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Codifier l’éthique

Avoir un code de conduite est devenu d’une importance capitale en raison de l’augmentation de nouvelles lois et activités liées à la conformité tant ici qu’à l’étranger, de même que le besoin pour chaque organisation de mitiger les risques.

Christa Wessel, chief HR and legal officer McCain Foods Limited
Christa Wessel, chief HR and legal officer McCain Foods Limited

Christa Wessel se souvient d’une époque pas si lointaine où « c’était bien » d’avoir un code de conduite, habituellement dans des compagnies qui avaient réfléchi à ce qu’elles étaient et qui voulaient en reproduite les grandes lignes dans un document. Mais maintenant, grâce à un ensemble de facteurs, un code de conduite est à ce point critique au sein d’une organisation que Me Wessel ne pourrait s’en passer.

« Je ne sais pas comment je pourrais élaborer une politique anticorruption, par exemple, sans avoir établi un code de conduite clair », dit la chef des ressources humaines et des affaires juridiques chez McCain Foods Limited à Toronto. « Vous pourriez écrire une politique de 2000 pages avec une marche à suivre détaillée, les choses à faire et à ne pas faire, et vous ne pourriez jamais prévoir chaque éventualité, transaction ou circonstance susceptible de se concrétiser. Référer au code de conduite fournit ce cadre qui permet aux gens de prendre des décisions en fonction de leur propre jugement. »

Avoir un code de conduite est devenu d’une importance capitale en raison de l’augmentation de nouvelles lois et activités liées à la conformité tant ici qu’à l’étranger, de même que le besoin pour chaque organisation de mitiger les risques financiers ou à sa réputation si des dirigeants, employés ou tierces parties affiliées à l’entreprise se livrent à des activités illégales ou non éthiques.

« Compte tenu de certains changements en droit, en particulier au Canada avec les lois qui luttent contre la corruption à l’étranger, toutes les compagnies qui font des affaires dans des juridictions à l’extérieur du Canada doivent s’assurer que leurs employés les respectent », précise Anna Fung, vice-présidente, affaires juridiques et secrétaire de la société chez TimberWest Forest Corp. à Vancouver. « S’il y a de la publicité négative [en raison de gens qui ne respectent pas les lois], ça devient public très rapidement avec les médias sociaux… Donc la question d’avoir des pratiques d’affaires éthiques est maintenant au centre des préoccupations dans toute compagnie dotée d’un conseil d’administration responsable, qui doit s’assurer que ses hauts dirigeants et employés veulent adhérer à une culture d’éthique. »

Joindre l’acte à la parole

Avoir un code de conduite solide au sein d’une organisation est le premier pas vers une culture de conformité bien implantée. Mais contrairement à un document ou une politique de conformité, « un code n’a pas à être prescriptif et dire tout ce que les gens doivent faire et ne pas faire », explique Me Fung. Plutôt, comme le souligne Me Wessel, « ce sont les principes généraux ou les lignes directrices qui précisent le genre de compagnie que vous êtes et le genre de comportements auxquels vous vous attendez ».

Quels éléments-clés devraient se retrouver dans un code de conduite? Selon Eric Miller, vice-président principal et chef des affaires juridiques chez Agrium Inc. à Calgary, « un bon code de conduite parle de respect des employés en milieu de travail, de sécurité […] et parlera de la manière d’en faire plus pour se respecter la loi. Il reconnaît aussi les droits de la personne, encourage les gens à parler [lorsqu’ils sont témoins d’actes répréhensibles] et précise la manière de soulever ces préoccupations ».

« Mais ultimement, ajoute l’avocat, le document n’a aucune utilité pour vous si les gens ne joignent pas l’acte à la parole. Donc il est important pour la direction de parler des valeurs de la compagnie, et d’à quel point elles sont importantes. »

Ce n’est pas seulement à l’interne que le message doit être passé, note Janne Duncan, une associée chez Norton Rose Fullbright LLP à Toronto qui est impliquée dans la pratique anticorruption et d’éthique internationale de la firme. « L’un des éléments-clés dans le monde en pleine évolution dans lequel nous sommes, est que certaines des lois anticorruption visent non seulement la compagnie et ses subsidiaires, mais aussi ses fournisseurs et partenaires. Le U.K. Bribery Act est très clair à cet égard », dit-elle. « Donc ce qui est très important pour les conseillers juridiques en entreprise est d’avoir un code de conduite [qui s’applique à tout ce monde-là]. »

Respecter (ou pas) le code

Une fois que les attentes à l’égard de chaque joueur lié à l’entreprise sont clairement établies, le défi de s’assurer qu’ils respectent bel et bien le code demeure.

