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Conformité

Le débat entourant la séparation des rôles.

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Lorsqu’on a demandé à Daniel Desjardins d’établir un département de conformité internationale chez Bombardier Inc. en 2005, le vice-président principal, affaires juridiques et secrétaire de la société avait le choix entre deux modèles.

La nouvelle section pouvait relever du département juridique et se rapporter à lui; ou elle pouvait opérer à l’extérieur du département juridique, et se rapporter à un autre dirigeant.

Me Desjardins savait une chose : « La conformité ne travaille pas en vase clos. Elle a besoin de soutien venant de plusieurs services, incluant le juridique ».

Il a finalement opté pour séparer la « police » de la « poursuite », et embauché un agent de conformité pour l’aider à établir les fonctions et processus requis pour superviser la compagnie en rapide expansion internationale.   

L’avocat a ensuite transféré la supervision de ce nouveau département de la conformité au responsable de la vérification interne, qui se rapporte ultimement au président-directeur général. Il a aussi maintenu un lien avec le comité consultatif de la compagnie, un groupe de dirigeants dont il fait partie et qui inclut le chef de la direction financière et ceux des ressources humaines et des affaires publiques.

Le comité se réunit à chaque trimestre avec la personne responsable de la conformité pour se pencher sur certains enjeux – plaintes, formation du personnel et certifications internes, entre autres. « C’est un bon forum pour débattre de stratégies et où nous voulons aller en matière de conformité », précise Me Desjardins. « L’équipe juridique est là pour offrir un soutien… Donc nous pouvons coordonner et planifier conjointement avec la conformité. Au niveau des enquêtes, le secteur juridique offre un soutien à l’agent de conformité. Ça fonctionne bien pour nous et ça nous assure que la conformité est bien intégrée. Ça lui donne une bonne visibilité. »

Me Desjardins a un luxe que d’autres dirigeants n’ont pas au sein de plus petites entreprises : la capacité de séparer les deux départements. Cette séparation aide à éviter les conflits ou les préoccupations quant au chapeau que portent les avocats lorsqu’ils conseillent leur compagnie.

Le meilleur modèle à adopter reste quand même sujet à débats, convient le vice-président. « Certains croient que tout cela peut être géré en une seule fonction, et d’autres croient que c’est mieux que ce soit séparé », dit-il. « Il n’y a pas de réponse parfaite. »

Quels sont les pour et les contre de chaque modèle? Pour alimenter ce débat, le magazine de l’ACCJE a sondé les conseillers juridiques d’entreprise, dont certains qui ont porté les deux titres.

La conformité au sein du département juridique

Wendy King, vice-présidente aux services juridiques, à la gouvernance et au risque chez Capstone Mining Corp. à Vancouver juge qu’« il y a des avantages et des désavantages à chaque modèle, et il n’y a pas vraiment de solution universelle ».

Plus efficace et moins coûteux

Créer deux départements séparés dans une plus petite entreprise « engendre des coûts élevés et il n’y a pas vraiment un besoin de les séparer », estime Me King. Elle ajoute qu’il y a souvent un dédoublement des compétences et des connaissances entre l’avocat général et l’agent de conformité.

Meilleure collaboration

Stephen Sigurdson, vice-président principal, affaires corporatives et juridiques chez Manulife Financial Corporation, explique que son organisation préfère que le chef de la conformité se rapporte au responsable des affaires juridiques, en raison du besoin de collaboration entre les deux fonctions. « Il est rare qu’une question de conformité ne comporte pas de dimension juridique, et il est rare qu’une question juridique n’ait pas de dimension de conformité. »

Avancement de carrière

En plus des questions d’efficacité dans l’allocation des ressources financières de l’entreprise, Gail Harding voit dans la jonction des deux services de meilleures opportunités d’avancement au sein de l’entreprise. « Les employés considèrent qu’il est plus facile pour eux de travailler dans le secteur règlementaire pendant quelques années et de revenir ensuite au juridique. Il y a beaucoup de mouvement entre les deux », note la vice-présidente principale, affaires juridiques et secrétaire de la société à la Canadian Western Bank.

La conformité à l'extérieur du département juridique

Mais ce n’est pas tous les avocats qui voient d’un bon œil la présence de la conformité dans leur département. Doris Stamml, avocate générale principale chez Ernst & Young LLP à Toronto, est heureuse de ne pas en avoir la responsabilité. « Il est important que les avocats généraux pensent aux questions règlementaires et de conformité et qu’ils s’impliquent […], mais ils n’ont pas à en avoir la charge», dit-elle.

Des compétences différentes

La question des compétences requises est une autre raison pour laquelle Me Stamml préfère séparer ces deux fonctions. « Les caractéristiques d’un chef de la conformité sont très différentes. Vous avez besoin de quelqu’un qui est fort en matière de processus et d’administration de programmes. […] Je ne suis pas certaine que des avocats qui sont utilisés pour éteindre des feux et régler des problèmes ont nécessairement toutes ces compétences. »

Moins de conflits

C’est cette opposition entre police et poursuite qui préoccupe le plus certains avocats lorsque les deux rôles sont combinés. Les conseillers juridiques d’entreprise doivent être conscients du chapeau qu’ils portent lorsqu’ils conseillent une compagnie pour éviter les conflits et s’assurer que la confidentialité des communications avec leur client est protégée. Diane Pettie, vice-présidente aux affaires juridiques et secrétaire de la société au sein du manufacturier de produits chimiques Canexus Corporation, juge que les risques sont moindres lorsque les deux fonctions sont séparées. « Si vous vous surveillez vous-même, généralement, c’est moins efficace », ajoute-t-elle.

Meilleure reddition de compte au PDG

Un processus de reddition de comptes qui se rend directement au PDG, plutôt qu’à l’avocat général, réduit les risques de conflits et garantit que le PDG est plus au fait des questions de conformité. Ken Jull, un professeur de droit règlementaire et avocat chez Baker McKenzie à Toronto, souligne que la réelle préoccupation en matière de conformité est la reddition de comptes. Avec telle une ligne directe vers le conseil d’administration et le PDG, elle sera « beaucoup plus efficace », dit-il. C’est sans parler du fait que cette option permet à l’avocat général de concentrer plus de temps et d’énergie à ses autres responsabilités.

Un programme est la clé du succès

Peu importe le modèle, lorsqu’un problème de conformité surgit, d’avoir un solide modèle en place est crucial, estime Me Jull. « Si vous avez un très bon programme de conformité, ça augmente la productivité de la firme et les profits. »

Me Harding note qu’un bon programme de conformité ne peut pas éliminer les risques complètement, mais il peut aider à les gérer. Ceci dit, les risques de non-conformité vont toujours exister au sein d’une entreprise, parce que « vous ne pouvez pas contrôler des milliers de personnes. Donc la question sera toujours : ‘Quelle est l’ampleur et quelles sont les conséquences de cette non-conformité?’ »

Au bout du compte, « la conformité est l’affaire de tout le monde, pas seulement d’une seule entité », conclu Me Desjardins. « Nous intégrons la conformité de la manière la plus complète possible au sein de la compagnie. Ce n’est pas seulement la charge d’une personne à son bureau; c’est la responsabilité de chaque employé. »