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Les promesses de l’assurance médicaments

La coopération des provinces et des territoires décidera si le projet de loi mène ou non à quelque chose de concret.

Pharmacare

Dans deux ans, peut-être trois, bien des gens dans les cercles de la politique de santé se demanderont peut-être ce qui est arrivé avec toute cette histoire d’assurance médicaments.

Ou ce ne sera peut-être pas un si grand mystère. La vague initiale de couverture médiatique optimiste qui a suivi le dépôt du projet de loi 64, la Loi concernant l’assurance médicaments, a été suivie presque immédiatement par des commentaires plus caustiques remettant en question le fait que le projet de loi est réellement le changement radical de politique sociale que ses partisans prétendent qu’il représente.

« Vous voyez beaucoup de langage prônant le “cheminement” dans le projet de loi, mais j’ai eu du mal à trouver quelque chose qui ressemble à une voie concrète vers un nouveau système, explique Marion Sandilands, spécialiste en droit constitutionnel chez Conway Litigation. C’est très limité en ce qui a trait à l’offre et à ce que le gouvernement fédéral aurait l’obligation de faire. »

« Les gouvernements fédéraux, plus particulièrement les gouvernements libéraux, évoquent une assurance médicaments nationale depuis la Seconde Guerre mondiale, soutient Chris Bonnett, consultant en régimes et politiques de médicaments. Nous ne semblons pas avoir accompli grand-chose jusqu’à présent. »

Dans une grande mesure, les mérites du projet de loi d’assurance médicaments ont été exagérés à ses balbutiements, mais ce n’est pas non plus aussi insignifiant que ce que soutiennent ses détracteurs. Le projet de loi n’établit pas un régime national d’assurance médicaments. Il n’offre même pas de couverture immédiate pour les deux catégories de produits pharmaceutiques que le gouvernement Trudeau a désignés comme point de départ d’un régime national d’assurance médicaments : les contraceptifs et les médicaments contre le diabète.

Cependant, le projet de loi propose la négociation d’ententes individuelles avec les provinces et les territoires pour leur effectuer des paiements « dans le but d’élargir toute couverture existante d’un régime d’assurance médicaments public – et d’offrir une couverture universelle au premier dollar à payeur unique – en ce qui concerne des médicaments sur ordonnance et des produits connexes destinés à la contraception ou au traitement du diabète ».

Il engage le gouvernement fédéral « à maintenir le financement à long terme pour les provinces, les territoires et les peuples autochtones pour améliorer l’accessibilité et le caractère abordable des produits pharmaceutiques, en commençant par ceux pour maladies rares ». Le projet de loi stipule que le ministre fédéral de la santé doit charger l’Agence canadienne des médicaments d’élaborer une liste nationale de médicaments « essentiels » qui seraient couverts par un futur régime national d’assurance médicaments (ce qui, selon les détracteurs, constitue le genre de chose dont vous devez vous occuper avant le dépôt d’une loi).

« Il est bon de se rappeler qu’il n’y a pas d’argent sur la table pour le moment, explique Me Sandilands. Il n’y a rien dans le budget de cette année. C’est censé être dans le budget de l’an prochain. Il faut donc se demander qui se présente à la table quand il n’y a pas d’argent. Le ministre de la Santé a apparemment besoin de temps pour déterminer le mode de fonctionnement du régime. Donc non, je ne pense pas que les négociations vont commencer de sitôt. »

M. Bonnett est de l’avis que les mérites du principe même de l’assurance médicaments étaient exagérés lorsque le directeur parlementaire du budget a publié son rapport l’an dernier. Le rapport du DPB prévoyait que, même si un régime universel d’assurance médicaments à payeur unique coûtait 11,2 milliards de dollars de plus aux gouvernements fédéral et provinciaux la première année et 13,4 milliards de dollars de plus la quatrième année, le Canada économiserait de l’argent sur les achats de médicaments, soit 1,4 milliard de dollars en 2024-2025, ce qui augmenterait à 2,2 milliards de dollars en 2027-2028.

