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Dépoussiérer le Code criminel… et quelques vieilles idées

Avec le projet de loi C-51, le gouvernement fédéral apporte enfin quelques mises à jour au Code criminel. Il risque de trouver quelques toiles d&rsquo;araignée, et même, diront certains, des monstres cachés sous le lit.</p> <p>

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Le Code criminel est un purgatoire où croupissent des lois archaïques, caduques, voire inconstitutionnelles. Les gouvernements se sont généralement contentés d’ignorer les dispositions désuètes, sachant que la plupart ne seraient jamais appliquées. Résultat : un long texte décousu, répétitif et parfois inutilement compliqué

Parfois même les juges s’y perdent.

En 2016, lorsque le juge Denny Thomas a déclaré Travis Vader coupable de meurtre au deuxième degré, il s’est appuyé sur l’article 230 du Code, qui porte sur « l’homicide coupable » et datait de 1892.

Seulement, la Cour suprême du Canada avait abrogé une partie de cet article dans l’arrêt Vaillancourt en 1987; et en 1990, dans l’arrêt Martineau, elle avait déclaré que le reste contrevenait aux articles 7 et 11 de la Charte canadienne et ne pouvait être sauvegardé par l’article premier. La disposition en question permettait de prononcer une déclaration de culpabilité de meurtre sans que soit nécessaire une preuve de prévision subjective de l’élément moral amenant la culpabilité morale. Malgré le jugement de la cour, l’article 230 – bien qu’inutilisé – était demeuré dans le Code.

Le projet de loi C-51 prévoit notamment l’abrogation de l’interdiction de se battre en duel, de prétendre pratiquer la sorcellerie et d’échanger des bons-primes. Le caractère archaïque de ces dispositions a beau étonner, d’autres changements attirent davantage l’attention.

On entend réformer le Code pour que le système de justice « fasse preuve d’une plus grande compassion à l’égard des plaignantes et des plaignants dans des cas d’agression sexuelle ». Ces révisions tiendraient compte des décisions rendues par la Cour suprême en 2011 dans R. c. J.A., à savoir qu’une personne inconsciente ne peut donner son consentement, et en 1999 dans R. c. Ewanchuk, sur la croyance erronée au consentement.

Les dispositions du Code sur la protection des victimes de viol seraient aussi étendues pour inclure expressément les communications d’ordre sexuel et à des fins sexuelles. Adoptées après que la cour eut rendu l’arrêt Seaboyer en 1991, ces dispositions limitent les types de questions que l’avocat de la défense peut poser et la preuve qu’il peut présenter en ce qui concerne le comportement sexuel du plaignant. Ces renseignements servaient souvent à soutenir que le plaignant était susceptible d’avoir donné son consentement ou manquait de crédibilité. En 2000, la cour a confirmé la constitutionnalité des dispositions.

Les nouveaux changements semblent découler des critiques de l’affaire Jian Ghomeshi, qui a fait couler beaucoup d’encre et a provoqué un vaste débat sociétal sur la nature des poursuites pour agression sexuelle au Canada. Il y était question de messages textes des plaignantes et de leurs publications dans les médias sociaux.

Certains avocats de la défense craignent que le projet de loi restreigne la preuve qu’ils peuvent présenter pour offrir une défense pleine et entière. D’autres croient que c’est beaucoup de bruit pour rien.

Selon Lise Gotell, présidente du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes (FAEJ), les modifications ne visent que la reconnaissance des formes modernes de communication sexuelle. Si la preuve sert à démontrer des incohérences, elle demeure admissible. Mais si elle ne fait que véhiculer des stéréotypes sexuels, elle est exclue à juste titre.

« La notion de consentement tacite n’existe pas en droit canadien. Le comportement sexuel antérieur n’a donc rien à voir avec l’évaluation du consentement au moment de l’acte en question. »

Il y a plus de 20 ans, la Cour suprême du Canada a déclaré dans R. c. O’Connor qu’un tribunal pouvait ordonner la divulgation des dossiers médicaux et socio-psychologiques dans une affaire d’agression sexuelle. Le Parlement a toutefois imposé des limites en modifiant le Code par la loi C-46, dont la validité a été confirmée en 1999. La cour a affirmé dans R. c. Mills que la loi prévoyait un pouvoir judiciaire discrétionnaire suffisant pour protéger le droit à la vie privée du plaignant, tout en permettant une défense pleine et complète.

Malgré l’évolution des communications électroniques, les principes ne changent pas. Les plaignants dans les affaires d’agression sexuelle, presque toujours des femmes, font encore l’objet de stéréotypes et de préjugés répandus à l’égard de leur comportement sexuel. Si les images et messages suggestifs sont transmis différemment aujourd’hui, ils demeurent dangereux pour la balance de la justice.

Présumer qu’il n’y a pas lieu d’examiner de près ces communications, c’est aussi archaïque que la sorcellerie et les duels qui seront bientôt mis au rancart.