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Le gouvernement devrait-il forcer la vaccination ?

Possiblement, mais une telle obligation doit être accompagnée de beaucoup d’efforts d’éducation.

Vaccin contre la COVID-19

Une situation inédite a le potentiel d’apporter son lot de solutions inédites. La pandémie de COVID-19, dont nous sommes apparemment loin d’être tirés, est déjà le théâtre d’une mobilisation sans précédent des autorités pour en limiter les impacts. Confinement, port du masque obligatoire, distanciation physique : des mesures qui semblent avoir porté leurs fruits à ce jour, sans toutefois que nous puissions écarter une deuxième vague de la pandémie. Des mesures qui cependant, ont réveillé des mouvements de contestation qui en inquiètent plusieurs.

Une seule mesure, prévue dans la plupart des lois provinciales canadiennes, n’a pas encore été invoquée : la vaccination obligatoire pour l’ensemble d’une population donnée ou des segments de celle-ci. Le vaccin contre la COVID-19 n’existe pas encore, dans sa forme finale du moins, mais il est raisonnable d’envisager sa découverte à moyen terme. Au Québec, l’État peut forcer la vaccination obligatoire lorsque l’état d’urgence sanitaire est en vigueur. S’il advenait que ce soit une recommandation de la Direction de la santé publique, ce serait donc au gouvernement qu’il reviendrait de trancher sur l’épineuse décision d’en décréter l’application.

Surtout qu’à une telle mesure, il n’existe aucun précédent en droit québécois.

En 1998, une étude sème la commotion dans le milieu scientifique. Celle-ci, publiée dans The Lancet, établit un lien indubitable entre l’administration du vaccin contre la rougeole sur les enfants et le développement chez ceux-ci de l’autisme. Ce qui sera plus tard prouvé comme étant une monumentale fraude scientifique servira, jusqu’à aujourd’hui, à justifier une pensée injustifiable, partagée par un nombre considérable de concitoyens.

L’affaire Wakefield, du nom du chercheur à l’origine de cette fraude, a été démentie par l’effet de nombreuses études scientifiques auprès d’un million d’enfants. Malgré tous ces efforts scientifiques menés à travers le monde, le mal est fait.

La Dre Caroline Quach, microbiologiste et infectiologue au CHU Sainte-Justine, déplore qu’elle et ses collègues doivent consacrer une bonne partie de leur temps à défaire un tel mythe. Qui plus est, ce mouvement gagne chaque année en adeptes et entretient ses porte-paroles, provoquant de nombreuses éclosions de rougeole à travers le monde, si bien que l’Organisation mondiale de la santé a décrété le mouvement antivaccins comme l’une des dix menaces pour la santé mondiale en 2019.

À constater la grogne qu’a suscitée au Québec l’obligation générale de porter le masque dans les lieux publics, il est à craindre que tout soit en place pour un cocktail explosif si d’aventure, le gouvernement devait décréter la vaccination obligatoire contre la COVID-19. À noter qu’au Canada, une étude de 2019 du Forum Angus Reid révèle que 29 % des Canadiens émettent des doutes sur les connaissances scientifiques actuelles des vaccins. Au Québec, ce chiffre grimpe à 48 %.

Et pourtant…

« Ce n’est pas dit qu’une obligation va avoir une plus grande force normative qu’une recommandation. Quelles impressions a la population de telles mesures ? Il doit y avoir un gros travail de communication qui accompagne la mise en place de telles mesures légales. On pourrait voir une recommandation avoir un plus grand impact qu’une obligation. Une obligation n’est pas une baguette magique. »

Marie-Ève Couture-Ménard, professeure à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke en matière de santé publique, participait en avril dernier à un webinaire du programme d’études cliniques de l’Université de Montréal. Elle fait partie des nombreux chercheurs qui tentent de faire la lumière sur ce niveau d’incertitude scientifique inédit en situation de pandémie. Elle se posait alors la question à savoir si la recommandation de porter le masque pouvait avoir un impact similaire à celui d’une obligation. On en connaît maintenant la réponse, alors que cette mesure a suscité l’adhésion d’une majeure partie de la population, à un taux de 76 %.

Cependant, il demeure qu’une minorité bruyante fait régulièrement les manchettes face à une telle obligation sanitaire. Comme le souligne à juste titre Me Couture-Ménard : « Cette pandémie nous confronte au fait qu’on nous demande de renverser la logique (du consentement aux soins) pour agir pour l’intérêt collectif. Au Québec, l’approche retenue est très axée sur le consentement. […] Pour moi, il y aurait une rupture très aiguë entre l’approche qu’on retient depuis des années et ce qu’on imposerait à la population (en imposant la vaccination). »

Il n’existe que deux provinces au Canada qui obligent tous les enfants fréquentant des établissements scolaires à subir la vaccination obligatoire pour une série de maladies dont les bénéfices d’un vaccin sont prouvés depuis longtemps. En Ontario et au Nouveau-Brunswick, on ne pourra soustraire ses enfants à cette vaccination obligatoire qu’en des situations bien précises, soient des raisons médicales et les objections de conscience ou de croyance religieuse. En Ontario, si l’une de ces objections est soulevée, le parent qui refuse de faire vacciner son enfant doit participer à une séance d’information au sujet des vaccins et de leurs bienfaits.

Une contestation de ce régime légal a été déposée en Ontario, sur la base que ces dispositions vont à l’encontre des droits relatifs aux libertés de conscience et de religion prévus à la Charte canadienne des droits et libertés. Les experts consultés par La presse canadienne au moment du dépôt du recours estiment que celui-ci a peu de chances de succès.

On constate de ces expériences que le taux de vaccination chez les enfants a augmenté dans ces provinces, et que leurs effets positifs sont indéniables. Il n’en demeure pas moins qu’une telle obligation doit être accompagnée de beaucoup d’efforts d’éducation pour susciter au maximum l’adhésion naturelle de la population.

Toute obligation doit être accompagnée d’une sanction pour en conserver la légitimité. À l’inverse, une mauvaise éducation à la mesure qui entraîne un trop grand lot de sanctions peut aussi provoquer un ressac dépassant les cercles complotistes marginaux pour contaminer une population inquiète. La mise en place d’une vaccination obligatoire devient un délicat exercice d’équilibriste qu’il appartient au politique de piloter.

N’empêche. Si nous avons une leçon à tirer du passé, c’est bien celle de l’éducation. Malgré une gestion adéquate dans les circonstances des provinces canadiennes des mesures de santé publique, trop n’ont pas compris, avec raison, pourquoi le port du masque était découragé en début de pandémie alors qu’il est obligatoire aujourd’hui. Une adhésion spontanée et naturelle de la population à une mesure de santé publique est toujours préférable à un régime ne s’appuyant que sur la sanction. Advenant la nécessité d’un vaccin obligatoire, l’effort d’éducation et de communication des autorités sera primordial.

À ce titre, le Nouveau-Brunswick et l’Ontario nous offrent certainement d’excellentes pistes de solutions.