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Transmettre le sceptre

Il incombe à un dirigeant de cabinet qui quitte ses fonctions de prévoir une transition sans heurts.

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Remplacer un dirigeant de cabinet de longue date ou un associé fondateur peut présenter un énorme défi pour un nouvel associé directeur. Dans certains cabinets, la difficulté devient pratiquement insurmontable. Lorsque le nouveau dirigeant ne dispose que de quelques courtes semaines, voire à peine plusieurs jours, pour se préparer avant d’assumer ses fonctions, ou lorsque le titulaire du poste n’offre pas son entier soutien pendant la période de transition.

Un dirigeant de cabinet qui s’en va peut prendre un certain nombre de mesures pour faciliter le changement de direction.

1. Veiller à ce qu’il existe une description de poste

Lorsque Bob Dell a décidé de quitter le poste qu’il occupait à la tête du cabinet Lathams, il a déclaré : « Mes associés n’avaient apparemment aucune idée de ce que je faisais! » Cette réaction reflète exactement le fait que moins de 23 % des dirigeants de grands cabinets américains (AmLaw firms) ont une forme ou une autre de description de poste officielle et écrite (selon les résultats de mes recherches les plus récentes).

La plupart des professionnels sous-estiment vraiment très largement la portée et la responsabilité de la gestion de tout un cabinet. Je taquine souvent les nouveaux dirigeants de cabinet, leur demandant ce qu’ils pouvaient bien penser lorsqu’ils ont accepté une telle responsabilité. Pour leur part, les associés se hérissent fréquemment face à toute suggestion qu’on puisse, ou qu’on doive, les diriger. Le titulaire du poste peut insister pour que le nouvel associé directeur ait une description de poste détaillée, qui devrait être largement diffusée au sein du cabinet pour que tout un chacun ait une véritable idée de l’énormité de la tâche. 

2. Faire place nette

Un changement de direction est un bon moment pour régler ces problèmes persistants et agaçants qui ont réussi à passer au travers des mailles du filet. Il s’agit d’une occasion, tant pour le dirigeant qui part que pour celui qui arrive, de faire face aux situations opérationnelles laissées pour compte ou de composer avec les personnalités difficiles (des dirigeants de groupes de juristes spécialisés qui ne font pas leur travail à qui on devrait diplomatiquement demander de laisser la place à quelqu’un d’autre). Corriger ce genre de problème avant que le titulaire ne s’en aille aide la personne qui le remplace à avoir les mains libres pour s’attaquer à des questions plus importantes et plus stratégiques.

3. Remettre les rênes sans condition

Pour qu’un changement de direction soit réussi, les rôles doivent être clairement définis et le dirigeant sortant doit être prêt à laisser son successeur diriger le cabinet à sa guise. Le rôle principal qui échoit aux dirigeants, dans les jours qui précèdent la fin de l’exercice de leurs fonctions, est d’aider la personne qui va les remplacer à prospérer dans ses fonctions. Par conséquent, le dirigeant sortant doit accepter de permettre au nouveau arrivé de prendre les rênes à tous points de vue, même lorsque les mesures envisagées semblent en parfaite opposition avec l’une des initiatives qu’il avait mise en place ou signalent un fléchissement abrupt de l’orientation stratégique du cabinet. Les dirigeants sortants doivent être extrêmement au fait de l’influence qu’ils possèdent encore et des manières dont ils peuvent, par inadvertance, nuire aux efforts de leur successeur. 

Lors d’une récente discussion avec un dirigeant de cabinet à la veille de prendre sa retraite, j’ai abordé un certain nombre de questions de fond devant être discutées avec son successeur, y compris le fait qu’il devait communiquer avec ses divers associés après la passation des pouvoirs. Voici ce qu’il avait rédigé pour communiquer avec son successeur :

