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Une question de confiance

Il existe plusieurs moteurs de changement pouvant pousser une industrie à se redéfinir : la compétition accrue de concurrents, un changement dans la demande ou encore une restructuration du marché. Alimenté par les technologies de communication de l’information, qui diversifient l’innovation elle-même, l’industrie juridique vit une transformation simultanée de l’offre et de la demande et du marché lui-même qui a pour effet de changer la nature même du service juridique.

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Mauvaise nouvelle pour les avocats? De prime abord, ça pourrait sembler ainsi. Cependant, les effets à long terme pourraient être positifs.

Traditionnellement, l’échange d’un service juridique est caractérisé sur le plan économique comme étant un bien de confiance. En effet, le consommateur a généralement très peu d’information sur la qualité et la valeur de ce dernier, de sa nécessité réelle ou même de l’ampleur du service à être rendu au bout du compte.

Dans Le Procès, Franz Kafka illustre à merveille comment le justiciable est toujours maintenu dans le noir dans un processus occulte qui lui est imposé.  Mais la fiction n’est jamais très loin de la réalité. Comme Josef K., le consommateur de services juridiques n’a souvent d’autre choix que de se fier à la réputation d’un avocat et l’espoir qu’il a d’être bien représenté. Cela illustre comment, dans le passé, le marché juridique a peu discriminé sur des considérations objectives telles que le prix et les caractéristiques du produit et davantage sur des caractéristiques subjectives telles que le service à la clientèle et la qualité perçue. 

Ces temps-là seront bientôt révolus. Nous assistons aujourd’hui à la prolifération d’outils pouvant donner suffisamment d’informations aux consommateurs pour qu’ils puissent prendre des décisions éclairées. Peu à peu, le bien de confiance ressemble davantage un produit standardisé dont les caractéristiques, notamment la qualité, sont connues par l’acheteur.

Il n’y a pas que l’internet, au sens large, qui permet au consommateur de mieux « connaître »  ce qu’il achète. Les efforts de vulgarisation juridique opérés et l’offre d’information gratuite en ligne par les avocats sont des outils de ventes pour ces derniers et informent le consommateur sur le droit.

Cependant, ce sera probablement l’analyse de données qui forcera un changement des règles du jeu. Par exemple, l’assureur AIG, qui dépense plus de 2 milliards de dollars en services juridiques par année, a annoncé le lancement prochain d’un outil permettant d’établir une comparaison entre les prix et la qualité de services rendus dans l’industrie. Voilà une initiative qui donnera aux consommateurs des informations qui étaient jusqu’à aujourd’hui impossibles à avoir.

Il y a là de quoi changer la donne, et on peut s’attendre à ce que les fournisseurs de services juridiques soient contraints à réduire leurs coûts, ou augmenter leur efficacité. Réduire ses coûts n’est pas une solution à long terme, car si la compétition augmente son efficacité, le résultat sera que le modèle d’affaires sera moins productif. Et comme on peut difficilement améliorer l’efficacité du travail intellectuel de l’avocat, améliorer la productivité passe par l’utilisation de modèles d’affaires adaptés et l’utilisation plus intensive de technologies.

Une entreprise qui vend des heures ne peut avoir la même structure qu’une entreprise qui vend des produits qui sont en partie générés par des technologies. Pour être efficace, un modèle d’affaires doit être adapté en fonction du type financement qu’il a besoin,  de son utilisation des technologies et de la nature du produit qu’il vend. L’ADN des services juridiques change et les modèles d’affaires sont donc aussi en mutation. Aujourd’hui, la gestion de projet est pressentie pour permettre une adaptation aux nouvelles réalités. L’optimisation des processus appelle à l’utilisation de technologie, cette dernière sera d’intensité variable; l’automatisation partielle de processus ou encore l’automatisation complète d’un service. Dans les deux cas, un investissement dans la technologie sera nécessaire et la structure de l’entreprise juridique changera.

Faut-il regretter cette évolution de l’avocat qui se transforme en technicien sur une chaîne de montage? Le justiciable n’a plus confiance dans le service qui est vendu et ceci se traduit naturellement par une méfiance et au décrochage judiciaire. Quelle est l’ampleur du problème ? Un rapport publié par Justice Canada en 2009 estime que jusqu’à 88,5% des problèmes justiciables civils échapperaient maintenant au marché juridique. Ainsi, le passage d’un bien de confiance à un produit standardisé pourrait être profitable pour le marché juridique. Il pourrait avoir comme effet d’éclairer le justiciable sur ce qu’il achète et des besoins juridiques qu’il a à combler. Ainsi, on pourrait redonner des raisons objectives pour le consommateur d’acheter, augmentant les opportunités pour les avocats.

Alexandre Désy est Président chez BidSettle – OnRègle, une entreprise qui offre des solutions web pour régler des litiges.