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De durs départs

Élaborer un plan de retraite pour les associés.

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À Vancouver, un associé avec participation de longue date au cabinet d’avocats Fasken Martineau DuMoulin a contesté en justice sa retraite forcée à l’âge de 65 ans. À Toronto, trois associés expérimentés de Blake, Cassels & Graydon, ont démissionné pour se joindre à des cabinets concurrents plutôt que d’être forcés de prendre leur retraite.

Ces incidents récents indiquent que les cabinets d’avocats doivent trouver des moyens d’accommoder les associés âgés qui veulent continuer à travailler, selon les spécialistes en matière d’emploi.

 « De plus en plus, les gens qui sont à la fin de la cinquantaine ou au début de la soixantaine disent “Je ne suis pas certain que je veux prendre ma retraite à 65 ans”, et il appartient vraiment aux cabinets de déterminer si ces personnes expérimentées peuvent jouer des rôles en leur sein », déclare Paul Boniferro, associé à McCarthy Tétrault à Toronto et chef national des pratiques et des personnes.

Ed Poll, consultant en gestion de cabinets d’avocats, ajoute ceci : [traduction] « Aujourd’hui, les cabinets tentent de trouver des solutions innovatrices pour plusieurs raisons. Il s’agit de l’un des enjeux les plus importants puisque la grande majorité des membres de la profession juridique aujourd’hui sont des baby-boomers. »

En mai, la Cour suprême du Canada s’est prononcée dans l’affaire de John Michael McCormick, statuant que l’associé de trente ans de services ne pouvait pas invoquer le Code des droits de la personne de la Colombie-Britannique pour contester la politique de retraite obligatoire de Fasken Martineau pour cause de discrimination fondée sur l’âge. La Cour a conclu que les associés avec participation, qui peuvent voter et qui partagent les profits et les pertes, ne se trouvent pas dans la même situation vulnérable que les employés.

La décision a concrètement confirmé le statu quo, ce qui signifie que les associés avec participation peuvent être forcés de prendre leur retraite à l’âge de 65 ans.

Mais hormis cette décision, il est logique sur le plan des affaires de trouver des moyens d’accommoder les associés âgés, selon M. Boniferro et M. Poll, plutôt que de voir des décennies d’investissement, de prestige et de connaissances spécialisées – sans mentionner la clientèle – quitter pour peut-être se joindre à des cabinets concurrents. C’est ce qui s’est produit en janvier dernier, lorsque les trois associés de Blakes ont levé l’ancre.

« J’estime que chaque cabinet peut mentionner un ou deux exemples de personnes très expérimentées qui ont atteint l’âge de la retraite obligatoire et à qui les associés ont imposé la retraite, pour les retrouver ensuite chez le concurrent de l’autre côté de la rue », affirme M. Boniferro.

« Et il est tout simplement illogique de les perdre au profit du concurrent d’en face. »

Par contre, les cabinets d’avocats veulent et doivent faire de la place aux associés plus jeunes pour les motiver à demeurer en leur donnant des possibilités d’édifier leur pratique et d’augmenter le capital du cabinet.

De plus en plus, les cabinets d’avocats jugent qu’il est prioritaire de rencontrer les avocats au début de leur carrière et d’établir avec eux des plans de carrière pouvant comprendre des contributions continues au droit après l’âge traditionnel de la retraite, qu’ils demeurent comme avocats, plutôt que comme associés, ou qu’ils fassent une transition à un autre aspect de la profession, comme enseigner ou devenir avocat général d’une petite entreprise.

M. Boniferro est d’avis que les plans de carrière postérieurs à la cessation du statut d’associé devraient être établis dès l’embauche des avocats et devraient être réexaminés annuellement, de sorte que les associés ne se sentent pas ciblés lors de leurs dernières années.

Voici ce qu’en pense M. Boniferro : « Ce que fait notre cabinet, et ce en quoi nous tentons d’être les chefs de file, c’est d’entamer un dialogue avec les associés très tôt dans leur carrière au sujet de l’élaboration d’un cheminement de carrière subsidiaire, soit les autres choses que le droit que les gens aimeraient faire une fois qu’ils auront cessé d’exercer le droit ou qu’ils atteindront l’âge de la retraite obligatoire. Quelqu’un devrait dialoguer régulièrement avec les associés, et nous espérons lancer le processus auprès des avocats salariés dès leur embauche. »

L’avocate torontoise Gillian Hnatiw, associée et spécialiste en droit de l’emploi à Lerners LLP, suggère aux cabinets d’éviter les politiques générales inflexibles lorsqu’ils ont affaire à des associés ayant atteint l’âge de la retraite qui ne veulent pas quitter. Il devrait plutôt y avoir des ententes ponctuelles, selon elle, comme maintenir le statut d’associé pendant un an ou plus ou permettre aux associés de continuer dans le cadre d’un rôle moindre.

« Cela permet au cabinet de faire de la place à de nouveaux associés avec participation et cela permet aux avocats qui prennent leur retraite ou aux avocats âgés de continuer à s’impliquer », selon Me Hnatiw.

« Peut-être ne veulent-ils plus des risques et obligations qui se rattachent au statut d’associé avec participation et qu’ils aimeraient négocier une nouvelle entente leur permettant de travailler moins, de sorte que tous seraient satisfaits. »

M. Poll, qui vit en Californie, soutient que les associés mis à la retraite obligatoire devraient pouvoir demeurer comme avocats dans la mesure où ils continuent de justifier leurs revenus au moyen de leurs heures facturables.

M. Poll, auteur du livre publié en 2013 et intitulé Life After Law : What Will You Do With The Next 6,000 Days?, fait valoir que : « Certains cabinets d’avocats disent “Nous ne vous congédierons pas, mais à un certain âge vous devez revendre votre participation à la société”. »

Une autre solution consiste selon lui à laisser les associés en poste mais à leur permettre de garder seulement certains de leurs clients, les autres étant transférés à des avocats plus jeunes de manière à ce que le cabinet puisse se renouveler.

M. Poll soutient qu’il est « raisonnable de “désassocier” » quelqu’un car cette mesure est fondée sur des contrats signés entre associés. Toutefois, forcer à la retraite des associés alors qu’ils sont compétents, en bonne santé et veulent continuer à exercer le droit est de la pure discrimination fondée sur l’âge.

D’autres avocats, selon M. Poll, seraient heureux de quitter la profession, mais ils n’ont fait aucune planification et être avocat est si inhérent à leur identité que cela les empêche d’envisager autre chose.

M. Poll fait remarquer que la démographie et les contestations judiciaires présentées dans d’autres pays indiquent que la question de savoir quoi faire avec les avocats vieillissants est là pour rester.

En 2010, 41 % des avocats ontariens étaient âgés d’au moins 50 ans, tandis que 8% de ceux-ci étaient âgés de plus de 65 ans, selon un portrait statistique du Barreau du Haut-Canada. À l’autre extrémité de l’échelle, seulement 5% des avocats étaient âgés de moins de 30 ans.

Aux États-Unis, le grisonnement des avocats semble encore plus prononcé. Selon la Fondation du Barreau américain, l’âge médian des avocats était de 49 ans en 2005, comparativement à 39 ans en 1980. En outre, 34% des avocats étaient âgés d’au moins 55 ans en 2005 comparativement à 25% vingt-cinq ans plus tôt.