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Les condos de la discorde

Le secteur des condos est celui qui connaît la plus grande croissance dans le monde de l’immobilier… Et il explore de nouveaux horizons juridiques.

Roberto Noce, Miller Thomson LLP, Edmonton
Roberto Noce, Miller Thomson LLP, Edmonton Photo by Curtis Trent

Les condos ont beaucoup à offrir : ils sont moins chers qu’une maison unifamiliale parce qu’ils partagent une infrastructure commune, ce qui les rend attrayants pour des premiers acheteurs. Mais le droit de la copropriété n’a pas maintenu le rythme de la croissance phénoménale du marché — et avec des milliers de Canadiens qui y font leur entrée chaque année, le besoin d’adapter les règles de résolution de différends n’a jamais été aussi pressant. 

Un copropriétaire moyen appellerait peut-être le service responsable d’appliquer les règlements, ou peut-être un conseiller municipal, si un voisin élevait des poulets illégalement ou s’il organisait des fêtes bruyantes jusqu’à tard dans la nuit. Mais les propriétaires de condos ont accepté un style de vie qui tente (autant que possible) de résoudre les conflits sans l’implication de politiciens et d’avocats — et sans les frais et les maux de tête qui souvent les accompagnent.

« Je dis souvent à des clients : ‘Si vous n’aimez pas les gens et vous n’aimez pas les règles, vous ne devez pas vivre en condo’ », dit Roberto Noce, c.r., associé chez Miller Thomson à Edmonton et spécialiste du droit de la copropriété.

La copropriété est une forme hybride de propriété privée et communautaire. Au Canada, on y réfère souvent comme le « quatrième palier de gouvernement », parce qu’en vertu de la loi, ils doivent s’autoadministrer. Ils élisent des conseils, prélèvent des frais, adoptent des règlements et règlent des différends. Mais l’expérience de trois marchés provinciaux d’envergure — la Colombie-Britannique, l’Alberta et l’Ontario — montre à quel point il peut être difficile de trouver un équilibre entre les forces en présence.

Toutes les juridictions canadiennes proposent la médiation et l’arbitrage comme modes préliminaires de résolution de conflits entre copropriétaires, et entre propriétaires et syndicats de copropriété. Or, si l’idée est de garder les conflits loin des tribunaux et de réduire les coûts, ça ne fonctionne pas toujours.

« Beaucoup de gens n’ont aucun intérêt pour la médiation », explique Armand Conant, associé chez Shibley Righton à Toronto qui dirige le département de la copropriété de la firme. « L’arbitrage est plus rapide — ça coûte plus cher au départ, tandis que les cours civiles coûtent moins cher au départ, mais peuvent coûter plus cher au bout du compte. Les gens sont poussés vers la médiation et ils s’enlisent dans l’arbitrage — c’est cher et parfois les parties jouent des petits jeux. »

La plupart des plaintes relatives aux mécanismes de résolution de différends visent les litiges entre propriétaires et syndicats. « Le conseil a les poches plus profondes — il peut utiliser l’argent de la copropriété pour mener sa bataille », explique Me Conant. « C’est un combat inégal. »

En Ontario, le gouvernement a demandé au Forum des politiques publiques, un groupe de réflexion, de tenir des tables rondes et de proposer des amendements à sa Loi de 1998 sur les condominiums. Présumant que la plupart des conflits peuvent être réglés grâce à de meilleures informations, le Forum a recommandé, dans un premier temps, de créer un Bureau des affaires concernant les condominiums (Condo office). L’organisme indépendant diffuserait de l’information sur les droits et les obligations des copropriétaires, des syndicats et des locataires.

Le Bureau inclurait un service de prise de décision rapide pour régler des désaccords mineurs comme l’accessibilité des re­gistres de la copropriété ou les votes par procuration à des assemblées de copropriétaires. Le Bureau inclurait aussi un bureau de règlement des différends pour fournir des opinions d’experts non exécutoires sur des sujets plus complexes, comme la violation des règlements de copropriété. Les parties pourraient accepter ces verdicts ou procéder à l’étape suivante : la médiation, l’arbitrage ou les tribunaux.

