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La vie privée au temps de la génétique

Dans un futur dystopique, des bébés génétiquement modifiés engendreraient une lignée d’humains supérieurs qui en viendraient à dominer la planète; les enfants conçus naturellement seraient perçus comme inférieurs et poussés en marge de la société civilisée.

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C'est le genre de scénario qui sort des films de science-fiction. Mais au temps de la cartographie du génome humain et des avancées dans la découverte de gènes prédisposant à une maladie, ce sont désormais des réalités que certains prennent au sérieux.

Aux États-Unis, la loi Genetic Information Nondiscrimination Act (GINA), adoptée en 2008, interdit l’utilisation de données génétiques en assurance et en emploi. Elle vise à empêcher les assureurs de rejeter des demandes sur la base d’un profil génétique et à proscrire l’utilisation de ce genre de données pour la prise de décisions d’embauche et de congédiement.

Certains assureurs croient que ces mesures ne sont pas nécessaires, car le calcul des tarifs se fait déjà en fonction de profils médicaux détaillés et d’examens de santé, qui servent à prédire les risques relatifs de morbidité et de mortalité. Selon eux, exclure les données de l’analyse de risque signifierait que les risques posés par les porteurs de maladies graves sont assumés de façon disproportionnée par l’ensemble de la population. Or, grâce aux données génétiques, les primes pourraient demeurer modestes pour la vaste majorité des gens.

lls souhaitent aussi promouvoir la recherche en génétique. Pour l’instant, les craintes liées à la discrimination génétique empêchent les gens de donner certains documents ou de consentir à leur utilisation aux fins de recherche. Mais les biobanques, qui accumulent de grandes quantités de données, ont besoin d’une participation massive pour faire progresser le domaine.

En réponse à ces problèmes, le Parlement du Canada a présenté un projet de loi sur la non-discrimination génétique.

Mais il en reste encore bien plus à découvrir. La quasi-totalité des traits génétiques contiennent plusieurs allèles (des variantes d’un gène), souvent le fruit de l’interaction de nombreuses influences génétiques. Sans la présence d’une forme quelconque de facteur environnemental, ces traits sont souvent occultés.

S’ils voulaient réellement évaluer ces risques avec justesse, les assureurs devraient suivre l’ensemble de nos activités quotidiennes : alimentation, exercice et exposition à toute une gamme de facteurs environnementaux. En pratique, cette surveillance serait à l’humain ce que le GPS est à la voiture. Un tel niveau d’intrusion dans la vie privée des gens ne pourra évidemment jamais être justifié.

C’est pourquoi toutes les hypothèses concernant les traits génétiques sont foncièrement imparfaites. Comme pour toute forme de discrimination, elles s’appuient sur des données inexactes ou incomplètes.

Ironiquement, les mesures législatives d’interdiction de la discrimination génétique pourraient bien favoriser la recherche visant à démontrer la fragilité des assises scientifiques sur lesquelles elle repose. Au cours des 100 dernières années, les progrès de la biologie ont eu le même effet sur des principes prétendument scientifiques sous-tendant un certain racisme. Malgré notre précipitation à vouloir appliquer les nouveaux savoirs ayant trait aux composantes du corps humain, il nous faut récuser l’arrogante hypothèse voulant que nous en maîtrisions véritablement le fonctionnement.

Le sursis nécessaire pour y arriver pourrait bien provenir de dispositions législatives comme les projets de loi S-201 et 127.