« Je serai toujours à votre disposition pour vous aider. Cependant, vous devriez vous attendre à ce que certains et certaines de nos chers associés vous considèreront probablement comme quantité négligeable et s’adresseront directement à moi lorsque vous prendrez une mesure peu appréciée. Si vous faites bien votre travail de nouveau dirigeant de notre cabinet, et je suis convaincu que cela sera le cas, vous pouvez compter sur cette situation, c’est certain. Sachez que je ne répondrai en aucune façon à quelque plainte que ce soit. Par conséquent, ne laissez pas la perspective que je puisse répondre entraver votre décision. Même si vous décidez de limoger une personne avec laquelle j’ai travaillé en proche collaboration pendant de nombreuses années, vous devriez prendre cette mesure. Ne vous inquiétez pas, si je ne suis pas d’accord avec certaines mesures ou si je constate que vous ne faites pas certaines choses comme j’avais l’habitude de les faire, je n’irai pas me plaindre auprès des associés. Ce cabinet est désormais le vôtre. Vous en tenez les rênes. Pourtant, n’hésitez surtout jamais à venir discuter avec moi si vous avez besoin d’un avis. »

4. Se concilier les associés déçus

L’une des choses importantes qu’un dirigeant sortant peut faire, c’est de rencontrer un par un les associés qui peuvent penser qu’un nouveau dirigeant va leur nuire. Ce peut être les associés qui sont déçus qu’on n’ait pas envisagé de leur confier la fonction, les associés qui étaient bien placés mais se sentent menacés par le changement, et les associés qui peuvent être déçus par le fait qu’une nouvelle personne prend les rênes du cabinet.  

Lorsque j’ai discuté avec David Morley, associé principal dans le cabinet Allen & Overy, désormais à la retraite, il m’a expliqué que : 

« Notre système électoral actuel date de 1998 et nous n’avons jamais perdu un candidat évincé parce qu’il n’avait pas été choisi pour assumer le poste qu’il briguait. Je ne dis pas que cela ne se produira jamais. Cependant, nous faisons tout notre possible pour l’éviter. Les trois mesures que nous prenons incluent les éléments suivants.

  1. Nos élections sont fondées sur les principes du scrutin secret et d’un vote par associé (de nos jours, tout se fait en ligne). Elles sont administrées par une entité indépendante, à savoir l’Electoral Reform Society, qui est spécialisée dans la tenue d’élections selon des normes élevées. Nous lui avons demandé de ne nous révéler que le nom du candidat élu et de surtout ne dire à personne combien de votes a reçu chacun des candidats. Ce système a été conçu pour éviter que certains puissent se sentir humiliés par les résultats, etc.
  2. Il est accepté que les premiers appels que fait un candidat élu, avant même d’appeler son conjoint, sont pour parler aux candidats qui ne l’ont pas été pour les remercier et pour souligner qu’ils ont un brillant avenir au sein du cabinet.
  3. Pour leur montrer que nous les apprécions grandement, un grand nombre d’associés vont voir les candidats qui n’ont pas été victorieux pour leur dire que nous souhaitons tous qu’ils poursuivent leur carrière au sein du cabinet.

Je pense que le fait que nos élections ne se sont jamais envenimées, polarisées, ni n’ont été fondées sur des attaques personnelles, est un important facteur. Les associés rejetteraient une très mauvaise stratégie électorale de ce genre. Il s’ensuit que les relations personnelles entre les candidats n’en souffrent que très peu. »

Les dirigeants sortants peuvent utiliser leur influence auprès de chacun des associés pour les encourager à collaborer avec leur successeur pour le bien du cabinet. Il est essentiel que chaque membre du cabinet accepte le changement pour que la transition soit réussie.

5. Personne n’est indispensable

Tout dirigeant qui s’en va pourrait bien arborer l’illusion si commune selon laquelle nous sommes indispensables ou tout au moins que le cabinet aura du mal à fonctionner sans nous. Toute personne qui a jamais été dans une fonction de direction peut rêver en secret d’annoncer sa décision de partir, puis de quitter le bureau, baigné des larmes des associés et du personnel, sous une véritable ovation mêlée à la consternation face à l’avenir.

La plus triste réalité est bien que votre cabinet va survivre, voire prospérer, sans vous. Vous devriez par conséquent préparer un récit réaliste que vous présenterez aux gens de manière positive, pour leur dire les raisons de votre départ et pour leur montrer à quel point vous êtes ravi de commencer une nouvelle période de votre vie, de penser au bel avenir du cabinet et au fait qu’ils aient choisi une personne si remarquable pour vous remplacer.

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