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Reprendre leur nom traditionnel

Heron Law s'implique dans la réconciliation en aidant ses clients Autochtones à renouer avec leurs noms traditionnels.

Wei William Tao
Wei William Tao

Ce n’est pas tous les jours que les juristes exerçant en petits cabinets ou seuls trouvent le projet communautaire parfait à soutenir bénévolement. Lorsque le gouvernement fédéral a discrètement annoncé que les Autochtones pourraient reprendre sans frais leur nom traditionnel sur des documents officiels comme leur passeport, l’avocat de Vancouver spécialisé en immigration Wei William Tao s’est empressé d’écrire sur Twitter.

Non seulement son tout nouveau cabinet, Heron Law, aiderait gratuitement les clients autochtones, écrivait-il, mais il prendrait en charge tous les frais accessoires non couverts par le gouvernement fédéral, comme les frais de photocopie et de messagerie.

L’annonce arrivait à un moment intéressant pour Me Tao – lauréat du Prix des membres fondateurs 2020 et du Prix de reconnaissance des bénévoles 2021 de la Section du droit de l’immigration de l’ABC –, car il venait lui-même d’entreprendre des démarches pour changer son nom pour Wei. « Mes parents m’ont d’abord donné un nom chinois, de façon très délibérée, raconte-t-il. Je n’ai pas eu de nom anglais avant l’école primaire. Je l’ai ajouté moi-même, pour tenter de m’intégrer. C’est tout un cheminement. Nous voyons tellement de demandeurs autochtones inquiets qui souhaitent faire la même chose et qui ont vécu des histoires intergénérationnelles autrement plus traumatisantes, des histoires qu’ils commencent à nous raconter. »

Le programme est une réponse à l’appel à l’action no 17 de la Commission de vérité et réconciliation, qui demande à tous les ordres de gouvernement de permettre aux survivants des pensionnats indiens et à leur famille, pendant une période de cinq ans, de reprendre sans frais leur nom autochtone.

Jeffrey MacDonald, porte-parole d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, explique par courriel qu’à la suite de la publication du rapport final de la Commission, l’administration fédérale avait répondu au cas par cas aux demandes des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

« Nous avons maintenant un processus officiel qui permet aux survivants des pensionnats indiens et à leur famille, ainsi qu’à tout Autochtone de reprendre gratuitement leur nom autochtone en faisant remplacer un passeport valide, un document de voyage, un certificat de citoyenneté ou une carte de résident permanent, jusqu’au 30 mai 2026 », affirme M. MacDonald.

Jusqu’à présent, la mise en pratique du programme est pour le moins lente. En date de juillet 2021, IRCC avait reçu « moins de cinq » demandes de reprise de nom autochtone sur un passeport, et « aucune demande de reprise de nom autochtone sur une carte de résident permanent ou un certificat de citoyenneté ».

 

Processus provincial, contraintes alphabétiques et barrières technologiques

L’appel à l’action no 17 vise « tous les ordres de gouvernement », mais les provinces n’ont pas encore emboîté le pas. Bon nombre des personnes qui ont contacté Will Tao ont été surprises d’apprendre qu’elles devaient d’abord suivre le processus provincial pour faire changer leur nom, une information qui ne saute pas aux yeux lorsqu’on lit l’annonce de reprise de noms autochtones du gouvernement fédéral.

La reprise de noms autochtones est « un long processus », dit Me Tao, mentionnant les formulaires complexes, les documents PDF et les exigences d’authentification impliqués dans l’exercice. « Pour ceux et celles qui présentent une demande, les questions sont nombreuses. “Devrions-nous continuer de collaborer avec ces institutions qui nous oppriment depuis si longtemps? Quel est le sens de ce geste? Et qui le facilite?” »

La réponse à cette dernière question semble être « personne », à part des bénévoles comme Me Tao. Et bien que les frais d’administration fédéraux soient suspendus, les frais accessoires peuvent facilement atteindre des centaines de dollars.

Les Autochtones qui souhaitent procéder à un changement de nom se heurtent à d’autres obstacles que l’argent, comme les longs délais, la rigidité bureaucratique et les limites de l’alphabet romain. De nombreuses langues autochtones comptent des caractères ou des chiffres spéciaux. On peut comprendre jusqu’à un certain point, concède Me Tao, que le gouvernement ait besoin de temps pour modifier son processus d’impression de documents afin d’élargir son offre et inclure les orthographes autochtones. « Mais il me semble très contradictoire, je dirais, d’annoncer un processus de reprise de nom, puis d’ajouter qu’on ne peut changer que pour un nom en caractères romains. »

Relations, confiance et histoires personnelles

Will Tao et son équipe ont tout de suite su qu’acquérir la confiance des communautés autochtones était le point de départ du travail de reprise de noms. Quand un allochtone propose son aide, explique Me Tao, il peut y avoir une certaine hésitation. « Je peux très bien m’imaginer que si j’étais à leur place, je me demanderais à qui j’ai affaire et quelles sont ses motivations, dit-il. Comment créer un environnement favorable à ce type de dialogue? Les gens veulent raconter leur histoire, alors que le processus ne vous demande pas votre histoire. Il dit simplement : voici les formulaires à remplir, le processus est très encadré. »

Me Tao et ses associés ne manqueront pas de travail au cours des cinq ou six années que le projet, estiment-ils, devrait prendre. « Nous voulons nous assurer de ne pas reproduire les erreurs commises par les processus administratifs, dit-il. Il ne faut pas précipiter les choses ni tenter de les forcer. Il faut d’abord cultiver la confiance, établir de bonnes relations. »

Me Tao se dit heureux que son cabinet puisse être une ressource pour tous les juristes du pays qui souhaitent participer au processus de reprise de noms autochtones et en faire leur projet communautaire. Il lance cependant cette mise en garde : « Ces processus produisent encore beaucoup d’effets dommageables. Aider quelqu’un à mener à bien une démarche à laquelle il n’aurait en réalité jamais dû avoir à se soumettre, c’est une tout autre histoire. Ça exige une réflexion sur la façon d’offrir une assistance la plus empathique possible. Surtout dans le contexte actuel. »