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Le commissaire de la concurrence s’engage sur une voie ambitieuse

Matthew Boswell met à exécution son plan de renforcement des méthodes d’application de la loi.

Matthew Boswell

Le nouveau commissaire, Matthew Boswell, a pris la parole en mai dernier à la Conférence du printemps de l’Association du Barreau canadien sur le droit de la concurrence. Promettant de renforcer comme il se doit la concurrence dans les secteurs économiques clés pour les Canadiens, il y a présenté son plan ambitieux pour un Bureau de la concurrence avec plus de mordant.

Me Boswell a annoncé qu’il mettrait l’accent sur la mise en application concrète de la loi, notamment par une intensification du recours aux procédures comme les demandes d’injonction et les demandes d’aide au tribunal pour la résolution des litiges sur lesquels le Bureau enquête. Présentant une vue d’ensemble, il compte faire du Bureau un chef de file mondial en matière de surveillance de la concurrence dans l’économie numérique, et améliorer son aptitude à suivre les évolutions – surtout technologiques – de l’économie en général.

Comme pour l’augmentation du recours à l’arsenal de procédures complet du Bureau – notamment les demandes d’injonction –, Me  Boswell prévoit toujours mettre de l’avant la détection, le travail d’enquête et l’engagement de poursuites dans les affaires relatives aux cartels du crime, qu’il qualifie de « fléau absolu de la lutte antitrust ».

Il a ajouté que les affaires fondées sur des questions de principe seraient traitées en contentieux en cas d’impossibilité d’une entente raisonnable et convenable. Le commissaire s’est dit tout particulièrement intéressé par les secteurs des télécommunications, de la pharmaceutique et de l’infrastructure.

Par cette allocution, « le Bureau annonce les couleurs de sa nouvelle stratégie d’application de la loi », dit Anita Banicevic, de Davies Ward Phillips & Vineberg à Toronto. L’un des principaux points qu’elle retient, c’est que le Bureau a désormais l’intention de surveiller même les transactions qui sont en deçà d’un certain seuil monétaire et libres d’obligations de préavis ou d’examen préalable.

« Je pense que nous avons tous été avertis de son intention de donner beaucoup plus de dents à la loi. »

Elle poursuit : « On constate bel et bien l’examen d’un nombre croissant de transactions non assorties d’un préavis obligatoire. En effet, les mesures comme les entrevues verbales en contexte de fusion étaient inhabituelles jusqu’alors. Leur multiplication annonce effectivement un Bureau qui appliquera la loi avec plus d’énergie. »

Les juristes travaillant sur une transaction devraient savoir qu’« il est important de tenir les avocats du Bureau de la concurrence au courant, même quand vous êtes en bas du seuil », explique Me Banicevic. Il est devenu crucial de les inclure tôt dans le processus de planification de transaction. « On ne saurait tenir pour acquis que les organismes de réglementation ne poseront pas de questions. »

Dans un exemple très médiatisé d’une transaction non assujettie au préavis de fusion obligatoire en vertu de la Loi sur la concurrence, le commissaire a déposé, en juin, un avis de demande pour contester l’acquisition d’Aucerna, une société canadienne de génie logiciel, par Thoma Bravo LLC, une société américaine de capital-investissement. Le Bureau alléguait que cela représentait la fusion des deux plus importants fournisseurs de logiciels de gestion des réserves du Canada, ce qui affaiblirait beaucoup la concurrence.

« Le Bureau est d’avis que l’acquisition représente un monopole dans un créneau assez étroit », dit Anthony Baldanza, de Fasken Martineau DuMoulin, à Toronto. « Le Bureau en avait eu vent par sa nouvelle équipe de renseignement chargée du repérage des transactions non régies par l’obligation de préavis. »

Dans son allocution de mai, M. Boswell a attiré l’attention sur la croissance exponentielle de l’économique numérique mondiale, laquelle oblige les autorités du droit de la concurrence à se concerter presque quotidiennement. Il a dit que le Bureau prévoyait opérer à l’international de manière ciblée en raison de ses ressources limitées.

Depuis, le Bureau a retenu les services d’un dirigeant principal de l’application numérique de la loi, chargé de l’aider à faire respecter les lois régissant l’économie numérique. Cette embauche indique que ce secteur économique recèle encore bien des mystères. « Bien que les problématiques sous-jacentes n’aient rien de neuf, le Bureau se retrouve confronté à des réalités plutôt inédites, commente Me Baldanza. Il va se pencher sur des méthodes d’enquête et de renseignement propres à améliorer son efficacité. »

Par ailleurs, Me  Boswell a annoncé une approche plus affirmative dans les cas de défense fondée sur les gains en efficience : le Bureau donne quand même le feu vert à la fusion entre deux concurrents si le gain de rendement l’emporte sur l’effet anticoncurrentiel. Ce raffinement procédural implique que l’on produise une preuve détaillée démontrant la rentabilité alléguée, que l’on dispose de ressources adéquates pour évaluer ces preuves, et que l’on fixe, par des ententes, des délais suffisants pour une évaluation rigoureuse de la preuve.

Me  Boswell l’a résumé en mai : « Il y a très peu de chances pour que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en m’abstenant de contester une fusion qui peut nuire à la concurrence s’il n’y a pas de preuves crédibles et probantes pour bel et bien démontrer le bien-fondé d’une telle défense. »

Les parties à une fusion étant très pressées de conclure le marché, « tout cela n’est guère encourageant pour les défenses fondées sur les gains de rendement, commente Me Baldanza. Et en gros, on annonce que celui qui n’obtempère pas à cette exigence verra sa fusion contestée. Reste à voir si Me Boswell va passer de la parole aux actes, mais je ne pense pas que beaucoup de commissaires affectionnent ce motif de défense. »

« Dans l’ensemble, poursuit-il, le message est que le Bureau veut se faire plus énergique dans ses recours judiciaires, mais on ignore s’il dispose des ressources humaines et financières nécessaires pour mettre à exécution ce qu’annonce le commissaire. Il a déjà eu des problèmes à pourvoir ses initiatives à cet effet. »

Aux dernières nouvelles, l’enveloppe budgétaire du Bureau reste inchangée, et Me Baldanza rappelle que les injonctions peuvent coûter très cher.

« La question est donc de savoir comment le commissaire compte réaliser tout cela, car il y aura des sacrifices à faire. Je ne crois pas qu’il trouvera assez d’argent simplement en rognant dans ses engagements internationaux, » conclut-il.

Pour sa part, Me Banicevic n’est pas surprise d’entendre parler d’appliquer la loi plus énergiquement, mais elle souhaite voir le Bureau adopter des méthodes équilibrées, fondées sur des preuves et caractérisées par un examen minutieux des faits, afin de n’agir qu’en cas de véritable problème. « Car l’excès de zèle, dit-elle, peut être un poison pour l’innovation. »