Passer au contenu

Ça se corse

Attention généralistes : la pratique du droit immobilier devient de plus en plus complexe.

Stan Galbraith, Galbraith Law, Edmonton
Stan Galbraith, Galbraith Law, Edmonton Photo Photoraphie : Curtis Trent

La charge de travail des avocats et des notaires est aussi influencée par l’état du marché.

Fut un temps pas si lointain où un avocat ou un notaire canadien pouvait s’aventurer en droit immobilier assez facilement — travaillant en dilettante sur quelque transaction, sans pour autant se spécialiser dans le domaine. Mais cette époque pourrait être révolue : « L’une des tendances que j’ai vues au cours des dernières années est une reconnaissance à l’intérieur de la communauté juridique que de simplement s’aventurer sur le terrain du droit immobilier ne fonctionne pas », dit Stan Galbraight, un avocat chez Galbraight Law à Edmonton. « Le droit immobilier est maintenant reconnu comme exigeant des compétences uniques. » Bien que le droit lui-même n’ait pas particulièrement changé, une série d’autres changements — des tendances émergentes concernant les propriétés à usage mixte aux effets secondaires de l’état du marché, et en passant par la multiplication des exigences imposées aux prêteurs — ont rendu la pratique de plus en plus complexe. Le National a discuté avec six juristes d’à travers le pays des questions et tendances à surveiller dans les secteurs commercial, résidentiel ou du condo, à l’aube de 2015.

Résidentiel

L’un des facteurs les plus significatifs touchant les avocats et les notaires qui pratiquent dans le domaine est la liste qui s’allonge des exigences imposées aux juristes par les prêteurs hypothécaires. « Ce qui était auparavant un feuillet d’instructions de deux pages […] en fait maintenant six à 10 », lance Me Galbraith. « Les prêteurs tentent à mon avis de déplacer une part du risque vers les avocats. Ils se fient à vous pour accomplir une longue série de tâches, donc s’il y a quoi que ce soit qui tourne mal, c’est vers vous et votre assurance qu’ils vont se retourner. »

Joanna Wrzesniewski, une avocate spécialisée en droit im­mobilier au sein de la firme Kimmit Wrzesniewski, à Kelowna, croit que plusieurs de ces nouvelles exigences sont carrément déraisonnables. « Les prêteurs tentent de refiler toute la responsabilité aux juristes pour des questions pour lesquelles les juristes n’ont aucune connaissance, ni expérience », dit-elle. « Par exemple, on nous demande notre opinion pour savoir si l’eau du puits est potable. Évidemment, je ne peux pas le faire — ça doit être inspecté par un inspecteur de puits. Ou [ils veulent que je leur dise] si le système électrique d’une maison est conforme au code. Je peux jeter un coup d’œil, mais je n’irai pas ramper dans le grenier pour examiner le câblage électrique; ça doit être fait par un inspecteur électrique… Donc on doit constamment réviser ces instructions hypothécaires et dire au prêteur : “Je ne peux pas faire cela“. »

Ces changements sont survenus après la crise financière, apparemment en réponse aux craintes de fraude hypothécaire. Cette nouvelle réalité peut demander beaucoup de temps aux juristes, mais dans le contexte concurrentiel actuel, la plupart jugent qu’ils ne sont pas en mesure d’augmenter leurs honoraires en conséquence. « Il y a cinq ou six ans, avant qu’on doive passer à travers tous ces obstacles, une transaction immobilière ne prenait pas tant de temps que ça à faire », souligne Tom Taylor, un avocat de Calgary au sein de la firme Taylor Conway Barristers & Solicitors. « Mais maintenant, les nouvelles exigences prennent parfois trois ou quatre heures de plus — et je ne peux pas le facturer. Ça devient très difficile. »

La charge de travail des avocats et des notaires est aussi influencée par l’état du marché. Dans la grande région de Toronto, par exemple, la tendance est à la surenchère entre acheteurs potentiels, ce qui engendre des situations délicates qui poussent souvent les acheteurs à demander conseil à leur représentant juridique. « Je vois de plus en plus d’ententes sans condition — pas de condition de financement et pas de condition d’inspection », note Karina Frost, une avocate en droit immobilier chez Frost Law à Richmond Hill. Cela peut provoquer des problèmes inconnus qui surviennent après l’achat; et en terme de financement, « les gens sont souvent très surpris d’apprendre que même s’ils avaient une approbation préalable pour un prêt hypothécaire, ça ne veut pas dire que la résidence a été approuvée pour le montant » offert. Par exemple, quelqu’un pourrait être préapprouvé pour une hypothèque de 700 000 dollars, mais ils s’engagent dans une bataille de surenchère et finissent par devoir plus que le montant auquel la banque a évalué la maison. « Parfois, les clients qui se retrouvent dans cette situation doivent se débrouiller pour trouver un financement secondaire », dit Me Frost. « Ou parfois ils doivent prendre un prêt hypothécaire avec un taux d’intérêt beaucoup plus élevé que ce qu’ils avaient prévu au départ. »

