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Vers un nouvel accord

À l’approche de la ratification définitive de l’accord ultérieur à l’ALÉNA, les avocats spécialisés en droit commercial examinent certains des changements à venir.

Shipping containers
iStock

Certains secteurs d’activité devront faire l’objet d’une étude, même si la plupart d’entre eux ne devraient pas anticiper beaucoup de changements aux termes de l’Accord Canada-État-Unis-Mexique (ACEUM), probablement mieux connu sous le nom de l’AEUMC ou de l’ALÉNA 2.0.

Le Canada est le dernier partenaire à devoir ratifier l’accord. Le projet de loi C-4, soit le projet de loi de mise en œuvre de l’ACEUM, a franchi l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes en février, et a été renvoyé au Comité permanent du commerce international.

Peu de changements sont attendus au sein des entreprises canadiennes. Dalton Albrecht, associé chez EY Cabinet d’avocats et président du Comité du commerce et des investissements internationaux de l’Association du Barreau canadien mentionne ce qui suit : « certaines personnes plaisantent et l’appellent ALÉNA 1.5 ou même ALÉNA 1.1 ».

Raj Bhala, professeur émérite et titulaire de la chaire Brenneisen à la faculté de droit de l’Université du Kansas, recense trois secteurs qui connaîtront des changements importants : les nouvelles règles d’origine relatives au secteur de l’automobile et à celui des pièces d’automobile, le mécanisme de règlement des conflits de travail et la propriété intellectuelle.

M. Bhala, originaire de Toronto et conseiller principal chez Dentons, s’exprime ainsi : « Tout ce que fait l’administration Trump en matière de commerce international doit finalement être vu sous l’angle de la sécurité nationale américaine. Les changements les plus importants apportés à l’AEUMC découlent du lien entre le commerce et la sécurité nationale. La majeure partie du libellé de l’ALÉNA 2.0 est identique à celui de l’ALÉNA 1.0, mais ces trois principaux changements ne sont pas que le fruit du hasard; ils sont en fait liés au souci de sécurité nationale des États-Unis ».

Les règles d’origine visant à accroître la production automobile

Les changements les plus importants sont apportés dans le secteur de la fabrication automobile, où l’administration Trump a prévu des négociations commerciales visant à accroître la production automobile aux États-Unis. Une lettre annexée à l’accord garantit une exemption aux droits de douane pouvant toucher jusqu’à 2,6 millions d’automobiles canadiennes que le Canada exporte aux États-Unis chaque année.

Le contenu des règles d’origine des produits automobiles augmente le contenu de la valeur régionale de 62,5 à 75 %. Pour faire l’objet d’une exemption de droits de douane, les trois quarts d’une automobile doivent être fabriqués avec des pièces provenant du Canada, des États-Unis ou du Mexique et 70 % de l’acier et de l’aluminium utilisés dans le véhicule doivent être produits en Amérique du Nord.

On exige également que les travailleurs produisent 40 % de la valeur d’une automobile et 45 % de la valeur d’un camion, avec un salaire horaire moyen d’au moins 16 $ US. La disposition vise clairement le Mexique, où les travailleurs de l’automobile gagnent un salaire horaire moyen inférieur à 4 $ US par rapport à plus de 20 $ au Canada et aux États-Unis. 

On ne sait pas de quelle manière les parties se conformeront à cette exigence. Selon M. Albrecht, « il s’agit de la plus grande difficulté, et de celle qui aura la plus grande incidence sur les entreprises canadiennes, surtout pour les fournisseurs (de pièces) de niveau 1 et 2. J’ai déjà parlé à certaines personnes qui ne savent pas comment les 40 à 45 % de ce 16 $ de l’heure seront calculés ».

M. Bhala affirme que les Canadiens qui exercent des activités au Mexique doivent comprendre les règles techniques et accroître leur surveillance.

« Si vous êtes un Canadien faisant affaire au Mexique, vous devez prêter attention à la tenue de vos dossiers, vous conformer à ces règles d’origine et vous assurer d’appliquer intégralement les règles de l’AEUMC relatives aux droits des travailleurs au Mexique », indique M. Bhala.

Le règlement des conflits de travail se corse 

Il est essentiel que les exploitants canadiens exerçant leurs activités au Mexique se conforment rigoureusement à ces règles d’origine applicables au secteur manufacturier puisque les dispositions sur le travail prévues dans l’ACEUM sont dorénavant assujetties au mécanisme de règlement des différends. « Il s’agit du mécanisme de règlement des conflits de travail le plus rigoureux des accords de libre-échange américains », affirme M. Bhala.

