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L’accès à l’aide médicale à mourir

Les conclusions d’une experte du gouvernement fédéral donnent-elles davantage de latitude aux médecins pour interpréter la notion de « mort naturelle raisonnablement prévisible »?

Terminally ill patient

Quelques jours après que la Cour supérieure du Québec a rendu sa décision dans un dossier de contestation des critères d’accès à l’aide médicale à mourir, un autre développement notable est intervenu devant la Cour suprême de Colombie-Britannique en septembre. Un témoin expert mandaté par le gouvernement a soutenu dans son rapport que les personnes refusant des soins qui prolongeraient leur vie seraient aussi admissibles à l’AMM, car leur mort deviendrait par le fait même raisonnablement prévisible.

L’affaire concernait une jeune femme atteinte d’une maladie dégénérative, Julia Lamb, qui, avec la British Columbia Civil Liberties Association, contestait la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir.

Dans la situation spécifique de Mme Lamb, la Dre Madeline Li, médecin au sein du Réseau universitaire de santé de Toronto, expliquait que si elle cessait d’avoir recours au respirateur qu’elle doit utiliser la nuit et refusait le traitement de l’inéluctable infection pulmonaire qui en résulterait, sa mort naturelle serait dès lors raisonnablement prévisible. C’est pourquoi Julia Lamb et l’Association ont suspendu leurs procédures, puisque dans ces conditions, la jeune femme devenait admissible à l’AMM. « Mais cela oblige donc les patients à refuser des soins, ce qui peut être à la source d’une grande souffrance… », déplore Me Véronique Roy du cabinet Langlois qui représente l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité et Dying With Dignity Canada.

Difficile à dire si les conclusions de la Dre Li donnent-elles davantage de latitude aux médecins pour interpréter la notion de « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Me Roy note cependant que dans son rapport, la Dre Li a aussi réalisé une revue de la façon dont la loi a été appliquée depuis son entrée en vigueur. « Au début, les médecins hésitaient à donner l’AMM à moins que le patient se trouve déjà en soins palliatifs. Aujourd’hui, cela semble être plus souple », dit-elle.

Pour sa part, Me David E. Roberge, de McCarthy Tétrault, retient plutôt la décision du 11 septembre de la Cour supérieure du Québec qui a une portée bien plus large, et ce d’autant que la Cour suprême de Colombie-Britannique n’a pas rendu de jugement dans cette affaire. Il met aussi en lumière le fait que la juge Christine Baudouin, dans un jugement de 200 pages, invite les législateurs à se concerter durant la période de suspension de la déclaration d’invalidité, « afin d’éviter de perpétuer des incongruités actuelles » en matière d’AMM.

« C’est une élégante démonstration d’équilibre entre raison et humanité. La juge Baudoin étant spécialisée en bioéthique, elle était parfaitement dans son élément », mentionne Me Roberge, lui-même impliqué depuis 2010 quant à la question des soins appropriés en fin de vie et de l’aide médicale à mourir, notamment auprès de comités du Barreau du Québec et de l’Association du Barreau canadien.

Interpréter l’arrêt Carter

La juge Baudouin en arrive à la conclusion que les législations fédérale et provinciale encadrant l’aide médicale à mourir (AMM) sont trop restrictives et discriminatoires. « Le Tribunal n’entretient aucune hésitation à conclure que l’exigence de la mort naturelle raisonnablement prévisible brime les droits à la liberté et à la sécurité de M. Jean Truchon et Mme Nicole Gladu [les demandeurs dans cette affaire], garantis par l’article 7 de la Charte [canadienne des droits et libertés] », écrit-elle. La juge va plus loin en déclarant ces dispositions inconstitutionnelles et en accordant à Québec et à Ottawa une période de suspension de la déclaration d’invalidité d’une durée de six mois. D’ici là, les législateurs devront faire leurs devoirs, à moins que la cause ne soit portée en appel.

Me Jean-Pierre Ménard, le procureur des demandeurs et avocat bien connu dans le domaine du droit de la santé, a déclaré devant les médias il s’agit d’une grande victoire pour les patients, qui vient également réitérer ce qu’a statué la Cour suprême dans l’arrêt Carter en 2015. Le paragraphe 497 du jugement est éloquent à cet égard : « […] le fondement de la décision Carter n’est pas la proximité de la mort ou le lien temporel avec la mort naturelle anticipée, mais plutôt le respect de la volonté de la personne, la préservation de sa dignité et principalement le soulagement de ses souffrances intolérables associées à une maladie grave et irrémédiable ».

Rappelons que le Code criminel (loi C-14) pose le principe d’une « mort naturelle raisonnablement prévisible ». Du côté provincial, le législateur a opté pour le critère de « fin de vie » en plus de la « maladie grave et incurable », dans sa Loi concernant les soins de fin de vie, qui inclue l’AMM, adoptée en 2014.

Me Roberge tient à souligner que c’est la première fois qu’une cour donne son interprétation de l'arrêt Carter de la Cour suprême dans le cadre d'une contestation constitutionnelle. Autre aspect important qui ressort du jugement : il faut tenir compte de la diversité des individus en fonction des conditions qui leur sont propres. « La vulnérabilité doit être appréciée individuellement et non de façon collective. Certes, l’objectif du gouvernement de vouloir protéger les personnes vulnérables était louable, mais ces critères affectent des individus qui n’entrent pas dans cette catégorie », précise Me Roberge. Me Roy ajoute que la juge Baudouin a d’ailleurs pris soin de mentionner que Mme Gladu et M. Truchon ne sont pas vulnérables.

Même si cette décision n’est pas portée en appel, ce que l’on ne sait pas encore au moment d’écrire ces lignes, on aurait tort d’y voir la fin de l’histoire. « Plusieurs voix se sont élevées pour réclamer l’élargissement de l’AMM. Par exemple, en août 2016, l’Association du Barreau canadien a adopté trois résolutions dans lesquelles il exhortait le gouvernement à explorer d’autres situations, comme les demandes anticipées et l’admissibilité des personnes atteintes de maladie psychiatrique et celle des mineurs matures », illustre Me Roberge. Il sera assurément fort intéressant de voir de quelle façon le jugement rendu par la Cour supérieure du Québec trouvera écho dans l’analyse de ces enjeux, qui à n’en pas douter, émergeront tôt ou tard.