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La Cour suprême du Canada se prononce sur la DNUDPA

La plus haute instance du pays confirme la constitutionnalité de la loi fédérale garantissant le droit des Autochtones à l’autonomie gouvernementale en matière de services à l’enfance et à la famille.

SCC

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (Déclaration ou DNUDPA) a enfin obtenu la reconnaissance qui lui était due à la plus haute cour du Canada. C’est l’un des maints points à retenir de la décision de principe rendue la semaine dernière par la Cour suprême du Canada, qui a confirmé que les lois autochtones sur les services de protection de l’enfance l’emportent sur les lois provinciales en cas de conflit.

« La Cour traite la Déclaration comme un élément nouveau, distinct du reste du droit, et c’est très encourageant », se réjouit Gib van Ert, qui pratique le droit public et le contentieux civil chez Olthuis van Ert à Ottawa. « Elle reconnaît les décisions prises par les gouvernements fédéral et britanno-colombien pour devenir des partisans inconditionnels de la Déclaration et en intégrer les exigences aux lois. »

Dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a confirmé la loi fédérale de 2019 visant à reconnaître la compétence des communautés autochtones en matière de services à l’enfance et à la famille, conformément aux principes de l’autonomie gouvernementale. Le gouvernement du Québec avait soumis cette loi à sa Cour d’appel, qui l’avait déclarée valide, sauf pour deux dispositions accordant à la loi autochtone la même force que la loi fédérale pour la primauté. De son côté, la Cour suprême du Canada a jugé la loi constitutionnelle sans réserve.

Cette loi fixe des normes nationales et permet aux groupes ou communautés autochtones d’édicter leurs propres lois sous l’égide du Parlement, en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. En effet, la Cour a conclu que la loi vise à garantir la prestation de services culturellement adaptés aux enfants et aux familles, dans une optique de réconciliation.

Québec s’est opposé à ce qu’il perçoit comme une ingérence fédérale dans une compétence provinciale. La Cour a reconnu que la loi fédérale sur les questions autochtones pouvait effectivement empiéter sur les pouvoirs provinciaux en matière de services à l’enfance et à la famille. Même alors, en cas de conflit, la loi autochtone aurait la même force que la loi fédérale devant les tribunaux.

La Cour savait qu’il fallait lire la loi dans le contexte de la DNUDPA, commente Me van Ert, qui représentait une coalition formée de l’Union of British Columbia Indian Chiefs, du Sommet des Premières Nations de la Colombie-Britannique et de la British Columbia Assembly of First Nations à titre d’intermédiaire. Il estime que les juges de la Cour ont traité la DNUDPA avec rigueur et de façon nuancée en précisant « que la loi qu’ils examinaient disait explicitement qu’il s’agissait d’une mesure du Parlement visant à intégrer la Déclaration au droit fédéral ».

Il s’agit d’une décision importante pour le mieux-être des enfants autochtones, mais aussi pour le projet de réconciliation entrepris par le pays pour honorer et exécuter ses obligations prévues dans la DNUDPA, poursuit Me van Ert.

Patty Hajdu, ministre des Services aux Autochtones, a applaudi l’arrêt. « Par cette décision, dit-elle, la Cour suprême confirme le caractère légitime de la loi ouvrant la porte à ce travail. Cela va changer la vie des enfants autochtones pour des générations à venir. Voilà qui prouve que le gouvernement fédéral a son rôle à jouer dans la mise en place d’une législation qui restaure des droits. »

Lori Idlout, du NPD, critique sur les questions autochtones, a souligné que la décision « confirme et fait respecter » la DNUDPA.

David Taylor, associé chez Conway Baxter Wilson LLP/s.r.l. à Ottawa, qui a représenté la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, se réjouit de la décision, mais dit qu’il reste de l’incertitude quant au droit à l’autonomie gouvernementale.

