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À la recherche d’un équilibre

Pas le choix : Les parents juristes en télétravail doivent fixer des limites.

Mother with child looking at computer screen
iStock

Pour les juristes qui sont aussi parents, la dernière année a été semée de défis, dont la plupart étaient tout à fait inattendus. Les procureurs de la Couronne Evan Goulet et Laura Drake, de Kamloops en Colombie-Britannique, n’auraient jamais cru qu’ils travailleraient un jour tous les deux à la maison, et encore moins avec leurs deux jeunes enfants dans les pattes. Malgré cela, Me Drake affirme qu’ils se trouvent « très, très chanceux ».

« Nos supérieurs ont fait preuve de beaucoup de souplesse dès le départ. Ils nous ont tout de suite dit, “On sait bien que ce n’est pas pratique de travailler de 8 h 30 à 16 h 30 si vous n’avez personne pour garder vos enfants. Pourvu que le travail soit fait, nous ne nous préoccupons ni du moment ni de la façon dont vous vous y prenez”. »

La mère de Laura Drake, qui est à la retraite, a quitté l’Alberta au printemps dernier pour venir s’occuper des deux jeunes filles du couple, qui étaient alors âgées d’un an et de trois ans.

« Quand ma mère était ici, les filles étaient dans la salle de jeu, je travaillais dans un bureau et Evan dans un autre, ou plutôt dans des pièces improvisées en bureau, explique-t-elle. Ma mère avait généralement besoin d’une pause vers 15 h 30, alors l’un de nous arrêtait de travailler pour prendre la relève avec les filles. S’il restait du travail à faire, on le terminait plus tard. »

Selon Erin Peters, ancienne avocate et psychothérapeute chez Erin Peters Counseling, la pandémie de COVID-19 a exacerbé les défis liés à la recherche d’un équilibre entre le rôle parental et la carrière en droit.

« C’est vrai que les juristes qui sont aussi parents ont toujours été à la recherche d’un équilibre entre leur charge de travail intense et les autres aspects de leur vie. La pandémie leur a vraiment fait apprécier à quel point le temps passé à l’extérieur du boulot est précieux. »

Depuis que ses filles sont retournées à la garderie, Laura Drake passe à présent la moitié de la semaine au bureau et l’autre moitié en télétravail.

Elle doit tout de même composer avec son lot d’imprévus. Par exemple, elle en était au deuxième jour d’un procès de trois semaines quand elle a dû passer une nuit au chevet de son aînée qui avait une toux.

« J’ai envoyé un message texte à l’avocat de la défense et à mon patron à environ six heures du matin pour leur dire “je n’ai pas de symptômes de la COVID, mais ma fille a toussé toute la nuit. Que pensez-vous de ma présence au tribunal ce matin? Et si vous préférez que je ne me présente pas… alors on fait comment?” », se souvient-elle.

Après avoir examiné comme il faut les recommandations de Santé Canada, son patron et elle ont déterminé qu’elle pouvait retourner au travail et poursuivre le procès, ce que l’avocat de la défense a accepté.

« Cette fois-là, on s’en est bien sorti », dit-elle, puisque son conjoint pouvait rester à la maison avec leur fille. « Mais j’ignore ce qui se serait passé si c’est moi qui avais été aux prises avec cette toux. »

Erin Peters, établie à Vancouver, est d’avis que l’incertitude est un enjeu délicat pour les juristes.

« Nous, les juristes, avons des personnalités très responsables, nous prenons nos responsabilités de prendre soin des autres très au sérieux », explique-t-elle. « Nous pensons à tous ceux qui nous entourent et en prenons soin. Compte tenu de la quantité de temps et d’énergie que l’on prend à s’occuper de nos enfants, il ne faudrait pas négliger de prendre soin de soi. Même s’il s’agit d’un défi de taille. »

Pour relever ce défi, Erin Peters suggère aux juristes de se fixer des limites et de s’affirmer davantage.

« Faites connaître votre réalité — par exemple, si un associé vous convoque en réunion à seize heures, répondez-lui “je dois aller chercher mes deux enfants à 16 h; je pourrais vous rencontrer à 18 h” », recommande-t-elle. « C’est mieux de le dire que de toujours chercher à gérer son horaire en fonction de celui des autres. »

Laura Drake reconnaît que le fait d’avoir un employeur à la fois souple et solidaire a été d’une grande utilité pour elle et sa famille.

« Nous sommes chanceux, Evan et moi, car nous faisons le même travail. Ça nous aide à déterminer qui reste à la maison et qui se présente au travail. C’est assez facile pour moi de poursuivre le travail là où il l’a laissé, tant que nous n’avons pas à être tous les deux au tribunal en même temps, indique-t-elle. Notre bureau est assez grand; s’il devait arriver que nous soyons tous deux incapables de nous occuper de quelque chose, nous pourrions trouver des collègues pour prendre la relève. Bon nombre de nos collègues ont aussi de jeunes enfants, alors ils comprennent la dynamique avec laquelle nous devons composer. »

Erin Peters recommande aussi aux cabinets juridiques de prendre des mesures pour être plus conciliants.

« L’une des meilleures façons de s’y prendre est d’avoir des conversations avec chacun des juristes qui sont aussi parents afin de leur offrir une tribune, un mentor ou un espace où ils peuvent s’exprimer, dire ce qu’il en est pour eux et ce qui les aiderait vraiment », indique-t-elle.

Pour gérer le stress et l’anxiété générés par la COVID-19, elle recommande aux juristes de prendre un peu de recul afin d’évaluer l’importance véritable de ce qui les préoccupe.

« Voyez la COVID comme l’occasion de vraiment prendre une pause et d’évaluer les différents aspects de votre vie, ceux qui figurent sur votre liste, ceux qui vous préoccupent et vous tirent de l’énergie mentale et plus particulièrement, ceux qui vous stressent », recommande-t-elle.

Elle suggère surtout de remettre en question les éléments qui vous angoissent.

« Demandez-vous pourquoi cela vous préoccupe en ce moment? Est-ce une préoccupation que vous devez avoir aujourd’hui? Est-ce une préoccupation que vous devriez avoir demain? Est-ce possible de laisser aller pour l’instant? Par exemple, ai-je vraiment besoin de m’inquiéter au sujet des études universitaires de mon enfant alors qu’il n’a que huit ans? Comme je suis déjà débordée, est-ce vraiment nécessaire de régler cette question aujourd’hui? »

Laura Drake estime que la pandémie représente une situation difficile pour tout le monde.

« Ne soyez pas trop durs envers vous-même. Je pense que beaucoup de juristes sont perfectionnistes, et ce n’est simplement pas le moment d’être parfaits, dit-elle. Il faut faire le tri et prioriser entre vos dossiers, votre vie, vos enfants et votre travail. Faites ce que vous pouvez et lâchez prise pour ce qui est du reste. »

« Ma maison est complètement sens dessus dessous à l’heure actuelle; je m’en occuperai bien plus tard », conclut-elle en riant.