On attend toujours le départ des baby-boomers
Les premiers baby-boomers ont eu 65 ans en 2011, mais on ne constate pas d’exode de masse de la profession juridique. Que retient un si grand nombre d’entre eux et qu’est-ce que cela signifie pour leurs clients et collègues?

Randy Osgood réfléchit beaucoup à la retraite ces jours-ci. Associé de Meikle Osgood d’Edmonton, il a récemment célébré ses 65 ans et il compte prendre sa retraite à 70 ans. Mais avant de pouvoir le faire, il doit répondre à de grandes questions.
Tout d’abord, son cabinet de trois juristes n’a pas de successeur évident. L’un de ses associés a presque le même âge que lui et l’autre ne pratique pas dans son domaine. Aucun des stagiaires qu’il a engagés au cours de la dernière décennie ne s’est avéré être la bonne personne, ce qui l’amène à s’inquiéter pour ses clients lorsqu’il prendra sa retraite.
L’argent est un autre facteur. Comme la plupart des juristes en pratique privée, Me Osgood n’a pas de fonds de retraite et il se demande de quel montant d’économies il aura besoin pendant la retraite, en particulier compte tenu de l’incertitude financière actuelle.
Par ailleurs, la réduction progressive d’une pratique est un processus titanesque qui nécessite la notification des clients, la fermeture de dossiers et la détermination des dossiers qui doivent être conservés et la durée de cette conservation.
Il doit aussi décider ce qu’il fera pour se tenir occupé pendant la retraite.
« La chose facile serait de ne simplement pas prendre ma retraite », ironisetil.
À Halifax, Kate Harris partage un grand nombre de ces préoccupations. Coassociée directrice chez Patterson Law, un cabinet de taille moyenne comptant cinq bureaux partout en Nouvelle-Écosse, elle a créé des liens profonds avec les clients qu’elle a servis pendant des décennies. Le montant de son rachat ne lui suffira pas pour subvenir à ses besoins pendant sa retraite et, comme Me Osgood, envisager une vie en dehors de la profession n’est pas facile pour elle.
« Notre identité est forgée par ce que nous faisons », dit-elle. « Je ne peux vraiment pas imaginer comment je passerais mes journées si je prenais ma retraite. »
Ces raisons permettent d’expliquer pourquoi l’âge moyen de la retraite des juristes canadiens est de 69 ans, selon Emploi et Développement social Canada, ce qui repousse un peu plus l’exode des baby-boomers.
Les avantages et les risques de rester
Les juristes autonomes peuvent choisir à quel moment ils prendront leur retraite. Bien que certains cabinets établissent un âge de la retraite obligatoire des associés à pleine participation, d’autres reconnaissent les connaissances approfondies, l’excellente clientèle et le grand réseau de liens des juristes plus âgés.
En fait, le cabinet Patterson Law a récemment embauché deux juristes de 70 ans qui avaient été forcés de prendre leur retraite par un autre cabinet.
« Nous valorisons les juristes âgés dans notre cabinet. Ils offrent un excellent mentorat, ils ouvrent de nouvelles portes et ils présentent les gens aux clients », dit Me Harris, 62 ans.
Patterson Law permet aussi aux juristes âgés de se soustraire à la pression d’une société de personnes, mais de continuer à travailler à temps partiel comme conseiller ou conseillère.
Toutefois, il y a aussi des risques à rester trop longtemps puisque le vieillissement a des conséquences.
« J’ai vu des juristes (de la partie adverse) qui avaient environ 88 ans et qui n’auraient pas dû travailler, dit Me Osgood. Je ne veux pas en arriver là. »
Même si le rendement des associés est à son apogée, un trop grand nombre qui continuent de pratiquer alors qu’ils ont plus de 70 ans ou 80 ans privent les jeunes juristes de possibilités d’avancer. Ainsi, les jeunes peuvent plutôt choisir de partir.
Comprendre la situation des baby-boomers
Quelle est alors la meilleure façon d’assurer une transition sans heurts à mesure que les baby-boomers quittent tranquillement la profession? Il n’y a certainement pas de solution universelle.
Comme peu de nouveaux juristes ont l’intérêt ou les fonds pour acheter une pratique existante, une meilleure option pour les petites pratiques ou les pratiques en solo peut être de fusionner avec un grand cabinet. Me Harris donne l’exemple d’une juriste spécialisée en immobilier qui s’est jointe à Patterson Law quelques années avant sa retraite planifiée. Cette période de transfert lui a donné le temps de s’acclimater et de transférer tranquillement ses clients et dossiers à l’équipe spécialisée en immobilier du cabinet.
Dans les cabinets qui ne fixent pas d’âge de la retraite, il est difficile d’établir des plans de relève clairs et de s’assurer qu’il y a suffisamment de jeunes juristes sur la voie de devenir des associés afin de payer les indemnités aux associés à la retraite. Le recrutement des bons candidats pour combler les vides est également difficile.
« Il y a beaucoup de talents qui se dirigent en droit », dit le recruteur spécialisé en droit, Daniel Lépine, président de Lépine Talent.
« La question la plus importante est celle de savoir s’ils veulent rester. »
Les jeunes juristes lui disent continuellement qu’ils ne sont pas intéressés par la semaine de 80 heures comme les générations précédentes. Peu de diplômés acceptent de pratiquer dans des régions rurales. De plus, un grand nombre choisissent des postes en entreprise, des carrières au gouvernement ou des domaines en dehors du secteur juridique.
Les juristes principaux comme Me Osgood en viennent à s’inquiéter pour un système de justice marqué par les délais.
« On perd une grande quantité de juristes compétents qui savent comment faire fonctionner le système plus efficacement », dit-il.
Même lorsque les nouveaux diplômés choisissent une carrière en cabinet, leur rétention n’est pas facile.
« Il y a eu un changement de culture et de la façon dont nous faisons les choses », dit M. Lépine.
Il fait également remarquer que le droit est devenu beaucoup plus spécialisé, ce qui fait que les juristes sont plus vulnérables aux fluctuations du marché. Par exemple, comment garder heureux et productif un spécialiste des fusions et des acquisitions durant un ralentissement économique?
Les cabinets en ont beaucoup sur les bras.
« Je crois que le travail de recruteur va un peu plus loin que simplement être un vendeur », dit M. Lépine, ajoutant que cela signifie souvent aider les cabinets à revoir leur stratégie de recrutement et à modifier leurs rôles internes en fonction des personnes disponibles sur le marché.
Il prédit que la turbulence va se poursuivre dans les années à venir puisque la technologie modifie la façon dont le droit est pratiqué, les baby-boomers partent tranquillement et une nouvelle génération ayant des priorités différentes entraîne des changements dans la profession.
Il y a toutefois une certitude.
« Je crois que je serai toujours occupé dans dix ans », dit M. Lépine en riant.