« La Cour suprême, dit-il, est habituellement prudente et procède étape par étape. Elle laisse parfois de côté des éléments non nécessaires pour résoudre la question qui l’occupe, et c’est ce qu’on a vu à l’œuvre dans cet arrêt. »

Comme Me van Ert le souligne, c’est parce que la Cour n’a pas jugé nécessaire de trancher la question de savoir si le droit à l’autonomie gouvernementale était protégé sous le régime de l’article 35. Adopter cette loi relevait plutôt du Parlement par son pouvoir législatif, et ce faisant, il a forcé la Couronne à avancer cette position.

« La Cour suprême, si je comprends bien, a jugé que la Couronne devait respecter ce droit et agir en posant que les peuples autochtones jouissent d’un droit à l’autonomie gouvernementale garanti par l’article 35, commente Me van Ert. La Cour elle-même ne s’est pas prononcée sur cette question parce qu’elle n’avait pas à le faire. C’est le Parlement qui l’a fait. Dans ce raisonnement, la Cour a aussi fait observer – à juste titre – que l’autonomie gouvernementale et le respect des institutions et du processus décisionnel autochtones sont aussi protégés par la Déclaration, que l’autonomie gouvernementale soit ou non un droit garanti par l’article 35. Je ne dis pas que cela n’a pas d’importance, mais cela n’a aucune incidence maintenant. »

« Ils ne vont pas ouvertement déclarer qu’il existe un droit [à l’autonomie gouvernementale], reprend Me Taylor. Mais les indices sont là : si vous voulez avoir compétence sur quelque chose, bien sûr vous voudrez que ce soit vos enfants. Comment voulez-vous perpétuer votre culture sinon en la transmettant à la génération suivante? »

« Une autre question cruciale est restée sans réponse : le financement », poursuit Me Taylor.

Pour les Premières Nations ayant leurs propres sources de revenus, fait-il observer, c’est moins un problème. Toutefois, beaucoup de Premières Nations ont besoin des deniers fédéraux. Et pour les personnes ne vivant pas dans une réserve, le principe de Jordan s’applique : les gouvernements provinciaux sont légalement tenus de faire en sorte que tous les enfants des Premières Nations dans le besoin bénéficient d’un soutien immédiat.

« Faire parvenir ce financement aux Premières Nations passe par des accords de coordination, et la Cour envoie un message fort : l’honneur de la Couronne va s’appliquer dans ces négociations parce que le Parlement a dit qu’il le fallait, explique Me Taylor. Il me semble que si ces outils vous sont promis pour protéger les enfants dans leurs communautés, ils doivent s’accompagner des ressources permettant de les utiliser. »

Quant à la suite des choses, Me van Ert estime que l’arrêt ouvre la porte à une déconcentration des pouvoirs accrue en faveur des gouvernements autochtones.

Il poursuit : « Rien dans cet arrêt ne touche au fait qu’il est question d’enfants. Le raisonnement juridique ne traite pas expressément de protection de l’enfance ou de services aux familles. Le Parlement a, selon [le paragraphe] 91(24), carte blanche sur les questions autochtones, et si une loi fédérale est adoptée ultérieurement sur un autre enjeu sur lequel les Autochtones veulent exercer leur compétence, nous avons ici le modèle qui convient et l’autorisation constitutionnelle nécessaire pour le faire. »

Katie Tucker, avocate chez Pape Salter Teillet LLP, qui a représenté la Société Makivvik comme intermédiaire, souligne que la Cour a mis l’accent sur la réconciliation législative en tant qu’outil dont dispose le Parlement.

« Même si la Cour s’est gardée de se prononcer sur le statut du droit des Autochtones à l’autonomie gouvernementale comme droit constitutionnel garanti par l’article 35, la reconnaissance de la Déclaration de l’ONU a ouvert la porte à un réexamen du cadre de reconnaissance des droits autochtones. »

Me Tucker estime que c’est important, car l’actuel critère juridique de la preuve des droits autochtones n’est pas bien adapté à la question du droit à l’autonomie gouvernementale.

« La Cour suprême a convenu que la réconciliation est un projet à long terme dont la réalisation passe par une transformation constante des relations et par le mariage de traditions juridiques différentes. Les traditions juridiques autochtones ont toujours fait partie des traditions du droit canadien », conclut-elle.