L’idée est de décourager les avocats de s’impliquer dans les premières étapes d’un conflit », explique Me Conant. « L’Ontario jongle avec l’idée de bloquer l’accès des avocats à toutes les petites disputes. »

La Colombie-Britannique est déjà en avance sur l’Ontario sur cette question : son Tribunal de résolution civile (Civil Reso­lution Tribunal (CRT)), qui devrait être mis en œuvre d’ici un an, est destiné à régler des litiges de petite taille au sein des copropriétés (on les appelle les « strata communities » en C.-B.) en un temps record — environ 60 jours, comparativement à une année ou plus aux Petites créances. Le CRT bloque l’accès aux avocats presque entièrement — aucune partie ne peut être représentée par avocat sans la permission de l’autre partie (la loi crée une exception pour les mineurs ou les parties souffrant de troubles mentaux).

Le but est de réduire les coûts, mais la réaction des syndicats de copropriété et de la communauté juridique a déjà commencé à se faire entendre.

« Le problème du point de vue des syndicats de copropriété est que vous avez un groupe de bénévoles qui se font traîner dans un processus de résolution de conflit sans avoir de grandes connaissances juridiques », explique Veronica Franco, associée chez Clark Wilson à Vancouver et spécialiste de la copropriété.

D’un point de vue technique, les audiences du CRT sont volontaires — à moins qu’une partie insiste pour qu’il y en ait une, auquel cas le syndicat doit y participer.

Les opposants au CRT et au bureau proposé en Ontario partagent des craintes semblables : que ces organismes ne fassent qu’imposer une nouvelle couche de bureaucratie au système — et le ralentissent plutôt que de l’accélérer.

« Si les syndicats et les copropriétaires en abusent, il y aura des retards », estime Josh Milgrom, avocat au sein de la pratique de copropriété de Heenan Blaikie.

Ironiquement, l’Alberta — la première province canadienne à adopter une loi sur la copropriété, en 1960 — tire maintenant de l’arrière au chapitre des mécanismes de résolution de conflits. « Nous n’en avons pas vraiment », dit Me Noce. « L’arbitrage est le seule disponible si les parties y acquiescent — ça arrive rarement et d’habitude, les conflits finissent en cour. C’est cher et ça prend du temps. »

Plus tôt ce mois-ci, le ministre albertain des Services, Manmeet Bhullar, a promis de mettre sur pied un tribunal avant le printemps 2014, pour éviter que tous les litiges échouent devant les juges. On dispose de peu de détails pour l’instant, mais Me Noce croit que la province considère une solution semblable à son système de résolution des conflits dans le domaine de la location résidentielle (Residential Tenancy Dispute Resolution Service) — un organisme autorisé à rendre des décisions sur des réclamations allant jusqu’à 25 000 $ et qui n’est pas sans rappeler le ser­vice de décision rapide proposé en Ontario.

« Ça pourrait finir par être un tribunal, ou une forme de médiation préalable à la cour », indique Me Noce.

Les enjeux sont élevés. Le marché résidentiel canadien est sorti de sa récession plus tôt cet automne, en partie grâce à des ventes robustes dans le secteur des condos. Avec la population qui vieillit, et les maisons traditionnelles qui deviennent moins abordables pour les acheteurs d’une première résidence, les condos devraient gruger une part de plus en plus grande du marché résidentiel. Les règles qui seront établies maintenant vont déterminer la manière dont plusieurs d’entre nous vivront notre vie dans l’avenir.

« Le ciel ne tombera pas si ça ne marche pas — le marché va continuer de croître », dit Me Noce. Mais ça va rendre la vie quotidienne en condo beaucoup plus difficile. C’est une question de qualité de vie. »