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Élargir l’accès à l’éducation postsecondaire

Aider les enfants d’immigrants à accéder aux études postsecondaires, voilà une excellente façon de mettre en pratique les valeurs canadiennes.

Child in class with hand raised

Quand nos parents ont immigré au Canada de la République dominicaine et de l’Afghanistan, ils espéraient nous voir profiter d’avenues d’éducation qui leur avaient été fermées. En tant que membres de la classe inaugurale de la faculté de droit Lincoln Alexander de l’Université Ryerson, nous pouvons dire, le cœur plein de reconnaissance, que c’est mission accomplie. Mais qu’en est-il des jeunes et des élèves dont le statut d’immigrant est précaire?

Nous avons fait un stage d’été au programme de soutien et de représentation des enfants de nouveaux arrivants (Childhood Arrivals Support and Advocacy – le programme CASA), lancé par la clinique d’aide juridique à but non lucratif Justice for Children and Youth. Nous y avons appris que leurs perspectives sont sombres.

On estime qu’il existe entre 200 000 et 500 000 personnes sans papiers ou au statut précaire, et environ le quart d’entre eux seraient des enfants et des jeunes. Par « statut précaire », on entend les immigrants qui ne sont ni citoyens ni résidents permanents, c’est-à-dire toute personne dont le statut juridique n’est pas pleinement défini. Entrent dans cette catégorie les enfants et les jeunes dont le visa est échu, dont la demande d’asile a été rejetée ou qui sont entrés au pays sans documents valides.

Le programme CASA est avant tout là pour veiller à ce que les enfants et les jeunes sans papiers ou au statut précaire qui vivent en Ontario aient accès à une représentation juridique et à l’aide dont ils ont besoin pour naviguer nos systèmes de justice. Durant notre stage d’été, nous avons passé le plus clair de notre temps à travailler sur des dossiers de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire pour ces jeunes.

Dès le début de notre stage, nous avons constaté que de nombreux clients du programme CASA ignoraient les répercussions que leur statut défavorable aurait sur leur vie après la fin de leurs études secondaires. De la maternelle à la 12e année, les droits des enfants et des jeunes sont protégés par le Toronto District School Board et le Toronto Catholic District School Board en vertu de leurs politiques sur les élèves sans papiers, qu’on appelle aussi la politique du « ni vu ni connu ». Dans la même optique, le Québec a adopté le projet de loi 144 en 2017 pour permettre aux enfants et aux jeunes de fréquenter l’école primaire ou secondaire gratuitement dès qu’on peut démonter leur résidence dans la province.

Sous le régime de ces politiques, tous les enfants, quel que soit leur statut, ont le droit à l’école. C’est après le secondaire qu’ils se butent aux obstacles à l’éducation, sur les plans procédural et financier.

Le Centre de demande d’admission aux universités et le Service d’admission des collèges de l’Ontario exigent que les auteurs d’une demande déclarent leur statut d’immigrant avant de présenter leur demande d’admission à un établissement postsecondaire. Cette exigence peut dissuader plus d’un jeune de faire cette demande, car il leur faudra dès lors obtenir un visa d’étudiant pour faire des études universitaires.

En outre, les obstacles financiers aux études postsecondaires sont légion, à commencer par les universités et les collèges qui demandent aux élèves de fournir leur numéro d’assurance sociale (NAS) pour pouvoir se prévaloir des droits de scolarité canadiens. Or, la majorité des jeunes sans papiers ou au statut précaire n’ont pas de NAS, ce qui les oblige à débourser les mêmes droits de scolarité que les étudiants étrangers, qui paient jusqu’à 30 000 $ pour un diplôme ès arts, soit bien plus que les Canadiens, qui paient un peu plus que 7 000 $ en Ontario.

Nous avons eu de la chance : nos parents ont obtenu la citoyenneté canadienne pour nous quand nous étions enfants; nous avons ainsi déboursé les mêmes droits de scolarité que tout étudiant canadien. Mais qu’advient-il des quelque 25 % des 200 000 à 500 000 personnes arrivées au Canada pendant leur enfance et dont le statut est incertain?

Aux États-Unis, l’administration Obama a créé le programme Action différée pour les enfants immigrants (Deferred Action for Childhood Arrivals), le fameux DACA. Le DACA accordait aux personnes sans-papiers entrées aux États-Unis durant leur enfance, qu’on appelle les « rêveurs », le droit à de nombreux avantages sociaux, comme – dans plusieurs États – le droit aux frais de scolarité, aux prêts et aux bourses de l’État.

Le Canada est dépourvu, au fédéral, d’un programme équivalent de soutien des enfants d’immigrants sans papiers ou au statut précaire. En vue de combler cette lacune, l’Université York a créé en 2017 un programme intitulé « Access for Students with Precarious Immigration Status » (Accès pour les étudiants au statut d’immigrant précaire) pour donner à ces étudiants la possibilité de s’inscrire à un programme de premier cycle en payant les mêmes droits de scolarité que les étudiants canadiens.

D’autres universités, la nôtre par exemple, devraient imiter l’Université York. Pour les jeunes sans papiers ou au statut précaire, le fait d’être admis dans un établissement postsecondaire comporte d’énormes avantages, notamment celui de rendre plus convaincante leur demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire par la démonstration de liens solides avec leur communauté.

Le Canada se doit d’éliminer l’obstacle à l’éducation auquel se butent actuellement tant d’enfants d’immigrants d’un océan à l’autre. Nous espérons que les mesures adoptées par certaines universités ontariennes amèneront Ottawa à constater l’urgence de corriger cette situation. Sans accès aux études postsecondaires, de nombreux jeunes sans papiers ou au statut précaire résidant actuellement au Canada seront forcés de vivre comme citoyens de seconde zone, ce qui perpétuerait l’injustice.

Le Canada se dit fier d’être un pays accueillant qui favorise l’égalité des chances. Favoriser l’accès des enfants d’immigrants aux études postsecondaires serait une excellente façon de vraiment agir selon nos valeurs.

 

Les idées exprimées dans le présent article sont celles des auteures et ne reflètent pas nécessairement celles du programme CASA ou de Justice for Children and Youth.