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Le design au service de la justice

Comment une passion pour les solutions inusitées a entraîné une diplômée en droit sur une voie professionnelle innovatrice

Margaret Hagan, co-director Legal Technology and Design, Stanford University
Margaret Hagan, co-director Legal Technology and Design, Stanford University Photo by/par Yves Faguy

Margaret Hagan est associée à la d.school (Institut de design) de l’Université Stanford, où elle mène des expériences pour rendre le droit plus accessible et invitant en recourant au design juridique. Le rédacteur principal du magazine National Yves Faguy l’a rencontrée à la conférence ReInvent Law, à New York.

National : D’où vient l’intérêt pour les solutions axées sur le design en droit?

Margaret Hagan : Je cherche constamment des moyens de rendre le droit plus accessible, plus invitant et plus convivial, que ce soit pour une entreprise ou pour un consommateur. Voici ma véritable passion : des gens normaux ont des problèmes juridiques irritants, sachant qu’ils auront sans doute des conséquences, mais préfèrent ne pas s’y attaquer parce que les avocats sont durs et intimidants, et traiter avec eux est plutôt pénible. Mon hypo­thèse générale est que droit et design ne sont pas antinomiques, et que leur conjugaison produit de puissants effets. Si le droit a pour but de rendre la société plus équitable et juste, le design vise à créer des choses que les gens veuillent utiliser et qu’ils puissent utiliser efficacement.

N : À quoi travaillez-vous à la d.school de Stanford?

MH : Nous essayons de monter des équipes interdisciplinaires — ingénieurs, spécialistes du comportement humain, politologues, avocats, médecins — parce que nous partons du prin­cipe que les avocats ne peuvent pas régler ces problèmes à eux seuls, même s’ils sont très intelligents. Si vous réunissez quatre avocats pour régler un problème difficile, ils ne vont pas aboutir à une solution créative.

Cette année, Ron Dolin et moi avons lancé le programme de technologie juridique et design. Nous nous sommes attachés à élaborer des outils d’accès à la justice en droit de la consommation. Nous voulons aussi former une nouvelle génération d’a­vocats. En réalité, notre but est de créer des modèles innovateurs et de nouveaux types de services juridiques, de faire de la formation et d’amorcer un flux de nouveautés, à partir de Silicon Valley et d’ailleurs.

N : Vous parlez beaucoup du processus en design. Que voulez-vous dire?

MH : Le design ne consiste pas seulement à créer de jolis objets, des pages web un peu plus percutantes ou des présentations PowerPoint un peu plus élégantes. Il faut reprendre les choses à zéro, reconsidérer les genres de services que nous voulons offrir et voir comment tout s’agence avec les schémas mentaux des gens. C’est une nouvelle façon de trouver des solutions.

Une personne ne peut pas toute seule étudier un problème et imaginer une solution. Je crois que le design est un processus d’approximations successives. Vous devez d’emblée soumettre les projets aux utilisateurs. Une idée ne vaut rien tant que vous n’avez pas quelqu’un qui en veut, puis vous devez la mettre à l’essai, la raffiner et trouver des spécialistes des aspects techniques et du design qui vous aideront à la concrétiser. Dans la formation à l’innovation, vous travaillez en bonne partie com­me dans une chambre d’écho où vous testez des hypothèses sur la façon dont les gens se comportent et qui ils sont.

N : Pouvez-vous donner un exemple?

MH : Nous invitons des gens ordinaires à participer. Dans notre projet sur la planification successorale, nous avions 12 personnes dans la quarantaine ou la cinquantaine, ayant différents ni­veaux de connaissances techniques et différents niveaux d’actifs. Les étudiants ont été chargés de produire quelque chose expressément pour une femme divorcée, de 45 ans, très chré­tienne, ayant des normes culturelles chinoises. Comment pouvons-nous faire en sorte que cette personne puisse mieux gérer les enjeux juridiques et les comprenne, au lieu de nous contenter d’hypothèses générales à propos du consommateur moyen?

N : Donc c’est une forme d’essais auprès de groupes cibles?

MH : Nous commençons avec l’utilisateur et nous voulons un design axé sur la personne. Si vous voulez concevoir une nouvelle appli pour iPhone ou un nouveau service juridique, vous devez trouver quelqu’un qui en a réellement besoin, et bien comprendre non seulement ses besoins juridiques, mais aussi ses préférences en matière de technologie, les choses qui l’irritent et les qualités d’un produit qui le séduiront. Par exemple, quel autre service semblable aime-t-il réellement et achète-t-il? Nous tentons ensuite d’utiliser ces perspectives pour déterminer la forme que devrait prendre un service juridique. Nous ne définissons ni le problème ni la solution avant de bien comprendre ce qui importe pour la personne.

N : Votre cheminement, après l’école de droit, est inha­bituel. Quel conseil donneriez-vous aux étudiants réfléchissant à une carrière en droit?

MH : Évidemment, c’est bon d’apprendre le codage. Mais sinon, il y a tellement d’autres voies de carrière. J’ai simplement beaucoup pensé au droit et au design, et j’ai décidé que c’était ce que je ferais. J’en ai parlé sur Twitter. J’en ai fait des dessins. Je ne suis pas du tout formée pour ceci. J’ai simplement décidé que je m’y intéressais et que j’allais m’y tailler un créneau. Et c’est formidable les possibilités qui se présentent une fois que vous avez décidé du créneau ou de l’énoncé ou d’un autre élément par lequel vous vous définissez, puis que vous commencez à construire un réseau et à communiquer. Vous pouvez créer votre propre cheminement professionnel. Vous n’avez pas besoin d’attendre que quelqu’un d’autre vous donne le genre d’emploi que vous voulez. Déterminez quelle est votre passion, puis faites-vous une place en conséquence et les gens viendront à vous. C’est étonnant.