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S’adapter ou périr

Des associés directeurs révèlent ce qu’ils font pour s’adapter à l’évolution du modèle d’affaires et des besoins des professionnels dans le secteur juridique.

Adaot or perish
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Les temps sont durs pour les associés directeurs. Dans les grands cabinets comme les petits, ils doivent faire face à une multitude de problèmes de gestion difficiles, certains nouveaux, et d’autres moins.

« L’enjeu le plus récent, c’est que les jeunes avocats aspirent à une plus grande autonomie et à un meilleur équilibre travail-vie personnelle, et veulent donner un sens plus profond à leur travail, explique Simon Kent, associé fondateur chez Kent Employment Law, en Colombie-Britannique. Mais tout le reste semble étrangement immuable : la facturation à la minute, le manque de ressources des tribunaux, les clients qui ne peuvent se permettre un avocat, et les revendications auprès du barreau pour qu’on ouvre le secteur aux non-juristes. »

Pour aider les associés directeurs à s’adapter à l’environnement d’affaires d’aujourd’hui, l’ABC a sollicité les conseils de quelques dirigeants de cabinets. Voici ce qu’ils ont répondu.

Heures facturables ou honoraires fixes?

Le débat entourant les heures facturables et les honoraires fixes ne date pas d’hier. Mais il commence à s’intensifier avec les pressions financières croissantes que subissent les clients des cabinets. « Les clients recherchent de plus en plus des modalités de facturation autres que les heures facturables, comme des honoraires fixes ou d’autres modes de tarification, indique Paul Saunders, associé en matière d’innovation chez Stewart McKelvey, au Canada atlantique. Ils ont davantage tendance à recourir aux demandes de propositions et à faire appel à des professionnels de l’approvisionnement pour prendre leur décision d’achat, alors qu’auparavant, ils se fondaient surtout sur leur relation avec les associés du cabinet. »

« Dans les faits, on ne passe des heures facturables aux honoraires fixes que si le client détient un pouvoir de négociation suffisant pour amener le cabinet à envisager ce changement, précise Omar Ha-Redeye, directeur chez Fleet Street Law, à Toronto. Les petits clients n’ayant pas ce poids, les heures facturables ne disparaîtront pas de sitôt. Cela dit, on ne peut plus les imposer tous azimuts comme avant. »

Comment les associés directeurs devraient-ils composer avec ce changement? En acceptant que les temps ont changé, et en se montrant prêts à négocier des modes de tarification au cas par cas.

« Dans tous les domaines de pratique, il faut que les structures de tarification deviennent beaucoup plus fluides et adaptables, explique James MacNeil, associé directeur chez BoyneClarke à Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. Je ne serais pas surpris de voir apparaître un modèle hybride combinant honoraires fixes et heures facturables : au-delà d’un certain nombre d’heures prévu dans la convention d’honoraires fixes, on passerait aux heures facturables. »

Combler le fossé générationnel

Les baby-boomers, ceux-là mêmes qui ont forgé le terme « fossé générationnel » dans leur jeunesse, n’ont probablement pas trop pensé qu’ils se retrouveraient de l’autre côté dudit fossé plusieurs décennies plus tard, mais les voilà. Aujourd’hui, ces associés directeurs ont affaire à des employés de la génération X (maintenant quarantenaires ou cinquantenaires), de la génération Y (qui ont entre 25 et 40 ans) et de la toute nouvelle génération Z, chacun de ces groupes ayant sa propre vision de la vie.

« Il est difficile pour les associés directeurs qui ont 56 ou 57 ans de se rappeler à quoi ressemblait leur vie à 26 ou 27 ans, observe Bruce Engel, associé directeur chez Engel & Associates à Ottawa. Pour comprendre ce que les jeunes juristes vivent, ils doivent se rappeler cette période de leur vie et songer à l’expérience actuelle de leurs propres enfants adultes. »

Les associés directeurs doivent aussi s’éduquer sur les différences culturelles entre les générations de professionnels (par exemple, les moins de 30 ans n’ont jamais vécu sans Internet). Forts de ce savoir, ils pourront ensuite arbitrer les conflits intergénérationnels qui surviendront inévitablement.

« Je gère ces conflits en demandant aux différents groupes de discuter des problèmes entre eux lorsqu’ils surviennent, affirme Me Kent. J’essaie aussi de créer un lieu sûr où les jeunes juristes sentent qu’ils peuvent s’adresser à moi ou aux autres avocats d’expérience en toute transparence, sans craindre les conséquences de leur franchise. »

C’est une question d’argent

Dans certains cas, il se peut que les conflits intergénérationnels soient plus attribuables aux problèmes d’argent de la génération Y qu’à leurs différences culturelles avec leurs aînés. « Le fait est que les avocats et le personnel de soutien doivent aujourd’hui s’acquitter de dettes personnelles et scolaires qui atteignent des sommets jamais vus, explique Me Ha-Redeye. Si les employés prennent leurs décisions en fonction de ce qu’ils doivent payer pour rembourser leur dette, le cabinet peut difficilement leur en vouloir. »

Parallèlement, ajoute-t-il, « les jeunes avocats et employés travaillent souvent très dur pour arriver là où ils sont, et prennent leurs décisions d’ordre personnel et familial plus tard que les générations précédentes ».

« Aussi veulent-ils avoir une vie sociale maintenant, après tous ces sacrifices. »

« L’équité pour tous », un principe directeur

Les problèmes étrangement familiers mentionnés par Me Kent au début du présent article – « le manque de ressources des tribunaux, les clients qui ne peuvent se permettre un avocat, et les revendications auprès du barreau pour qu’on ouvre le secteur aux non-juristes » – se rattachent à un enjeu plus large : l’équité.

Les associés directeurs qui font de « l’équité pour tous » leur mantra sont mieux placés pour résoudre ces problèmes que ceux qui se complaisent dans la discrimination et les luttes de pouvoir. Qui plus est, le principe d’équité s’applique aussi aux questions relatives au milieu de travail, comme la diversité, l’intimidation et la prévention du harcèlement sexuel.

« Partout au Canada, le visage de la population change, et cette diversité s’observe maintenant dans les facultés de droit, indique Me Ha-Redeye. Les cabinets s’affairent à recruter des avocats de tous horizons, sachant qu’ils ne pourront garder un effectif homogène indéfiniment : ce manque de diversité est mauvais pour les affaires et dissuade beaucoup de nouveaux avocats de même songer à rejoindre leurs rangs. »

Le darwinisme à l’œuvre

Quand Charles Darwin a popularisé l’expression « la survie du plus apte » (inventée par son compatriote anglais Herbert Spencer), il parlait non pas de l’individu le plus fort d’une espèce, mais des êtres les plus à même de s’adapter aux conditions changeantes de leur environnement. Ce sont plutôt eux qui ont les meilleures chances de survie.

Il en va de même pour les associés directeurs et leur capacité à réussir dans un secteur en constante mutation. Paul Saunders leur recommande donc de se familiariser avec la gestion du changement pour mieux faire face à la résistance qu’engendre cette inévitable évolution. Comme le résume Me MacNeil, le succès des dirigeants de son cabinet tient à « leur capacité à s’adapter et à répondre aux besoins des clients ».