« Le problème avec l’évaluation du DPB, c’est qu’elle se fonde sur les hypothèses qu’a formulées un comité parlementaire, explique M. Bonnett. Il tenait pour acquis que les sociétés pharmaceutiques feraient des baisses de prix généralisées, et il ignorait que des milliards de dollars de médicaments maintenant couverts par des régimes privés ne seraient plus couverts par l’assurance médicaments. »

« Le DPB a dit qu’il pourrait économiser environ 5 %, mais cela tient pour acquis que les fabricants de produits pharmaceutiques de marque sont prêts à réduire leurs prix de 20 %. Cette hypothèse n’est pas étayée. »

Aussi, l’idée que l’assurance médicaments serait un régime entièrement public soutenu par l’offre du projet de loi 64 de « couverture universelle au premier dollar à payeur unique » pour les médicaments destinés à la contraception ou au traitement du diabète pourrait être une source de tension si une future liste nationale de médicaments assurés était moins généreuse que ce qu’offrent les quelque 100 000 régimes privés qui couvrent la plupart des Canadiens et Canadiennes à l’heure actuelle.

Mais même si ce projet de loi adopte un comportement attentiste à long terme, dit M. Bonnett, les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient réfléchir sérieusement avant de rejeter toute offre de négociations.

« Si j’étais à leur place, je chercherais à discuter d’un financement adéquat à long terme, souligne-t-il. Je crains que le climat soit si politisé et si polarisé dans notre pays, et que ce projet de loi soit si étroitement associé à un premier ministre qui n’est pas très populaire, que les provinces pourraient ne pas voir l’occasion que cela représente pour elles. »

« Les provinces et les territoires pourraient utiliser le temps qui s’écoule entre le moment présent et les prochaines élections pour négocier avec Ottawa une combinaison visant à combler les écarts et à compléter l’offre », dit M. Bonnett.

« Cela pourrait être utilisé pour ajouter la couverture de nouveaux médicaments ou pour éliminer les quotes-parts des médicaments qui sont déjà couverts, afin qu’ils soient gratuits pour les patients, ajoute-t-il. Le gouvernement fédéral serait là pour élargir la couverture ou pour éliminer le partage des coûts de certains médicaments et appareils connexes. »

Les limites réelles d’un régime national d’assurance médicaments (en supposant qu’un tel régime émerge un jour) ne seront pas visibles avant des années. La portée étroite du projet de loi reflète sans aucun doute la façon dont les dépenses déficitaires pendant la pandémie ont réduit la marge de manœuvre budgétaire du gouvernement fédéral.

« Si nous avions essayé de le faire dans les années 1960 ou 1970, si nous repartions de zéro, alors bien sûr, le modèle public serait probablement la voie à suivre », croit M. Bonnett. Vous constaterez probablement une baisse des coûts administratifs et des coûts des médicaments. Mais le gouvernement est si profondément endetté et déficitaire que le lancement de quelque chose d’aussi coûteux et complet qu’un régime public semble impossible à ce stade. »

De plus, les sondages actuels suggèrent que le gouvernement Trudeau sera confronté à tout un défi lors des prochaines élections. M. Bonnett soutient que cela devrait encourager les provinces et les territoires à chercher un accord avec Ottawa maintenant, pendant qu’ils peuvent encore le faire, car les dépenses sociales sont politiquement difficiles à éliminer.

« Compte tenu de la force actuelle des conservateurs dans les sondages, les libéraux pourraient ne pas être en mesure de poursuivre leur projet de toute façon, dit-il. Le passé des conservateurs donne à penser qu’ils seront ravis de laisser les provinces s’occuper de cela. »

Mais si les provinces et les territoires peuvent conclure des ententes d’ici les prochaines élections et obtenir un financement intégral, il est très peu probable qu’un gouvernement fédéral subséquent puisse renverser cela.

« Regardez ce qui s’est passé aux États-Unis avec les efforts républicains pour défaire l’Affordable Care Act. Ils ont tout tenté pendant des années, mais cela n’a abouti nulle part. »