Le libellé utilisé dans le nouvel accord de libre-échange pourrait permettre aux États-Unis de bloquer les importations de marchandises provenant d’une usine mexicaine avant qu’un tribunal ne se prononce sur la question. M. Bhala qualifie cela de « recours potentiellement draconien visant à empêcher l’entrée de marchandises à la frontière ».

Selon lui, « le non-respect des règles d’origine ou la violation des droits des travailleurs qui auraient possiblement pour effet de perturber les chaînes d’approvisionnement a une grande importance ».

Prolongation de la protection des droits d’auteur des créateurs

La protection du droit d’auteur passera de la « vie de l’auteur plus cinquante ans » à la « vie de l’auteur plus soixante-dix ans ». Cette modification rend les dispositions sur le droit d’auteur conformes à la norme américaine, connue sous le nom de « Disney rule », en vertu de laquelle le conglomérat du divertissement conserve ses droits d’auteur sur Mickey Mouse. 

Selon M. Bhala, les modifications pourraient créer des débouchés pour le secteur du droit d’auteur, parce que tout ce qui repose sur les droits de propriété intellectuelle et le commerce numérique bénéficiera d’une période additionnelle de protection.   

Bien que le Canada ait adhéré à la norme américaine sur le droit d’auteur, il n’a pas accepté la disposition selon laquelle les données des médicaments biologiques sont protégées pendant 10 ans. L’entente permet aux sociétés pharmaceutiques de conserver l’exclusivité pendant huit ans conformément aux conditions de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste.

Les gouvernements canadiens obtiennent un répit des poursuites des investisseurs 

L’élimination de l’ancien chapitre 11 prévoyant un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, entre les États-Unis et le Canada, en vertu duquel les entreprises étrangères pouvaient poursuivre le gouvernement à l’égard des mesures perçues comme injustes ou discriminatoires, est un autre gain considérable pour le Canada.

« Ce sont les États-Unis qui ont voulu l’éliminer, mais c’est surtout le Canada qui en a le plus souffert (à l’époque de l’ALÉNA) », affirme M. Aaron Ogletree, président de la Section du droit international de l’ABC et basé à Détroit. « Pendant cette période, le Canada a dû verser plus de 300 millions de dollars aux sociétés américaines ».

« C’est très positif pour le Canada en général, parce que je crois qu’on en a abusé », indique M. Albrecht. « Cela a une incidence sur les avocats, en passant. Un bon nombre d’avocats se sont concentrés sur les affaires relevant de l’ancien chapitre 11 ».

Richard Wagner, associé principal chez Norton Rose Fulbright à Ottawa, mentionne également qu’il pourrait y avoir moins de débouchés pour les avocats spécialisés en arbitrage.

Néanmoins, le Canada a conservé le mécanisme binational de règlement des différends pour examiner le règlement des différends commerciaux, vu comme étant essentiel aux négociations visant à régler le problème des droits compensateurs et des droits antidumping. 

Autres changements

Contenu de la valeur régionale : En plus des produits automobiles, les exigences relatives au contenu nord-américain doivent entrer en vigueur pour les textiles et les vêtements, les produits chimiques et les produits contenant beaucoup d’acier.

Mesures spéciales : Les quotas d’acier et les droits compensateurs demeurent des armes dont l’administration américaine pourrait se servir pour imposer des restrictions commerciales en dehors du cadre de l’ACEUM. « Surveillez les mesures spéciales », mentionne M. Wagner. « Il s’agit des principaux secteurs où vous devrez modifier vos pratiques commerciales, l’approvisionnement et la chaîne d’approvisionnement ».

Disposition de temporisation : Contrairement à l’ALÉNA, le nouvel accord est d’une durée de 16 ans, et peut être renégocié après six ans. M. Ogletree indique que les entreprises doivent tenir compte de la réalité lorsqu’elles élaborent des plans à plus long terme. Selon lui, « la situation pourrait changer complètement »

Seuils minimums : Le Canada relèvera son seuil minimum pour les expéditions qui passera de 20 $ CA à 150 $ CA pour les droits de douane et à 40 $ CA pour la taxe de vente.

Pour en savoir plus sur le chapitre de l’ACEUM relatif à l’environnement (article en anglais).