer, selon Me Caza.

« Les minorités linguistiques ne peuvent pas se permettre d’accepter la situation. Elles doivent envisager le pire, c’est-à-dire qu’elles sont ciblées, car il s’agit de la véritable intention du gouvernement, explique-t-il.

D’après mon expérience, plus tôt on conteste ces choses devant les tribunaux, plus tôt on découvre jusqu’où un gouvernement est réellement prêt à aller. »