Ainsi, selon Me Miller, au cœur de tout programme de mise en œuvre, on devrait trouver une culture qui encourage les personnes à rapporter les gestes répréhensibles. Pour que ce soit faire adéquatement, votre système doit « donner accès à un certain nombre de personnes, donc si quelqu’un a une plainte à formuler ou une préoccupation, il peut aller au juridique, aux ressources humaines ou aux gestionnaires. Il doit y avoir plusieurs services [impliqués] pour favoriser cette conversation », explique l’avocat. Ceci dit, il peut y avoir des situations où des employés ne sont pas à l’aise de discuter d’un problème avec ces services, donc il devrait aussi exister une ligne téléphonique confidentielle où ils peuvent se référer.

« La divulgation d’actes répréhensibles est une question importante », renchérit Me Duncan. « Typiquement, le divulgateur devrait être en mesure de rapporter, confidentiellement, au président du comité de vérification, à l’avocat général ou au chef de la conformité, et il y a une chaîne qui remonte dans l’organisation, donc si vous avez un divulgateur, il y a quelqu’un sur le terrain qui sait à qui se rapporter pour que la question soit gérée de manière appropriée. »

Comprendre le rôle du juridique

S’il s’agit d’un problème sérieux, où des sanctions pourraient être imposées, c’est alors que le juridique entre en scène. « Les situations sont rarement noires et blanches, et il y a de nombreuses circonstances et perspectives qui résultent de l’évaluation selon laquelle on devrait sévir ou non, ou quelle action entreprendre… Et les avocats peuvent faire un bon travail pour évaluer tout cela », précise Wessel.

Évidemment, les conseillers juridiques en entreprise peuvent jouer plusieurs autres rôles importants, dont ceux de créer ou de mettre à jour un code de conduite. À cet égard, plutôt que de prendre le contrôle du processus, ils devraient plutôt se limiter à un rôle de soutien, croit Patricia Kosseim, avocate générale principale au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. « Les conseillers juridiques d’entreprise ne peuvent être dans le siège du conducteur dans le cadre d’une initiative comme celle-ci », explique Me Kosseim. « Je ne crois pas qu’il soit utile [pour eux] de diriger la discussion en disant à la haute direction quoi faire pour se conformer aux règles. Le meilleur rôle que vous pourriez jouer en tant que conseiller juridique est d’aider à déterminer la raison pour laquelle vous devriez faire quelque chose, et d’aider à atteindre cet objectif. »

Me Wessel participe elle-même à la mise à jour du code de conduite de son entreprise. Le processus a commencé il y a environ un an et demi, et il pourrait se poursuivre pendant encore un an. Le gros du code de McCain Foods demeure pertinent et il restera inchangé; mais ce qui est nouveau est le besoin de lier ces valeurs aux récents changements législatifs, et d’établir la manière dont ces messages seront relayés aux employés. « Le code restera le code, mais le matériel de formation contiendra différents exemples et adaptations pour des groupes spécifiques d’employés, comme les besoins d’un président régional sont différents de celui qui est à la réception des patates par la porte arrière », dit-elle.

Créer et mettre à jour un code de conduite nécessite sans aucun doute une énorme quantité de travail. La chose importante à se rappeler, cependant, est que de se doter d’un tel code n’est pas un évènement isolé – c’est plutôt un « processus continu », note Me Fung. « Vous ne pouvez pas le faire juste une fois et passer à autre chose », dit l’avocate. En fait, « le processus lui-même n’est pas aussi important que l’accent à mettre sur le besoin de respecter l’esprit et les valeurs que vous avez énoncés dans votre code de conduite ».