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La réforme des retraites

Des municipalités confrontées aux déficits croissants de leurs régimes de retraite envisagent de partager le risque — et revenir sur les promesses faites à leurs employées.

Murray Gold, Koskie Minsky LLP, Toronto Photographie par Paul Eekhoff
Murray Gold, Koskie Minsky LLP, Toronto Photographie par Paul Eekhoff

Murray Gold, Koskie Minsky LLP, Toronto
Photographie par Paul Eekhoff

Le maire de Québec, Régis Labeaume, n’a jamais été du genre à mâcher ses mots. Mais cette déclaration, rapportée par La Presse l’été dernier, a réussi à attirer l’attention des Québécois sur une crise qui s’accentue et qui fermente depuis des années. Les régimes de pension municipaux deviennent de plus en plus problématiques et les contribuables — qui sont de moins en moins nombreux à bénéficier de tels avantages — ne sont pas prêts à se porter à leur secours.

Les législateurs commencent aussi à en prendre note. Juste avant les élections provinciales, le gouvernement Marois a déposé un projet de loi qui donne aux municipalités québécoises les outils pour composer avec les coûts croissants associés aux régimes de retraite du secteur public.

Le maire Labeaume établit le déficit de la Ville de Québec à 800 millions de dollars. À Montréal, il est évalué à 2,5 milliards. L’Union des municipalités du Québec dit que 108 villes et villages à travers la province cumulent un déficit collectif de 5 milliards $ en ce qui a trait à leur régime de pensions à prestations déterminées. « Les maires ont définitivement raison d’être préoccupés », dit Martin Rochette, un avocat montréalais spécialisé dans le domaine des régimes de retraite qui faisait partie du panel d’experts présidé par l’ancien PDG du groupe Desjardins, Alban D’Amours, et qui a rendu un rapport public sur le sujet au printemps dernier.

La Belle Province n’est pas seule dans cette situation. Une combinaison d’espérance de vie plus longue, de volatilité des investissements et de taux d’intérêt anémiques a laissé plusieurs municipalités canadiennes qui opèrent leur propre régime avec d’énormes déficits.

Pendant ce temps, la proportion de Canadiens qui bénéficient de tels régimes en de travail continue de diminuer. À peine 6,1 millions de travailleurs, ou 38,4 %, étaient couverts par des régimes de retraite enregistrés en 2011, une légère baisse depuis 2010, selon Statistiques Canada.

De plus, le nombre d’employés avec des régimes à prestations déterminées, et donc avec un revenu garanti à la retraire, est tombé sous la barre des 4,5 millions. Les employeurs cherchent activement des moyens de réduire leur exposition au risque en transférant les employés, en particulier les nouvelles embauches, à des plans à cotisations déterminées, qui n’offrent aucun revenu garanti à la retraite.

Lawrence Swartz, Morneau Shepell,
Toronto Photographie par Paul Eekhoff

 

Les provinces et municipalités canadiennes, dont la vaste majorité offre des plans à prestations déterminées, leur emboîtent le pas. Et s’il est improbable que les villes canadiennes subissent le même sort que Détroit, qui s’est placé sous la protection de ses créanciers l’an dernier, il est bon de noter qu’un juge fédéral a statué que les droits relatifs aux pensions n’étaient pas différents d’autres contrats : « Les prestations de retraite sont un droit con­trac­tuel et ils ne jouissent pas d’une protection accrue dans le cadre d’une faillite municipale », a-t-il tranché.

C’était un rappel brutal que les conditions relatives aux pensions peuvent être modifiées par l’État.

Partager le risque

Des provinces canadiennes ont déjà commencé à s’attaquer au problème de front.

Le Nouveau-Brunswick a pavé la voie il y a deux ans en façonnant une alternative nouvelle, mais controversée d’un plan qui permet un partage des risques et une réduction des coûts. Avec des villes comme Saint John qui était confrontée à un déficit de son régime de pension de 195 millions $, et Fredericton qui a vu le sien passer de 33 à 195 millions en seulement une année, il n’y avait d’autre choix que de réformer, « ou les pensions n’allaient tout simplement pas être payées », dit Susan Rowland, une avocate spécialisée dans le domaine et qui a présidé un groupe de travail de trois personnes au Nouveau-Bruns­wick, qui a proposé un plan de réforme.

Ce modèle à risques par­tagés est basé en partie sur le modèle du régime de pension hollandais. Il réduit les coûts potentiels pour les contribuables en divisant le plan, de manière à limiter la responsabilité des employeurs en terme de contributions, sans garantir les prestations des employés, mais celles-ci peuvent être bonifiées si le fond a un bon rendement.