Pendant ce temps, à Halifax, W. Richey Clarke de Boyne Clarke LLP souligne le fait très simple que lorsque les gens n’achètent pas de maisons, les affaires ne vont pas très bien pour les juristes qui se spécialisent dans le résidentiel. Le marché n’est pas aussi robuste qu’il pourrait l’être à Halifax en ce moment, note Me Clarke, même s’il s’attend à ce qu’il reprenne de la vigueur dans le courant de la nouvelle année. « Je crois que la plus grande préoccupation pour les avo­cats est le volume de travail — moins il y en a sur le marché, moins nous en avons », dit-il. « Nous partageons les mêmes préoccupations que n’importe qui : lorsque les choses vont bien, nous sommes heureux, lorsqu’elles vont moins bien, nous le sommes moins. »

Condos     

Les copropriétés divises font l’objet des mêmes enjeux que le marché résidentiel — avec leurs propres préoccupations en prime. « L’une des tendances que je vois est que certains des défauts inhérents à la copropriété commencent à remonter à la surface, en particulier avec le vieillissement de certains immeubles, qui ont besoin de rénovations », dit Me Galbraight. Les acheteurs de condos s’attendent à un certain style de vie sans tracas, « mais ils apprennent que quelqu’un doit gérer tout cela. Quelqu’un doit aller aux conseils d’administration, et ces propriétaires de condos qui ont essentiellement zéro formation en droit immobilier ou en administration doivent maintenant gérer des projets immobiliers de plusieurs millions de dollars. Ça présente certains enjeux pour nous [les avocats] ». 

L’émergence croissante d’immeubles à usage mixte ... rend les transactions et la structure de propriété beaucoup plus complexe. - Chantal Sylvestre

En Colombie-Britannique, Me Wrzesniewski explique que le gouvernement de la province a fait pression pour améliorer le niveau de divulgation pour les acheteurs, avec des amendements au Strata Property Act en 2011. Les syndicats de copropriétés doivent maintenant préparer des rapports de dé­préciation à chaque trois ans, sauf exception. Un inventaire doit être dressé et une éva­luation des coûts d’entretien des 30 an­nées à venir doit aussi être présentée. « Ce sont des protections additionnelles pour le consommateur », selon l’avocate.

Commercial  

L’émergence croissante d’immeu­bles à usage mixte — comme des immeubles avec des condos, des espaces de bureau et/ou des commerces au détail, tous hébergés sous le même toit — présente de nouveaux défis en droit immobilier commercial. « Cette tendance rend les transactions et la structure de propriété beaucoup plus complexe, à cause du nombre d’investisseurs […] et du type de projets », dit Chantal Sylvestre, qui dirige le groupe du droit immobilier chez Denton’s Canada à Montréal. « Lorsque vous avez des projets immobiliers à usage mixte, vous avez besoin d’une expertise en divers aspects — en droit de la copropriété, en servitudes… Et les gens qui pratiquent en droit municipal sont aussi très importants dans votre projet, parce que lorsque vous avez différents usages, vous devez respecter les règles de zonage et très souvent vous devez obtenir des mo­di­fications de zonage. » Me Sylvestre estime que de faire partie d’une firme de grande taille s’avère très pratique dans ce genre de dossiers, puisqu’elle peut demander conseil à des collègues spécialisés dans divers domaines. « L’équipe est très importante », insiste l’avocate.

« Les transactions commerciales sont aussi devenues plus complexes compte tenu de ce que le prêteur exige, des divulgations et des opinions qui sont réclamées au juriste qui repré­sente l’emprunteur », souligne quant à elle Me Wrzesniewski, qui pratique principalement dans le domaine résidentiel, mais qui fait aussi quelques dossiers commerciaux. L’avocate estime que dans les deux domaines, « je dois en faire beaucoup plus qu’il y a 10 ou 12 ans… On peut dire que c’est difficile de trouver une transaction simple de nos jours ».