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Rechercher une pluralité d’expériences

Que peuvent faire les cabinets pour les personnes noires, autochtones et de couleur?

Lungile (Lulu) Tinarwo, founder of Tinarwo Law in Edmonton
Lungile (Lulu) Tinarwo, founder of Tinarwo Law in Edmonton

En tant qu’avocats, nous sommes des figures de proue dans la communauté en général, et nous occupons une position privilégiée dans la société, ce qui s’accompagne du devoir d’user de ce privilège de manière constructive. Le meurtre de George Floyd n’était pas le premier du genre et ne sera certainement pas le dernier. Mais ce qui est nouveau, c’est que les injustices de ce type sont de plus en plus souvent filmées et diffusées publiquement. Il y a crise, et on ne peut plus l’ignorer. Voir un homme mourir en invoquant sa mère est une scène douloureuse qui restera marquée au fer rouge dans nos mémoires pendant des années.

Alors, que pouvons-nous faire en tant que juristes dans ces circonstances? Tout d’abord, il ne faut pas oublier ce que nous avons ressenti, individuellement et collectivement, en voyant M. Floyd mourir, car le risque est bien réel de tout oublier et de continuer comme si de rien n’était. Ensuite, il faut faire un examen de conscience pour déterminer si et comment on perpétue le problème et ce qu’on peut faire pour rectifier le tir.

Notre corps professionnel doit faire une place accueillante aux personnes noires, autochtones et de couleur, et ce, à dessein. Qu’est-ce que j’entends par là? Eh bien si l’on me prend pour exemple, j’ai beau n’avoir qu’un petit cabinet, je fais l’effort délibéré d’offrir des stages aux étudiants noirs, autochtones ou de couleur qui ont besoin qu’on leur donne une chance, qu’on leur fasse une place. J’essaie de toujours avoir deux postes pour des stagiaires. Je le fais parce que je sais ce que c’est que d’être étudiant et d’envoyer des CV par centaines sans jamais recevoir l’appel tant attendu. Et aussi parce que je continue d’entendre les récits d’étudiants et d’étudiantes qui doivent reporter leur stage d’un an, voire plus, parce que personne ne veut d’eux. Ce qui est troublant, c’est que ce sont souvent des gens brillants qui ont énormément à apporter à un cabinet, mais qu’en raison de problèmes systémiques ou de préjugés inhérents, on les ignore en faveur de candidats qui « correspondent mieux au profil recherché ».

Cette manie, dans les cabinets juridiques, de rechercher un certain profil de candidats est intrinsèquement faillible puisqu’elle se fonde sur une évaluation menée par une équipe de recrutement largement homogène. S’ensuit un cercle vicieux où le manque de diversité des recruteurs conduit à plus d’homogénéité dans l’effectif, au sacrifice des possibilités qu’amèneraient des personnes aux origines et parcours diversifiés. Il est temps pour les cabinets de revoir leurs politiques d’embauche pour prendre conscience des pratiques qui favorisent un certain profil d’étudiants sans rien faire pour attirer des talents issus de la diversité.

Outre ce réexamen, il serait aussi intéressant que les cabinets se dotent de protocoles marketing et publicitaires ciblés encourageant les candidats de différentes origines (raciales ou autres) à postuler. Il y a un besoin criant de repenser les pratiques et politiques destinées à encourager la diversité et l’inclusion. Les grands cabinets en particulier, vu les ressources dont ils disposent, ont ici l’occasion de montrer la voie aux plus petits ainsi qu’à la société en général. Il y a – et il y aura toujours – des possibilités pour les cabinets de toutes sortes d’effectuer des commandites, et j’encourage ceux-ci à sortir de leurs œillères lorsqu’ils prendront des décisions au prochain exercice pour attirer et retenir des candidats talentueux qui soient noirs, autochtones ou de couleur. Il est possible de réaliser un vrai changement dans le milieu juridique : après tout, les juristes sont formés pour cerner les problèmes et trouver des solutions.

Quoi qu’il en soit, cela ne signifie pas que les personnes noires, autochtones et de couleur doivent être avantagées d’une manière ou d’une autre dans le processus de recrutement. Cela signifie simplement que la recherche de candidats qualifiés sera faite en portant aussi une attention particulière au facteur de l’identité raciale. Nous sommes plus que jamais conscients des problèmes sur ce plan, et il est temps d’y mettre fin pour que la composition des cabinets reflète la population qu’ils servent. C’est en faisant délibérément une place aux personnes noires, autochtones et de couleur que les cabinets d’avocats briseront les barrières qui existent depuis des générations et deviendront des modèles à suivre pour les autres acteurs du système juridique canadien.

Nous, juristes, jouissons du respect du public; il est temps de nous en montrer dignes et d’appliquer ce que nous prêchons en nous attaquant réellement aux disparités raciales dans notre profession (et pas seulement de nous contenter de quelques embauches symboliques pour nous faire bien paraître). Le changement n’a pas à se faire lentement. Les mentalités sont prêtes à évoluer après l’indignation collective que nous avons constatée; c’est le moment où jamais d’agir.

Pour finir, il y a nombre d’organisations et de consultants qui font un travail incroyable pour faire avancer l’égalité, la diversité et l’inclusion. J’invite tous les cabinets à chercher conseil auprès d’eux sur la façon de réellement diversifier leurs effectifs. Chaque geste compte. Un stagiaire de recruté, c’est un étudiant de moins qui doit mettre ses rêves de carrière sur la glace – ou même y renoncer – parce que toutes les portes lui sont fermées. Si chaque cabinet s’engageait à embaucher au moins un étudiant noir, autochtone ou de couleur par année, ces personnes feraient face à d’autant moins de barrières dans notre profession. Sans compter que les cabinets verraient tout l’intérêt de rechercher une pluralité d’expériences chez leurs candidats puisque les futurs talents issus de la diversité pourront s’imaginer sérieusement rejoindre leurs rangs.