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Une relique utile

Notre système de monarchie constitutionnelle et de fédéralisme peut sembler dépassé, mais il sert de rempart contre l’absolutisme.

King Charles III

En pleine campagne électorale québécoise, le décès récent de la Reine Élisabeth II fait renaître le sempiternel débat sur la pertinence de la monarchie au Canada, voire plus largement, du fédéralisme canadien. À une époque où la méfiance envers les élites et les médias est à son apogée, l’importance institutionnelle de la Couronne britannique au Canada, symbole suprême de cette « élite » tant décrié, est aujourd’hui vivement critiquée.

Pourtant, notre système canadien de monarchie constitutionnelle représente un rempart efficace contre le populisme à tendance absolutiste. La philosophie derrière le système politique canadien empêche l’accaparement complet du pouvoir politique et la destruction des piliers de notre état de droit

Il peut sembler paradoxal que des symboles monarchiques, représentant un système où le roi ou la reine règne seul sur des sujets serviles, puissent servir de muraille contre l’absolutisme.

Un parlementarisme éprouvé

Le système fédéral canadien combine, presque à la perfection, la suprématie du Parlement et le symbolisme monarchique britannique. Ce système, qui procure un pouvoir législatif et exécutif réel à la Couronne, a su donner une culture d’anti-radicalisme à la politique canadienne, soutiennent, affirment les politologues Guy Laforest et Alain-G Gagnon.

Au Canada, nonobstant son rôle marginal, la chef de l’État demeure, sur papier, la reine (ou maintenant, le roi) du Royaume-Uni. Les pouvoirs du premier ministre canadien lui sont donc délégués par le représentant de ce monarque : la gouverneure générale.  

Ces symboles aux apparences vétustes peuvent activement contribuer à freiner les élans despotiques d’un leader nouvellement élu.

Le « peuple » ne mandate pas directement le premier ministre canadien et ce n’est pas lui qui lui accorde les pouvoirs exécutifs et législatifs au pays. Les citoyens votent pour un candidat qui représente un parti politique. Le chef du parti politique ayant fait élire le plus de députés devient, ipso facto, premier ministre. À l’exception des électeurs de la circonscription de la personne qui occupera le poste de premier ministre, les Canadiens et les Canadiennes ne votent pas directement pour leur principal dirigeant. Impossible, donc, pour un populiste à tendance absolutiste, d’arroger la légitimité complète de ses actions sous le prétexte d’avoir reçu un mandat du peuple.

Dans un système où trônent la primauté du droit, la monarchie constitutionnelle et le fédéralisme, le parti élu ne peut prétendre « devenir l’État », à la manière de Palpatine — personnage malintentionné de la célèbre série La Guerre des étoiles.

Ajoutons à cela que le gouvernement fédéral n’a qu’une partie du pouvoir et doit diriger le pays parallèlement avec les leaders des provinces canadiennes.

Un partage des compétences équilibré

Difficile pour une seule personne de prendre les rênes d’un pays où les pouvoirs sont divisés entre un état fédéral et plusieurs états fédérés.

Originellement, le premier objectif de cette division était simple : former un pays efficace. D’un côté, les pouvoirs à dimension systémique sont mis entre les mains du fédéral. De l’autre, les pouvoirs de proximité sont accordés aux provinces. Néanmoins, cette division permet, subsidiairement, de préserver les piliers de notre État de droit.

Les pères de la Confédération, malgré l’appellation, avaient comme objectif de « contracter une Union Fédérale » comme l’indique le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Étant un texte de compromis, il comporte des termes vagues ou généraux, tout particulièrement en ce qui a trait au partage des compétences. Ceci laisse donc le champ libre à plusieurs enjeux pouvant tomber à la fois sous la juridiction du gouvernement fédéral et celle des gouvernements fédérés.

À l’époque de la formation du pays, le parti de John A. Macdonald favorisait un gouvernement central fort, voire la fondation d’un régime unitaire. À la lecture de la constitution, nous constatons effectivement que les pères de la Confédération ont alloué manifestement plus de pouvoirs au palier fédéral en lui accordant notamment le pouvoir résiduel, le pouvoir d’urgence et le pouvoir déclaratoire. Ceux-ci sont d’une telle importance qu’ils permettent véritablement de déstabiliser le fédéralisme, entrainant un possible déséquilibre en faveur du pouvoir central.

Cependant, le pouvoir juridique rétablira rapidement l’équilibre entre les deux paliers de gouvernement. Très tôt dans l’histoire constitutionnelle canadienne, le Comité judiciaire du conseil privé de Londres a tenté de décentraliser le pouvoir politique au pays, et ce, partiellement en raison d’une vision plus protectionniste des sphères d’autonomie de chacun des paliers (cette décentralisation s’est amplifiée grâce à une application stricte et à l’avantage des provinces de la théorie des compartiments étanches. La compétence sur la propriété et les droits civils dans la province a été interprété très largement. Ensuite, la Cour suprême du Canada, nonobstant son approche plus souple du fédéralisme, a pris le relais et a fait perdurer ce désir d’équilibre. Qui plus est, certaines compétences des provinces, notamment la santé et l’éducation, ont gagné de plus en plus de poids dans la sphère sociale. Ces éléments ont fortement contribué à la décentralisation du pouvoir au Canada.

Aujourd’hui, nous pouvons prétendre que, même à la tête du gouvernement fédéral canadien, un élan autoritariste et centralisateur est bien difficile à orchestrer. Non seulement un tel acte irait à l’encontre de l’histoire constitutionnelle du pays et des courants dominants en la matière, mais celui-ci se buterait directement à la Constitution canadienne.

En effet, à mille lieues de la Constitution de la République populaire de Chine, amendée à la guise du parti au pouvoir — étant également, sur le plan pratique, l’unique parti —, la Constitution canadienne est difficilement altérable. Comme l’histoire nous l’a démontré, plusieurs modifications nécessitent l’accord d’une partie ou de la totalité des provinces du pays. Si certains critiquent son caractère rigide, notre constitution peut se vanter d’être blindée contre une potentielle attaque à notre démocratie.

En bref, nous ne pouvons que constater le caractère presque inébranlable de notre système. Que ce soit de par son origine ou de par son organisation, le système fédéral canadien, à l’inverse de plusieurs de nos semblables du monde occidental, est paré à de nombreux défis de notre époque.

Dans ces circonstances, est-ce que le système de monarchie constitutionnelle et de fédéralisme canadiens est une relique dépassée ? Bien malin celui qui peut prétendre répondre à cette question avec certitude. Néanmoins, nous croyons que le système actuel favorise une certaine stabilité de nos institutions démocratiques — ce qui peut représenter, à tout de moins, un très bon départ.