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L’intelligence artificielle et l’avenir de la profession

Les nouvelles technologies sont le pain quotidien de Kang Lee et Xavier Beauchamp -Tremblay

Deux hommes vêtus de complets en pleine conversation dans un bar

LES CONVIVES

Le président de CanLII: Xavier Beauchamp-Tremblay. Dirige l’Institut canadien d’information juridique depuis deux ans. Poursuit le raffinement du moteur de recherche en y intégrant l’apprentissage profond.

Le conseiller d'entreprise: Kang Lee. Gère les litiges pour la compagnie pharmaceutique Sandoz. Responsable des données nécessaires à la gestion du risque.

 

Les nouvelles technologies sont le pain quotidien de Kang Lee et Xavier Beauchamp-Tremblay. Attablés (devant un filet mignon et des gnocchis à la crème) au restaurant Richmond, dans le quartier Griffintown, à Montréal, ils échangent leurs impressions au sujet d’un logiciel américain supposément capable d’évaluer le taux de réussite d’un plaideur, le temps qu’il consacre à un litige et le rapport coûts-bénéfices qu’il offre.

Lee semble séduit, mais Xavier a de fortes réserves. Le logiciel n’est pas encore à point, selon lui.

« Ce qui me fâche avec les nouvelles technologies, et surtout avec l’intelligence artificielle, c’est qu’il y a beaucoup de poudre aux yeux ».

Les deux avocats spécialisés en propriété intellectuelle et âgés respectivement de 34 et 33 ans estiment toutefois que la profession profitera grandement de l’intelligence artificielle : le droit génère des tonnes de documentation et l’IA est justement capable de compiler et d’analyser une quantité infinie de données avec une rapidité inégalée dans le but de prédire les meilleures décisions à prendre.

L’IA promet d’importants gains de productivité et des économies. « On aura plus vite un portrait plus complet d’une cause, explique Kang.

Vérification diligente, collecte et analyse de preuves : tout ça sera fait plus rapidement et à moindre coût.

« Chez CanLII, ce que nous regardons pour notre moteur de recherche, ce n’est pas seulement l’amélioration du tri de documents par pertinence, mais aussi la capacité qu’offre l’apprentissage profond d’anticiper les besoins de recherche de l’utilisateur, en lui disant : tu as vu telle décision juridique, tu pourrais aussi regarder telle autre… Un peu comme le fait Amazon avec ses produits, » explique Xavier.

Fascinant, mais inquiétant pour la profession ? « Les pertes d’emplois vont être importantes, prédit Kang. Le contentieux d’une banque américaine a récemment mis à pied une soixantaine d’avocats remplacés par des logiciels ».

« L’automatisation des tâches répétitives va permettre aux avocats de se concentrer sur la réflexion et la stratégie » Beauchamp-Tremblay.

Il craint surtout pour les diplômés en quête de stages d’été. Ils ont déjà du mal à en trouver, ce sera pire si l’on n’a plus besoin d’eux pour faire de la recherche ou de la révision. Xavier se demande, lui, s’il ne faudra pas revoir le cursus académique.

« Ce qui est sûr, c’est qu’il faut plus de multidisciplinarité », constate-t-il. Kang renchérit : Quelles compétences seront requises exactement ? Faudra savoir créer un programme ou juste en opérer un ? En tout cas, l’avocat qui entre dans la profession aujourd’hui doit être alerte aux développement et efficace avec les programmes qu’il utilise”.

De nouveaux types d’emploi apparaissent : analyste de données juridiques, gestionnaire de projet juridique, etc. Kang et Xavier les considèrent encore marginaux, du moins au Québec. Mais on n’en est qu’aux balbutiements de la révolution informatique.

Les départements de TI et les avocats au sein d’un même cabinet devront se rapprocher et mieux se comprendre.

Mais selon Xavier, la pratique traditionnelle du droit va persister et pourrait même s’épanouir dans ce nouveau contexte. « L’automatisation des tâches répétitives va permettre aux avocats de se concentrer sur la réflexion et la stratégie », plaide-t-il.

Le monde change, la profession d’avocat aussi.

Et la demande pour la défense de droits fondamentaux dans le cyberespace va s’accroître, prédit-il. « On n’a qu’à regarder ce qui se passe en Chine. Je parle de cette nouvelle application de paiements qui s’est transformée en média social lié à la cote de crédit de l’utilisateur… Un système malsain où ta capacité d’emprunt sur ta nouvelle voiture est liée à la cote de crédit de tes amis sur les médias sociaux… Comme citoyen, je me dis : quelle horreur ! Mais si je mets mon chapeau d’avocat, je vois des menaces de discrimination, de violation du droit à la vie privée et cela devient une opportunité. »

Xavier et Kang voient aussi d’un bon œil les efforts d’informatisation dans les tribunaux et les initiatives de règlements de litiges de droit commun en ligne. Selon eux, ils vont contribuer à désengorger le système et améliorer l’accès à la justice.

Sur l’utilisation des médias sociaux, ils sont plus nuancés : « Ils accélèrent les cycles d’affaires et amplifient les erreurs qui deviennent virales… note Xavier, mais par leur fonction de branding, ils peuvent aussi aider un avocat à démarrer son propre cabinet. En entreprise, les médias sociaux relèvent du marketing, nuance Kang, non sans soulagement.

Mais Xavier Beauchamp-Tremblay et Kang Lee demeurent « techno-positifs » pour reprendre l’expression du premier. Le monde change, la profession d’avocat aussi. Mais elle demeure capitale.