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Favoriser l’essor du droit autochtone

Le gouvernement fédéral va consacrer 10 millions de dollars sur cinq ans à la promotion des lois autochtones au Canada.

John Borrows

Il est essentiel pour la réconciliation de revitaliser les lois autochtones. Parmi les 94 appels à l’action énoncés par la Commission de vérité et réconciliation, c’est le 50e qui se démarque, dit Bradley Regehr, président de l’Association du Barreau canadien. « [Il] exige du gouvernement qu’il reconnaisse que les peuples autochtones avaient et ont des traditions juridiques, et qu’il ménage une place pour ces traditions au sein de la jurisprudence canadienne. »

Plus précisément, l’appel à l’action numéro 50 demande au gouvernement fédéral de financer, en collaboration avec les organisations autochtones, la création d’instituts du droit autochtone pour l’élaboration, la mise en application et la compréhension des lois autochtones ainsi que l’accès à la justice en conformité avec les cultures uniques des peuples autochtones du Canada, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Le budget fédéral de 2019 comportait un engagement de 10 millions de dollars sur cinq ans pour financer des initiatives juridiques autochtones dans tout le pays. En mai 2021, le gouvernement fédéral a dévoilé 21 projets qui bénéficieront de ces fonds. « Ces 21 projets dans les régions de l’Est, de l’Ouest et du Nord canadien permettront d’accumuler des connaissances au sujet du droit autochtone traditionnel et contemporain », explique Brad Regehr. « Un grand nombre des projets visent la création d’une portion nécessaire du cadre lié à l’autonomie gouvernementale. »

La description de certains des projets est floue, mais c’est sans doute pour des raisons valables. « Je considère le droit comme un ensemble de normes et de principes, de critères, de principes directeurs, de jalons, de décisions de principes sur lesquels fonder des mesures », dit John Borrows, professeur à l’Université de Victoria, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le droit autochtone et lauréat du Prix du président 2021 de l’ABC. « Le but de ces projets est de tenter de reconnaître les principes et processus en amenant les communautés à participer afin de les agréer et de les mettre en œuvre pour qu’ils s’appliquent dans ces communautés, et pour qu’ils aient aussi des répercussions ailleurs. »

David Lametti, ministre fédéral de la Justice, dit que les 21 projets ont été choisis avec soin en raison de leurs probabilités de succès. « Ils traitent tous de domaines qui intéressent particulièrement un peuple, une nation et la revitalisation du système juridique ou de la tradition juridique autochtone. »

L’appel à l’action numéro 50 vise à ce que nous « étendions et revitalisions les pratiques juridiques autochtones et à ce que nous les représentions de manière plus importante », ajoute le ministre Lametti, qui indique que c’est le cas de tous les projets choisis, soit en revitalisant ou en enseignant de nouveau le code traditionnel ou en collaborant avec les Aînés pour mieux comprendre le savoir qui s’est transmis jusqu’à nos jours. « Tout cela aidera les peuples autochtones dans le cadre de leur autonomie gouvernementale. C’est un élément fondamental du processus de réconciliation », dit-il.

Toutefois, il faut que ce soient les peuples autochtones eux-mêmes qui les dirigent, insiste le ministre de la Justice. « Cela revêt une importance critique. Les peuples autochtones dirigent ces projets, et non pas Lametti depuis son bureau à Ottawa », dit-il.

Brad Regehr dit que le financement pour les 21 projets « démontre l’engagement du gouvernement envers la poursuite des travaux de la Commission de vérité et réconciliation, mais qu’il faudra davantage d’argent si l’on veut intégralement mener à bien l’appel à l’action numéro 50 ».

Un grand nombre de projets prometteurs n’ont pas été retenus pour le financement cette fois-ci, dit le ministre Lametti, qui reconnaît que son gouvernement « a eu des difficultés » à prendre certaines décisions. « Nous espérons qu’il y aura des opportunités de financement ultérieures pour qu’ils puissent en profiter. »

Renforcer la capacité

L’un des 21 projets vise à renforcer la capacité et l’autonomie juridique inuites au Nunavik en documentant, mobilisant et facilitant les pratiques et les connaissances juridiques inuites. Ce projet est dirigé par des organisations inuites et par Caroline Hervé, anthropologue à l’Université Laval, qui a réalisé de vastes travaux avec des partenaires inuits au Canada et en Alaska depuis les dix dernières années.

Nous savons déjà que des systèmes de justice inuits existaient avant la colonisation, explique-t-elle. « Mais ce qu’on ne connaît pas vraiment c’est comment ces pratiques, comment ces savoirs se sont transformés. Qu’en sont-ils aujourd’hui? »

La colonisation a été un véritable bulldozer, dit David Lametti, c’est la raison pour laquelle nous devons nous efforcer de remettre en vigueur les pratiques juridiques autochtones, particulièrement dans un contexte « où il y a eu des pensionnats, et une multitude de choses qui ont ravagé les peuples autochtones de tout le Canada. La revitalisation de systèmes normatifs au niveau local qui correspondent aux systèmes de croyance et de pensée des gens, et à leurs façons d’agir est fondamentale pour la réconciliation. »

Caroline Hervé dit que la moitié du projet du Nunavik cherche à atteindre cet objectif. « L’autre moitié, c’est prendre un peu les choses à l’envers, c’est-à-dire que les Inuits ont quelque chose à nous apprendre à nous aussi, de ce que peut être l’ordre social par exemple. C’est de travailler avec eux, dans leur langue, l’Inuktitut, pour essayer de bien cerner leurs perspectives sur l’ordre social, sur la justice, qui pourraient aussi apporter de nouvelles idées et qui pourraient transformer aussi nos pratiques à nous. »

David Lametti se dit favorable à cette approche. « Sous le régime colonial, soit la common law et le droit civil, nous avons pendant bien trop longtemps fait fi de la sagesse locale. Nous devrions en tenir compte », dit-il.

« Nous pouvons adopter cette sagesse autochtone et vraiment améliorer les choses pour tout le monde, pas juste pour les autochtones du Canada, mais aussi pour la population non autochtone. Avec un esprit ouvert, nous pouvons apprendre. Nous pouvons tous apprendre les uns auprès des autres. Cela ne serait-il pas la promesse d’une réconciliation? »

Pour que cette relation d’apprentissage mutuel puisse se concrétiser, il nous faut coordonner les lois autochtones et non autochtones, dit John Borrows. « Cela ne peut pas être à sens unique, car cela génère l’unilatéralisme, la déférence et la marginalisation. Un côté dispose de toutes les ressources et de la capacité à formuler ce que pourraient être leurs espoirs, leurs règles et leurs aspirations, tandis qu’en face, cette possibilité n’existe pas. »