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Le droit et le design

La profession juridique en a-t-elle à apprendre des architectes et des ingénieurs?

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Comme toute personne qui a déjà été confrontée à un problème juridique le sait, na­viguer à travers le système de justice est géné­ra­lement une expérience pénible pour le client.

Comment, alors, rendre le droit plus accessible, engageant et agréable pour ses utilisateurs?

C’est une grosse commande; gérer des problèmes juridiques n’a jamais été amusant. Mais Margaret Hagan veut prouver que le « design thinking » — la réflexion conceptuelle axée sur le design — peut être un outil précieux pour améliorer l’accès à la justice et donner plus de pouvoir et de contrôle à ses utilisateurs.

« Les missions du droit et du design ne sont pas si distinctes et elles peuvent être assez efficaces si vous les utilisez conjointement », dit Hagan, du programme de technologie juridique et de design à l’Université Stanford. « Si le droit sert à rendre la société plus juste et équitable, le design sert à concevoir des choses que les gens veulent utiliser et qu’ils peuvent utiliser pour être en contrôle. »

Les firmes juridiques traditionnelles ne sont peut-être pas familières avec le design thinking, mais ce n’est rien de nouveau. Depuis les années 1970, l’architecture et l’ingénierie des produits se sont inspirées de ce concept, qui sert même à élaborer des programmes et politiques gouvernementales.

Popularisé par la firme de consultation IDEO et la deuxième vague des produits Apple, le design thinking est centré sur l’empathie et l’expérience humaine — d’où l’accent mis sur la colla­boration entre le concepteur et l’utilisateur et le transfert de connaissances interdisciplinaires. Il requiert aussi une expérimentation itérative, en faisant des ajustements et des améliorations au gré des essais et des erreurs.

Avocats-ingénieurs

Les avocats peuvent-ils être comparés à des ingénieurs? David Horwarth, qui enseigne le droit à l’Université Cambridge, croit que oui. « Que font les avocats? » a-t-il demandé à la conférence Reinvent Law à New York en février. « Le public pense que c’est du li­tige. Mais au Royaume-Uni, 80 % des avocats ne font pas de litige. Ils créent des structures artificielles… C’est aussi vrai que les avocats conçoivent des règlements et des lois et des constitutions. »

Les ingénieurs ont exploré le design thinking « plus soigneusement, plus systématiquement et depuis beaucoup plus longtemps que les avocats », dit le professeur Horwarth. Les ingénieurs ont recours à des outils électroniques de design depuis des décennies. À l’origine, l’expérience pouvait être déroutante, mais comme il le rappelle aux avocats, elle a transformé la profession d’ingénieur en stimulant « une nouvelle vague de créativité ».

« Les ingénieurs peuvent tester plus d’options plus rapidement et avoir plus d’idées et les emmener plus près de ce que le client a en tête », dit-il.

Horwarth voit une occasion semblable pour les praticiens du droit. La technologie, dit-il, « libèrera les avocats de tous les petits problèmes, la minutie du détail et la fine précision » et les encouragera à penser d’une manière mieux centrée sur les besoins des clients.

Margaret Hagan prévient que les discussions sur l’innovation juridique ont tendance à trop mettre l’accent sur la technologie et pas assez sur le design, qui pourrait être la force motrice, croit-elle, parce qu’elle sert à « concevoir des choses… dont les gens veulent et peuvent se servir ».

Garder les choses simples

De manière contre-intuitive, le défi actuel pour les juristes est d’écarter les obstacles posés par la complexité de pro­blèmes juridiques, note Paul Lippe, le fondateur et PDG de Legal OnRamp. « En droit, nous sommes friands de comple­xité, ce qui a du sens si vous vous adressez à des professionnels », a-t-il noté lors de la conférence Reinvent Law. « Mais ça n’a pas de sens si vous tentez de servir des clients et la société. »


Margaret Hagan, codirectrice,
programme de technologie juridique et de design
à l’Université Stanford

Une récente diplômée en droit de Stanford, Hagan participe maintenant à un programme d’enseignement à l’institut de design Hasso Plattner de Stanford. Elle travaille d’abord et avant tout avec des équipes interdisciplinaires pour développer de « nouveaux types de services juridiques » — d’aider des étudiants étrangers à obtenir de nouveaux visas à la planification de la retraite pour des travailleurs.

Les équipes font d’immenses efforts pour tester des outils et services potentiels sur de vraies personnes de générations et de cultures diversifiées, et au niveau de confort variable à l’égard de la technologie. « Nous apprenons ce qu’est un consommateur du droit, ce que les gens détestent, ce qu’ils aiment », dit-elle.

Par l’expérimentation, les groupes de travail de Hagan tentent de revoir la manière dont les services juridiques devraient être rendus. « Notre hypothèse de base est que les avocats eux-mêmes ne peuvent pas régler ces problèmes, même s’ils sont assez intelligents », dit-elle. « Nous avons recours à des ingénieurs. Nous avons recours à des analystes de comportements. Nous avons recours à des politologues et à des designers et à ce genre de combinaison. » 

Elle a reçu plusieurs demandes pour des outils du genre, venant même du domaine du droit criminel. « Un procureur est venu nous voir et a dit : ‘Pouvez-vous rendre les ententes hors cour plus lisible pour que les gens qui les lisent, les accusés, pour qu’ils puissent fournir un consentement éclairé?’ Ça rendra la vie plus facile aux procureurs. Ça rendra la vie plus facile aux avocats de la défense et ça rendra le système plus efficace, en ce que nous n’aurons pas ce problème des ententes de plaidoyers qui se font rejeter plus tard. »

L’approche conceptuelle fondée sur le design n’est pas une panacée pour le nombre croissant de contestations auxquelles fait face la profession juridique. Et il a sa part de détracteurs, qui estiment que son succès a jusqu’ici été mitigé et qui sourcillent devant ce qu’ils considèrent comme la dernière mode du monde commercial.

Mais pour comprendre ce que le client veut vraiment, « vous devez vivre l’expérimentation de l'échec », dit Hagan. « C’est comme cela que l’on crée un produit de qualité. »