« Plusieurs des réformes que nous avons proposées, ce sont des choses que nous n’étions pas heureux de faire parce que nous ne voulons pas voir les gens perdre ce qu’ils ont déjà gagné », a indiqué Me Rowland.

Mais elle voit d’un bon œil certaines des protections qui ont été mises en place. En vertu de la Loi sur les prestations de pension du Nouveau-Brunswick, les plans à risques partagés doivent être assujettis à une épreuve annuelle de robustesse et des simulations de crise, des stress tests comme ceux menés depuis 1991 par les banques canadiennes et les compagnies d’assurance. L’administration du plan est de plus prise en charge par un fiduciaire, plutôt que l’employeur.

Murray Gold, un associé chez Koskie Minsky LLP à Toronto, ne croit pas que d’autres provinces ou municipalités adopteront des lois en ce sens.

Jana Steele, Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto
Photographie par Paul Eekhoff

« Ça repose sur une proposition moralement répugnante », dit Me Gold, qui a été nommé par la première ministre de l’Ontario en février pour siéger sur un groupe-conseil sur la sécurité des régimes de retraite. « Vous devez croire qu’il est acceptable pour le gouvernement de faire des promesses — en tant qu’autorité morale — puis, quand les employés ont travaillé pendant 30 ans […], de faire volte-face et de la renier. »

Mais les provinces n’ont peut-être pas de meilleure option à offrir aux travailleurs. « Si vous n’avez pas de solution comme celle des risques partagés, éventuellement vous allez voir non seulement le secteur privé, mais aussi les gouvernements commencer à geler et convertir les régimes », prévient Lawrence Swartz, un associé chez Morneau Shepell Ltd. et président de la section nationale de l’ABC du droit des régimes de retraite et des avantages sociaux. « Vous êtes en meilleure posture avec un modèle à risques partagés qui continue de fonctionner. »

C’est ce que l’Alberta avait en tête lors­qu’elle a récemment annoncé son intention de réduire son régime de pension du secteur public et introduire des composantes du modèle à risques partagés. Affectée par un passif non financé de 7,4 milliards $, l’Alberta souhaite mettre en œuvre un nouveau système à risques partagés, modifier la subvention à la retraite anticipée, mettre fin aux ajustements garantis au coût de la vie et placer une limite générale aux taux de contributions pour des bénéfices gagnés après 2015.

« Les provinces doivent adopter des options hors du cadre des prestations et des cotisations déterminées », estime Jana Steele, membre du comité sur les régimes de retraite de l’ABC. « Le modèle à risques partagés a certains attributs du modèle à prestations déterminées, mais vient avec plus de certitude et a des caractéristiques plus durables à long terme. »

Pour l’instant, il est peu probable que le Québec s’engage dans cette voie. Le rapport rédigé par le comité d’experts présidé par Alban D’Amours énonce clairement que les plans à bénéfices déterminés devraient être maintenus parce qu’ils fournissent « le type de sécurité financière que l’on doit viser ».

Le comité a néanmoins suggéré que les règles de financement devraient mieux refléter les coûts réels et les membres devraient en assumer une plus grande part. Le projet de loi de la province présenté avant les élections a suivi plusieurs des recommandations du rapport : il aurait poussé les villes et les syndicats vers un partage de coûts et ordonné la restructuration de régimes qui ne sont pas financés à 85 %.

« Quand vous examinez les plans à risques partagés, les mesures évoluent autour des mêmes principes », note Martin Rochette. « Ça parle de coûts réels des pensions, de la possibilité de contrôler les coûts par l’entremise de prestations accessoires et de partages de coûts. Donc si la recette n’est pas identique, les ingrédients sont presque toujours les mêmes. »

Une meilleure solution?

Dans la foulée de toutes ces discussions sur les pensions, Murray Gold de Koskie Minsky LLP croit que le modèle qui devrait être repris est celui qui est déjà utilisé dans plusieurs provinces : un régime de retraite conjoint et unique à la grandeur de la province, comme l’énorme fonds de pension municipal de l’Ontario administré par OMERS.

« Ces régimes conjoints fonctionnement bien », dit Me Gold. « Ce modèle est la réponse. C’est la réponse depuis 20 ans et ça va continuer à l’être pour les régimes de retraite professionnels. »

« C’est une bonne solution », convient Lawrence Swartz de Mor­neau Shepell. « Il y a des éco­no­mies d’échelle dans l’industrie des pensions. Si ces plus petits ré­gimes peuvent se mettre ensemble pour faire partie d’un régime plus gros, vous pourriez sauver des coûts sur le plan administratif et des investissements. »

« Le défi est : comment réunir tous ces régimes ensemble? »