Passer au contenu

Repenser les nominations à la magistrature

Les juges ont toujours raison – jusqu’à ce que leurs décisions soient infirmées.

.

La présomption de compétence est nécessaire pour assurer la confiance dans le système judiciaire. Lorsque ce lien de confiance est brisé, il devient nécessaire de s’interroger sur le processus et les motifs sous-tendant la sélection des juges.

Ces questions se sont retrouvées à l’avant-plan l’année dernière, lorsqu’un juge de l’Alberta a adressé des remarques déplacées à la plaignante dans une affaire d’agression sexuelle. En réaction à une plainte déposée par quatre professeurs de droit, le Conseil canadien de la magistrature a entrepris un examen de la conduite du juge.

La Cour d’appel de l’Alberta a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le juge en question ayant été nommé à la Cour fédérale, il est peu probable qu’il tranchera une autre affaire d’agression sexuelle de sitôt. Toutefois, le fait qu’un juge semble ignorer les dispositions du Code criminel visant la protection des victimes de viol et perpétue des stéréotypes sur les agressions sexuelles a provoqué des réactions partout au pays.

Selon Errol Mendes, professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Ottawa, cette affaire « démontre qu’il y a des aspects profondément dysfonctionnels dans notre processus de nomination à la magistrature ».

La Commission internationale de juristes - Canada (CIJ), dont Me Mendes est le président, a récemment lancé une enquête de deux ans sur la réforme du processus de nomination des juges, pierre angulaire de la primauté du droit et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans le cadre de son enquête, la CIJ étudie les pratiques d’autres pays. Une possibilité intéressante serait l’élection des juges. Selon un sondage de 2007, 63 % des Canadiens appuient cette proposition.

Le consensus au sein du milieu juridique est qu’un juge nommé remplit mieux son office qu’un juge élu. Or, un sondage effectué aux États-Unis en 2007 indique qu’il n’y a pas lieu de croire qu’il y ait une si grande différence de compétence.

En effet, les juges élus ont tendance à se comporter comme des politiciens – puisqu’ils doivent se faire réélire –, tandis que les juges nommés se soucient plus de la marque qu’ils vont laisser. Aucun système n’est parfait; chacun entraîne des comportements différents.

Le rôle de protection des droits individuels et de contrepoids aux pouvoirs législatif et exécutif est crucial. Or, pourquoi le public ne pourrait-il pas choisir les personnes qu’il considère comme les plus qualifiées?

Malheureusement, la politisation crée certains problèmes. L’un des principaux défauts de notre magistrature actuelle est son manque de diversité, qui a une incidence sur les décisions. On imagine mal une juge dire à une victime de viol qu’elle aurait dû serrer les genoux.

À l’ère de la Charte, le rôle le plus important du système judiciaire est de protéger les membres les plus vulnérables de la société. Comme ceux-ci sont souvent exclus de la vie démocratique, l’élection des juges aurait probablement pour effet de diminuer encore davantage la diversité de la magistrature.

Selon Me Mendes, une solution serait de dépolitiser entièrement le processus. En créant une commission indépendante de nomination des juges, on favoriserait la constitution d’une magistrature diversifiée et plus consciente des réalités des groupes marginalisés.

Cela pourrait bientôt être le cas au Canada. La volonté du gouvernement fédéral de constituer un cabinet diversifié, notamment par la parité entre hommes et femmes et la nomination de la première ministre de la Justice d’origine autochtone, pourrait influencer d’autres aspects de notre société.

À titre d’officiers de justice, nous devons assurer l’intégrité du système judiciaire. Même si certains juges peuvent errer, le système dans son ensemble doit être juste. Pour l’améliorer, il faudrait repenser le processus de nomination des juges.