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Repenser la formation en matière de compétences culturelles

Il faut approfondir les discussions sur la discrimination systémique et sur les solutions à y apporter.

Path to Reconciliation

Ces dernières années, une controverse a éclaté après que des barreaux aux quatre coins du pays ont rendu obligatoire la formation en matière de compétences culturelles. Le Barreau de l’Alberta, en particulier, a mis au vote le retrait de la formation Le parcours, un programme en ligne sur l’histoire et les réalités des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Les détracteurs de la formation lui reprochent de manquer d’éléments « juridiques substantiels ». Ses partisans, pour leur part, affirment qu’il est crucial de répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Bien que les membres du Barreau de l’Alberta aient finalement voté en faveur du maintien du programme Le parcours, un désaccord demeure quant à l’efficacité et à la pertinence des formations de compétences culturelles aux fins de l’octroi des permis d’exercice.

Il s’agit, cependant, d’une part essentielle de la formation de tout juriste. Comme le soulignent des statistiques, des études et des rapports alarmants, les Autochtones font constamment face à des interventions policières excessives pour des infractions mineures et à des services de police insuffisants lorsqu’ils sont victimes d’infractions graves; ils sont moins susceptibles de bénéficier de la négociation de plaidoyers et plus susceptibles de plaider coupable lorsqu’ils sont accusés au criminel; ils encourent des peines plus longues et se voient refuser la mise en liberté sous caution de manière disproportionnée en raison de facteurs systémiques; et ils sont confrontés à une discrimination supplémentaire dans l’application des outils d’évaluation des risques en raison de ces facteurs systémiques. Les Autochtones courent en outre un risque beaucoup plus élevé d’être tués par des policiers. Il s’agit clairement d’un problème qui doit être pris au sérieux.

Dans le contexte de polarisation actuel, les critiques n’hésitent pas à contester les cours de compétences culturelles comme une simple forme de complaisance envers les tendances et les idéologies du moment. Une vaste documentation issue des autres professions témoigne pourtant de leur efficacité. Une récente étude sur la discrimination dans les soins de santé en Colombie-Britannique a révélé la présence de stéréotypes, de racisme et de discrimination généralisés envers les Autochtones. La revue systématique de 34 études mesurant l’efficacité de la formation en matière de compétences culturelles a conclu à l’existence d’« excellentes preuves » selon lesquelles ce type de formation améliorerait les connaissances, les attitudes et les habiletés du personnel et augmenterait la satisfaction des patients. Il convient de noter que les patients comprenaient à la fois des Autochtones et des Latino-Américains, des Afro-Américains et des Asiatiques.

Pourtant, selon la professeure de droit Pooja Parmar, s’exprimant dans La Revue du Barreau canadien, ces formations ne répondent toujours pas aux besoins des communautés autochtones. Elle avance que les ateliers et les cours devraient être l’occasion d’avoir des conversations significatives qui mettent en cause la façon dont le droit perpétue cette discrimination. Or, les cours offerts sont selon elle « décousus » et, bien que partant d’une bonne intention, ne parviennent pas à saisir l’entièreté du problème et ne répondent pas aux objectifs de la réconciliation. Les arguments de la professeure Parmar résument assez bien mon propre sentiment à l’égard de ces formations.

 

Une formation à repenser radicalement

Dans toute initiative visant à résoudre un problème, la première étape consiste à offrir des connaissances et une sensibilisation sur la question. Le Parcours atteint cet objectif dans une certaine mesure. Mais il existe un ensemble d’autres mesures qui pourraient être adoptées pour s’assurer que les cours de compétences culturelles donnent des résultats significatifs. On pourrait améliorer les occasions de discussion, passer à la prestation en personne et faire appel à des experts de diverses disciplines, comme le cours Kwayeskastasowin offert à la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan.

Kwayeskastasowin signifie « rectifier les choses » en cri. Le cours s’inspire de pratiques et de traditions autochtones pour son contenu et propose aux étudiants et aux étudiantes d’approcher ce contenu à l’intérieur d’un cercle de partage, où ils sont mis au défi, dans un environnement à faible risque, de remettre en question leurs idées, de les concilier avec la pensée autochtone et de trouver des solutions créatives aux problèmes. Une discussion collégiale et un engagement fructueux sont cruciaux pour intérioriser les apprentissages, par opposition au caractère mécanique de la plupart des cours, où les informations apprises sont rapidement oubliées après l’examen.

Le Columbia Centre for Teaching and Learning révèle que l’apprentissage basé sur la discussion peut être « révélateur, dynamique et génératif ». Ça a certainement été mon cas dans le cours Kwayeskastasowin. Cette occasion d’échanger avec mes camarades – en particulier en droit, où les étudiants ont des parcours individuels et scolaires si diversifiés – m’a encouragé à prendre plus au sérieux les leçons qui débordent des murs de l’école et m’a amené à faire des liens avec mon expérience personnelle et les machinations plus larges de la société en général.

Les politiques symboliques ou de pure forme, où les efforts pour résoudre les problèmes sociaux sont largement superficiels ou symboliques, abondent dans le climat politique actuel, où l’on cherche davantage à éviter de se retrouver sur la place publique qu’à mettre en œuvre de vraies réformes. Bien qu’il y ait des tentatives de bonne foi pour mettre les questions autochtones au premier plan, il existe également une incitation parallèle à faire n’importe quoi pour éviter la grogne publique.

C’est le genre d’approche qui frustrera les participants qui estiment que ces cours ne cherchent qu’à amadouer. Si on ajoute de lourdes suspensions pour manquement, le cours devient une corvée, plutôt qu’une réelle occasion d’apprendre, d’échanger et d’appliquer nos connaissances dans la pratique. Les barreaux doivent s’engager à repenser ces cours de manière à ne pas s’aliéner une grande partie de leurs membres.

La profession juridique tend à attirer des personnes enclines à la pensée critique et à la remise en question des orthodoxies. Incorporer une variété de disciplines, présenter des données sociologiques et scientifiques solides et inviter des experts dans leurs domaines respectifs à parler de ces sujets ajouterait du poids au cours et apaiserait les craintes de complaisance.

Donner les cours en présence permettrait par ailleurs de mener des discussions significatives sur le contenu. Le partage d’expérience est essentiel pour établir des parallèles entre le cours, la pratique et la vie personnelle.

Plus important encore, les cours doivent se concentrer sur la discrimination systémique envers les Autochtones. Ils doivent présenter ces questions comme des problèmes qui ont désespérément besoin de solutions. Après tout, les juristes sont, à la base, des spécialistes en résolution de problème. Ils ont simplement besoin des bons outils pour la tâche à accomplir.